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La Bâtie 2010, un festival résolument moderne

Le chorégraphe et metteur en scène belge Alain Platel présentera trois spectacles au festival de La Bâtie à Genève. batie.ch

La plus importante manifestation pluridisciplinaire romande s’ouvre à Genève ce 3 septembre. Pas de pièces classiques à l’affiche, mais des artistes tournés plutôt vers le virtuel et le numérique. Points forts: une fenêtre sur l’Afrique et un accueil spécial réservé au Belge Alain Platel.

Ne pas s’attendre à des pièces du répertoire et encore moins à des textes contemporains de facture classique. Dans son édition 2010, La Bâtie privilégie, bien plus que les années précédentes, la performance et les spectacles de danse et de théâtre arrimés à la modernité, accouplés au virtuel et au numérique. La vidéo sera même le «personnage» principal de «Best Before», spectacle très attendu du Soleurois atypique Stefan Kaegi, qui s’amuse ici avec notre addiction aux jeux électroniques.

Mais la modernité, c’est aussi un questionnement des identités, de plus en plus vagues dans un monde globalisé. C’est encore un brassage culturel qui fait se croiser, quinze jours durant, au fil d’une quarantaine de spectacles, les arts scéniques et la musique d’Asie, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique.

Fenêtre sur l’Afrique, précisément, ouverte cette année par La Bâtie qui invite de nombreux metteurs en scène, chorégraphes et musiciens du Continent noir. Autre point fort, l’accueil généreux réservé à Alain Platel, invité spécial du festival.

De renommée internationale, créateur belge au talent certain, Platel, que les Genevois ont pu apprécier à la Bâtie, il y a 14 ans déjà, nous parle ici de ses spectacles et de l’Afrique qu’il connaît bien. Entretien.

swissinfo.ch: La plupart des artistes africains s’interrogent, dans leurs spectacles, sur leur identité nationale, alors que les Européens questionnent plutôt leur identité intime. Un décalage d’intérêt que l’on constate à la lecture du programme de La Bâtie. A quoi ce décalage est-il dû selon vous?

Alain Platel: Lors d’un voyage au Congo, j’ai eu l’occasion de voir des spectacles locaux. Sur scène, revenait, en effet, cette interrogation sur l’identité nationale. Question rendue parfois épineuse par les Occidentaux qui continuent à infantiliser l’Afrique en adoptant vis à vis d’elle une attitude paternaliste.

J’ai été moi-même confronté à ce problème quand fut présenté à Kinshasa un film documentaire sur l’une de mes pièces, «Pitié!». Il y était question de la souffrance du Christ. Sur place, j’ai essuyé les reproches des Ambassadeurs de France et de Belgique qui m’ont dit que le public africain n’était pas encore prêt pour ce genre de spectacle prétendument violent.

Ceci dit, l’intérêt que le Continent noir porte à son identité réside dans le fait que les jeunes pays africains commencent seulement à construire leur avenir, alors que les Européens l’ont fait il y a longtemps. En d’autres termes, l’Afrique rêve encore son futur. Il est donc légitime qu’il soit présent dans son langage culturel. Ce qui n’empêche pas certains jeunes artistes africains d’arpenter avec force leur univers intérieur.

swissinfo.ch: A ce sujet, le chorégraphe congolais Faustin Linyekula, qui présente à La Bâtie «More more more … future», écrit: « Difficile pour nous de refuser un futur que nous n’avons jamais eu, de casser encore plus notre tas de ruines… ». Votre commentaire?

A.P.: Bon, les ruines, ce sont celles causées par la colonisation que les Européens ont du mal à se pardonner. Quand je suis allé pour la première fois en Afrique, il y a de cela 12 ans, j’étais rongé par le sentiment de culpabilité. Les gens de là-bas ont essayé de me réconforter en me disant: «Il faut arrêter maintenant!». Les écrivains ou les artistes européens tentent souvent d’évacuer leur culpabilité politique dans leurs œuvres. Je ne parle pas seulement de leur relation à l’Afrique.

