Des perspectives suisses en 10 langues

La «guerre du dialecte» fait rage en Suisse alémanique

Faut-il parler le dialecte seul ou aussi l’allemand standard à l’école? Le débat fait rage. Keystone

«Bon allemand» ou «suisse allemand»? Le débat est loin d’être apaisé en Suisse germanophone. Les citoyens zurichois ont récemment approuvé une initiative populaire exigeant que le dialecte soit l’unique langue parlée au jardin d’enfants.

Jusqu’à la récente votation, un tiers de l’enseignement dans les écoles enfantines zurichoises devait être assuré en «hochdeutsch», un tiers un dialecte et un tiers selon le choix de l’enseignant. Les partisans de l’initiative «Oui au dialecte au jardin d’enfants» y voyaient une volonté des autorités de bannir le dialecte des jardins d’enfants.

Parlé en famille et dans la vie quotidienne, le dialecte se démarque fortement de l’allemand standard. La grammaire est très différente d’une variante à l’autre de la langue. Pour les personnes qui ne comprennent que le «bon allemand», le dialecte ressemble parfois à du chinois.

En Suisse germanophone, le «bon allemand» est utilisé à l’écrit et dans les rapports avec l’autorité. Il est également enseigné dans les écoles des autres régions linguistiques du pays. Il n’est pas contesté que les enfants vivant en Suisse alémanique ont besoin d’apprendre les deux langues. La question est plutôt de savoir à quel âge ils devraient commencer à apprendre l’allemand standard.

Une langue de base

Le professeur de psychologie Allan Guggenbühl est un partisan de l’initiative zurichoise acceptée par 153’633 voix contre 131’426 dimanche dernier à Zurich: «Lorsqu’on veut augmenter les compétences orales, il faut d’abord commencer avec la première langue parlée et non avec une langue étrangère, c’est reconnu universellement». Et d’ajouter: «Le but est d’acquérir des compétences à la fois en dialecte et en allemand standard. La question est de savoir comment y parvenir. Pour y arriver, le mieux, et le plus rapide aussi, c’est d’apprendre une seule langue de base. Dès qu’on la maîtrise, on peut ensuite poursuivre l’apprentissage d’une autre langue».

Au quotidien, l’allemand standard est très présent, notamment par l’intermédiaire de la télévision. Les enfants en bas âge entrent ainsi rapidement en contact avec cette langue. Mais pour l’acquisition active des compétences linguistiques d’une autre langue, il vaut mieux attendre que les enfants atteignent l’âge de sept ans, qui définit l’entrée dans la scolarité obligatoire, estime Allan Guggenbühl.

En acceptant l’initiative, les Zurichois sont revenus à la situation qui prévalait avant 2008. Un retour en arrière réellement judicieux? Iwar Werlern, professeur de linguistique à l’université de Berne, souligne que beaucoup de Suisses germanophones privilégient l’utilisation de l’anglais ou du français dans leurs contacts avec des personnes ne maîtrisant pas le dialecte.

«Dans les écoles, l’allemand standard est uniquement utilisé à l’écrit. Les gens n’ont jamais vraiment appris à utiliser l’allemand standard à l’oral dans la vie quotidienne, affirme-t-il. Et bien que les Suisses allemands n’aiment pas vraiment les Allemands, ils les admirent parce qu’ils parlent mieux l’allemand standard qu’eux. Les Suisses pensent qu’ils ne le parleront jamais aussi bien. C’est donc mieux pour eux de ne pas du tout parler le ‘bon allemand’, pensent-ils.»

Un faux problème

C’est l’une des raisons qui a poussé les directeurs cantonaux de l’instruction publique à privilégier l’enseignement oral de l’allemand standard dans les écoles. Ils n’ont pas le pouvoir de décider de l’application de cette règle dans les jardins d’enfants mais certains cantons ont toutefois déjà commencé à  encourager l’enseignement de l’allemand standard au niveau du jardin d’enfants.

«L’idée était de parler davantage l’allemand à l’école, au lieu de se contenter des leçons d’écriture et de lecture», souligne Iwar Werlen, convaincu que plus les enfants commencent tôt à parler une langue, mieux ils la maîtriseront par la suite.

