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L’impact des révolutions arabes sur l’Afrique

Khalifa Ababacar Sall, sur la route de la présidence? AFP

Les soulèvements populaires dans le monde arabe peuvent redonner souffle à la démocratisation de l’Afrique, selon Khalifa Ababacar Sall. De passage à Genève, le maire de Dakar invite ses concitoyens à prendre en main leur destin et revendique plus de pouvoir pour les autorités locales.

A la tête de la capitale sénégalaise depuis 2009, Khalifa Ababacar Sall a été plusieurs fois ministre sous la présidence d’Abdou Diouf. Fort de ses convictions socialistes, il envisage de se porter candidat aux élections présidentielles de 2012.

De passage à Genève à l’occasion de la 3e plateforme globale du SPIC (la stratégie internationale de prévention des catastrophes naturelles de l’ONU) et du renouvellement de l’accord de coopération entre Genève et Dakar, Khalifa Ababacar Sall livre son regard sur le printemps arabe.

swissinfo.ch:  Ces soulèvements ont-ils un écho au Sénégal?

Khalifa Ababacar Sall: En Afrique sub-saharienne, la vie démocratique s’essouffle, alors que le monde arabo-musulman est en train de faire sa mue sous la pression des populations elles-mêmes, qui ont décidé de se prendre en charge et de revendiquer plus de liberté, plus de droit et plus de développement.

L’Afrique en tire deux conséquences. Seules les populations qui se prennent en charge peuvent réussir leur quête démocratiques, parce qu’elles sont conscientes, solidaires et déterminées. Ce constat doit inspirer les populations africaines qui voient aujourd’hui certains régimes en place tripatouiller, manœuvrer pour se maintenir au pouvoir.

Même si des manifestations ont eu lieu ici ou là, l’Afrique regarde en spectateur l’évolution du monde arabe. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Après avoir suivi l’éclosion, il faut connaître le déroulement et tirer les leçons de l’aboutissement.

Nous voulons un printemps concerté, discuté, un printemps qui mette en œuvre des décisions et des solutions durables. Nous sommes interpellés aujourd’hui par ce qui se passe dans le monde arabo-musulman. Mais nous attendons de voir.

swissinfo.ch: Les situations en Afrique du Nord et dans le reste de l’Afrique sont-elles comparables?

K.A.S.: Elles sont totalement différentes. Chez nous, la liberté de la presse est valide et dynamique, la liberté de manifestation, même si elle connaît quelques couacs, elle est réelle. Les populations jouissent de leurs droits et il n’y a pas de régime sécuritaire et policier comme ceux que connaît le monde arabe.

Par contre, ce qui est à retenir, c’est le fait que ce sont les populations arabes elles-mêmes qui ont décidé de se battre et de se mobiliser pour leur liberté. Les Africains sont très intéressés par cet aspect.

La consolidation de la démocratie en Afrique subsaharienne devra passer par là. Ou les pouvoirs le comprennent et l’anticipent. Ou les populations prendront le relais.

swissinfo.ch: A contrario, la crise post-électorale en Côte d’ivoire ne risque-t-elle pas de laisser des traces négatives au-delà de ce pays?

K.A.S.: Au début de la crise, certains étaient très inquiets que le président sortant s’accroche au pouvoir. L’Union africaine et les organisations régionales ont condamné son refus de reconnaitre le résultat des élections. Mais les pays pris individuellement ne se sont jamais prononcés. On se serait dit que beaucoup de chefs d’Etat étaient à l’affût et que si Laurent Gbagbo s’était maintenu au pouvoir, ils s’en seraient inspirés.

Heureusement pour nous, la mobilisation des forces ivoiriennes, africaines et internationales ont permis de rétablir le bon droit. Ce qui signifie que plus jamais l’opinion internationale ne laissera faire les dictateurs, les prétendants dictateurs ou ceux qui serait tentés de falsifier le suffrage des populations.

swissinfo.ch: Pourtant l’Union africaine s’est montrée frileuse par rapport aux soulèvements en Afrique du Nord et a surtout chercher à protéger les chefs d’Etat en place.

K.A.S.: En tant qu’organisation, l’Union africaine applique le principe de non-ingérence dans les affaires intérieur des Etats et les manifestations et soulèvement populaire sont toujours considérés comme des problèmes internes.

Des organisations comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)  ou la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), elles, ont dépassé ce principe. Elles se sont donné des moyens statutaires et légaux pour intervenir dans les situations intérieures des pays. Des dispositions qui n’existent pas au sein de l’UA.

De plus, tant que l’Union africaine raisonnera en termes d’Etat et non de peuple, elle sera toujours bloquée dans son évaluation de ce que vivent les peuples parmi ses membres.

L’Union africaine est une organisation d’Etats et elle devrait évoluer vers une organisation des peuples. Ce jour-là, elle aura une plus grande réactivité quand les populations seront éprouvées.

swissinfo.ch: La réalité du pouvoir et de l’action politique n’est-elle pas en train de se déplacer de l’Etat à la ville où un nombre croissant d’Africains vivent?

K.A.S.: C’est même cela qui doit se faire. La gestion, la prise en charge des aspirations et des problèmes des populations doit en effet passer de l’Etat central aux villes. Dans tous les pays du monde, dès qu’il y a des problèmes, les populations ont comme premier réflexe de demander: où est le maire, l’autorité locale?

Si l’on prend les conséquences des catastrophes et des crises, elles découlent souvent de politiques nationales et internationales. Mais ce sont les collectivités locales qui gèrent leurs conséquences directes sur les habitants.

Il faut donc qu’il y ait une jonction, un partenariat, une implication des collectivités locales dans la formulation, la gestion des politiques. Il est heureux de constater que les conférences et les organisations internationales sont en train de prendre conscience de cet impératif.

Coopération Un accord de coopération entre les Municipalités de Genève et de Dakar a été signé le 22 décembre 2000.

Partenariat Le projet  touche les domaines suivants: environnement, démocratie, aménagement urbain, développement économique, échanges institutionnels, partage de connaissances par le biais d’internet.

Culture L’accord de coopération prévoit le renforcement du réseau des bibliothèques municipales de la ville de Dakar  et  encourage les échanges culturels et artistiques via des séjours croisés d’artistes en résidence, des suivis d’expositions, etc.

 

Source : Ville de Genève

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