Prenez l’Allemagne. Il y a aujourd’hui dans le milieu théâtral allemand beaucoup de jeunes qui veulent se libérer de leur culpabilité à l’égard du nazisme, dont ils n’ont même pas été témoins. Pour ce qui me concerne, la question politique reste toujours à la périphérie de mon travail.

swissinfo.ch: On voit en vous un metteur en scène de l’intime, précisément. Vous confirmez?

A.P.: Oui, c’est le cas d’ailleurs dans «Out of Context», pièce dansée que l’on verra à La Bâtie et dans laquelle je rends hommage à Pina Bausch (chorégraphe allemande décédée en juin 2009, ndlr). J’ajouterai que je m’y montre encore moins explicite que d’habitude. Tout se passe ici dans le non-dit. Une tension secrète, comme il en existe chez tout être humain à la recherche de quelque chose qu’il ne trouve pas.

swissinfo.ch: La Bâtie programme aussi «Gardenia», un de vos derniers succès. Vous y abordez la question de la transsexualité, offrant des rôles à de vrais travestis. Peut-on y voir une allusion à un monde globalisé qui favorise l’effacement des frontières, y compris sexuelles?

A.P.: Je n’ai pas conçu la pièce dans cette perspective, mais c’est une lecture tout à fait possible. Le spectacle a suscité une controverse à Berlin où il a été joué également. Il y avait d’un côté les jeunes, appartenant au milieu gay ou transsexuel, qui ont jugé la pièce démodée, sentimentale, et de l’autre, les personnes plus âgées qui l’ont en revanche appréciée, estimant qu’elle reflétait une évolution dans le regard et les mentalités.

Et c’est justement ce que «Gardenia» essaie de montrer, à savoir que dans le monde d’aujourd’hui, il est difficile d’étiqueter les gens, car tout devient de plus en plus vague, de plus en plus flou. Autrement dit, les identités sont modulables, pas faciles à définir ou à saisir.

Qui a tort, qui a raison? Les jeunes ou leurs aînés? Je ne saurais pas vous dire. Tout ce que je sais, c’est que le changement d’identité ne va jamais sans tourments.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Le festival de La Bâtie aura lieu du 3 au 18 septembre 2010 à Genève.

Artistes suisses accueillis à La Bâtie

Théâtre: Massimo Furlan, Stefan Kaegi, Fabrice Gorgerat, Gérard Guillaumat et Isabelle Chladek.

Danse: Foofwa D’Immobilité, Guilherme Botelho, Nicole Seiler.

Musique: Hell’s Kitchen, Andreas Ryser et Daniel Jakob, Fiona Daniel, Heike Fiedler, The Young Gods.

Spectacles africains recommandés

«Woyzeck on the Highvel », de William Kentridge, 3 et 4 septembre, Comédie de Genève.

«More more more… future», de Faustin Linyekula, 11 et 12 septembre, Casino Théâtre.

«Chandelier» de Steven Cohen, 17 et 18 septembre, Théâtre du Grütli.

Spectacles d’Alain Platel

«Gardenia», 8 et 9 septembre, Forum Meyrin

«Out of Context – for Pina», 13 et 14 septembre, Esplanade du lac, Divonne-les-Bains (France voisine)

«Passion –Last stop Kinshasa», film documentaire basé sur la pièce « Pitié ! », 11 et 12 septembre, Saint-Gervais.

Né en 1956, à Gand (Belgique).

Metteur en scène et chorégraphe, orthopédagogue de formation.

En 1984, il crée la compagnie Les Ballets C de la B, une troupe qui va acquérir très vite une renommée internationale.
Dans les années 1990, « Bonjour Madame », La Tristeza Complice » et « Lets op Bach », le portent sur le devant de la scène.

Il est alors invité dans le monde entier.

A la Bâtie, il présente, en 1996, «Moeder en kind» et en 1997, «Bernadetje».

Il y revient cette année comme invité spécial.

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