«Des tests effectués dans des jardins d’enfants à Bâle et Liestal ont montré que les enfants n’ont aucun problème d’adaptation. La plupart sont en contact avec le bon allemand par l’intermédiaire de la télévision et ils l’utilisent tout naturellement. Et s’ils ne connaissent pas un mot, ils emploient simplement son pendant suisse allemand. Ce n’est pas un problème pour eux, au contraire, ils s’en amusent». 

Il appartient à l’enseignant de marquer une distinction claire entre les deux langues, afin d’éviter les confusions. «Lorsqu’un enseignant passe sans raison d’une langue à l’autre, ça devient alors difficile pour les enfants», affirme Iwar Werlen.

Le dialecte pour s’intégrer

Allan Guggenbühl martèle au contraire que les enfants doivent d’abord apprendre le suisse allemand afin d’acquérir un bon vocabulaire de base. Car cette langue a, selon, lui ses propres règles grammaticales, un vocabulaire et des expressions spécifiques. Le corps enseignant doit en tenir compte.  

Iwar Werlen estime quant à a lui que la réflexion autour du dialecte est très peu abordée durant le cursus de formation des enseignant et que c’est un manque considérable. Tous les efforts visant à encourager cette discussion sont jusqu’ici tombées dans les oreilles d’un sourd, dit-il.

Dans le canton de Lucerne, une initiative pro-dialecte a également été lancée. Sur l’affiche, on y voit le visage d’un enfant grimé d’un drapeau suisse. «Le suisse allemand joue un rôle central dans l’intégration des étrangers», écrit le comité d’initiative sur son site Internet.  

«En Suisse, vous n’êtes accepté que si vous parlez le dialecte. Si vous parlez le ‘bon allemand’, vous ne l’êtes pas», soutient Allan Guggenbühl. Cette affirmation est peut-être valable pour la Suisse germanophone. Mais la Suisse compte trois autres régions linguistiques.

Was häsch gseit?

Le Forum Helveticum, une association indépendante qui s’engage en faveur du débat sur les questions d’actualité en Suisse, a publié il y a quelques années une étude sur le thème du suisse allemand, des identités locales et de la cohésion nationale.

«Cette étude a montré que les identités locales étaient très importantes en Suisse. Si le dialecte doit être encouragé, la cohésion nationale revêt également une grande importance», soutient Paolo Barblan, le directeur du Forum Helveticum.

«De nombreuses personnes de l’espace non germanophone affirment que la situation a changé ces vingt dernières années. A l’époque, un Suisse germanophone aurait immédiatement changé pour l’allemand standard si son interlocuteur ne comprenait pas le dialecte. Aujourd’hui, il continue gaiement à utiliser le dialecte sans remarquer que son vis-à-vis ne le comprend pas», affirme Paolo Barblan.

Et de conclure: «Les Suisses allemands se sentent beaucoup moins sûrs qu’auparavant dans l’utilisation du bon allemand. C’est l’une des raisons principales de cette évolution».

Allemand (63,7%): La version parlée de l’allemand de Suisse et de l’allemand d’Allemagne diffère depuis le Moyen-Age. Il existe trois divisions dialectiques principales en Suisse germanophone – bien que chacune d’elle déborde sur les pays avoisinants.

Français (20,4%): Outre une légère différence dans l’accent et le vocabulaire, le français oral en Suisse est similaire au français de France et au langage écrit. Mais la langue originalement parlée à l’ouest de la Suisse était le franco-provençal, également parlé à l’est de la France et au Nord de l’Italie. Il a survécu avec difficultés dans certains patois locaux.

Italien (6,5%): Il est parlé en version standard dans le canton du Tessin et dans une partie du canton des Grisons. Toutefois, de nombreux italophones de Suisse parlent un dialecte lombard (nord de l’Italie), composé d’une multitude de variations locales.

Le romanche 0,5%: Parlé dans une petite partie des Grisons, il existe en cinq formes orales distinctes (idiomes), qui ont chacun une version écrite. Les idiomes ont également leurs propres dialectes. Introduite en 1982, une langue écrite artificielle (Romansch Grischun) est utilisée dans les documents officiels.

Serbe et croate 1,4%

Albanais 1,3%

Portugais 1,2%

Espagnol 1,1%

Anglais 1%

Turc 0,6%

Tamoul 0,3%

Arabe 0,2%

Source: recensement fédéral de la population de 2000

Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg

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