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L’URSS, un décor poussiéreux

Boîte aux 'Ports Francs', contenant des objets de la collection soviétique du MEG. Willem Mes

Sous le titre «Villa Sovietica», le Musée d'ethnographie de Genève présente une exposition qui réunit des objets de consommation de l'ex-Union Soviétique. Témoins d'un quotidien vétuste, ces objets peuvent se révéler sadiques ou comiques.

D’abord on croit se tromper quand, en ouvrant la porte qui conduit au sous-sol, on tombe brusquement sur les… chiottes. Marche arrière immédiate et retour au foyer du musée où un réceptionniste nous rassure: «Vous êtes au bon endroit, redescendez et longez les W.C, c’est bien là que commence l’exposition».

Sacré foutoir. On reste bouche bée, une fois en bas, devant cette masse oppressante d’objets hétéroclites exposés pêle-mêle dans un conduit qui jouxte les toilettes. Il y a là des marmites, des casseroles, des passoires, des plateaux, des cuvettes, des assiettes, des tasses, des couverts… Bref, une batterie de cuisine, avec des ustensiles vétustes semblables aux pièces d’artillerie d’une armée défaite.

Dans cet espace délabré, se bousculent également chaises, tables, fauteuils et miroirs poussiéreux, machines à coudre et machines à écrire vieilles comme le monde, radios, télévisions et tourne-disques tout aussi vieux. L’ensemble apparaît comme un petit théâtre du quotidien mangé par la rouille.

Promiscuité étriquée

Partant de ce décor pisseux jalousement gardé par le buste de Karl Marx, ici saisi à travers une vidéo qui tourne en boucle, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) a imaginé une exposition à partir de moult objets soviétiques. Objets-témoins qui reflètent la vie de leurs usagers. Entendez les habitants de l’ex-URSS coincés par la promiscuité. Serrés, comme leurs meubles, dans des appartements communautaires.

Présentée sous le titre «Villa Sovietica» dans l’annexe de Conches du MEG (périphérie de Genève), l’exposition rassemble des accessoires de la vie quotidienne, mais aussi des photos, des vidéos, des dessins, des vêtements… Le tout réparti sur les trois étages du musée et réuni par une équipe d’anthropologues qui, de 2006 à 2008, a collecté pour le MEG les objets du sous-sol. Le reste provient de collections privées.

Si le quotidien étriqué du sous-sol tire l’être vers le bas, les étages supérieurs projettent le consommateur dans un univers qui se veut doré. A croire que l’ex-URSS vivait dans cet entre-deux fait de réalité sordide et de rêves… inatteignables. En témoigne cette vitrine immense, un cube en verre qui occupe à lui seul toute une salle. Y est enfermée une valise en plastique bien ficelée, invitation à un voyage impossible.

Tenter l’œil et le priver en même temps. Le sadisme est là, le comique aussi. Pour voir ce que cache cette grande lunette offerte au regard du visiteur, il faut passer par un long couloir encombré de portes. On plaque son œil sur la lunette. Apparaît une voiture toute neuve, d’un bleu pétant. Une image du bonheur que seule une boîte magique peut procurer.

Grenier littéraire

C’est du moins ce qu’on pense. Faux. Car il y a de petits bonheurs qui n’ont guère besoin d’accessoires. Tout passe alors par l’imaginaire. Pour y accéder, il suffit de monter au dernier étage du musée. Le grenier. Là, l’URSS recèle son passé, une certaine Russie, celle des poètes que l’on croit entrevoir ici.

L’horizon s’ouvre d’un coup. Le grenier se fait page littéraire. Tchekhov est là avec sa «Cerisaie» abandonnée par ses propriétaires. Les meubles ont été recouverts de tissu blanc. Des chaises cernent deux tables immenses. L’une d’elles est balayée par de petits jouets qui descendent du plafond comme des marionnettes à fil. On pense à la chambre d’enfants que Lioubov Andréevna rêvait de retrouver dans cette même «Cerisaie».

Et puis on jette un œil sur le programme de l’exposition. Il est indiqué que «le dernier étage est ouvert au visiteur devenu acteur». Chacun peut donc interpréter le décor comme il l’entend, ou même le retoucher. Nous, on se contentera de dire que dans son grenier «Villa Sovietica» cache le triomphe de l’esprit sur l’objet.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Villa Sovietica», exposition à voir au Musée d’ethnographie de Genève (annexe de Conches), jusqu’au 20 juin 2010.

Expo photos. Parallèlement à «Villa Sovietica», le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) présente, dans son aile du Boulevard Carl-Vogt, une exposition de photos qui court jusqu’au 8 novembre.

Le MEG s’expose. Sous le titre «Cadrer l’Est», cette exposition propose une réflexion sur le travail des anthropologues chargés par le MEG de collecter les objets soviétiques mis en perspective à Conches. A travers une série de clichés pris dans les pays de l’ancien bloc de l’Est, les anthropologues invitent le visiteur à découvrir leur travail effectué sur le terrain lors de la recherche d’objets.

Willem Mes. Les photos présentées ont été prises par l’artiste hollandais Willem Mes, en étroite collaboration avec l’équipe d’anthropologues.

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