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La chanson pour survivre à l’absence

Jimmy Parramore, une vie... swissinfo.ch

Jimmy Parramore est un personnage: né à Chicago, pilote de chasse en Corée, délégué du CICR au Yémen, médecin anesthésiste à Lausanne, parolier de Pascal Auberson, chanteur lui-même… A 85 ans, il sort un album dédié à sa femme disparue. Tendre et fort.

Un arpège de guitare ouvre l’album. Rapidement rejoint par une voix, toute en douceur, en mots murmurés, en paroles ciselées. Contrebasse et quatuor à cordes. Plus tard, piano, saxophone, vibraphone, trompette. Ambiances jazzy aux couleurs sépia.

 

L’album s’est construit autour d’une chanson: Un coup de foudre. «J’ai vécu 30 ans avec Françoise. Vers la fin de sa vie, on disait les deux que nous avons eu un coup de foudre qui a duré 30 ans», confie Jimmy Parramore, qui, avec sa femme, a vécu ces trois décennies entre Lausanne, le Valais et Ibiza.

«Quelques mois après son décès, un soir de décembre, vers minuit, j’étais au piano avec un blues pas possible, et je suis tombé sur une mélodie qui m’a plu. Le texte est sorti tout seul. A 3 heures, c’était fait. Je n’avais même pas eu besoin de chercher des rimes, ce que je voulais dire rimais déjà. Et c’est à cause de cette chanson que j’ai voulu faire un disque, à sa mémoire. Enfin, on dit qu’on fait cela pour l’autre, mais l’autre n’est plus là, c’est évidemment pour soi-même qu’on le fait».

De la guerre à la chanson en passant par la médecine

Jimmy Parramore, ému, lucide et tendre. Sacré bonhomme. Tout commence dans un «village» proche de Chicago, Crown Point, en 1925. L’époque d’Al Capone et de la prohibition, comme dans les films.

Le film va se poursuivre derrière le manche à balai d’un avion de chasse lors de la guerre de Corée. «J’ai toujours voulu être pilote. Quand j’ai terminé mes quatre ans à l’université de l’Indiana, des études pré-médicales, c’était la guerre de Corée. Je me suis dit que je pouvais profiter de ce contexte pour réaliser mon rêve de gamin, tout en ayant l’idée que si je ne me faisais pas tuer en Corée, j’essaierais d’être transféré dans une escadre basée en France pour faire mes études de médecine à Paris. Et finalement, j’ai choisi Lausanne», se souvient-il.

C’est avec la même tranquillité que Jimmy Parramore se souvient de son expédition pour le compte du CICR au Yémen, en 1968 (et dont témoigne le film «Citadelle humanitaire» de Frédéric Gonseth). «J’ai fait de la chirurgie de guerre là-bas, et c’est en revenant que je me suis orienté vers l’anesthésie. J’ai ensuite pratiqué à l’hôpital ophtalmique de Lausanne».

Mais le médecin américain a aussi le goût de l’écriture de chansons… en français. «Le déclic, ça a été au début des années 60: les chansons de Léo Ferré. Alors j’ai fait du sous-Ferré pendant des années», dit-il modestement.

Modestement, parce que le «sous-Ferré» ne va pas tarder à signer quelques textes  notables du jeune Pascal Auberson: Robe de Chine, Groupie rock, Cendrillon, c’est lui… Jimmy Parramore va également signer des chansons pour d’autres artistes et celles de la comédie musicale «Le Piano Magique», réalisée pour la Télévision suisse romande par Raymond Vouillamoz, avec comme arrangeur un certain Jean-Claude Vannier (Polnareff, Gainsbourg, Birkin, pour ne citer qu’eux).

A son nom, il publiera tout d’abord un ‘45 tours, «Two pour être fou», avec l’une de ses filles. Mais il faudra attendre 1993 pour qu’il ose un premier album, «La Princesse indienne», sous le pseudonyme de Dapper Jim. «On m’avait surnommé Dapper Jim à l’armée. Dapper, cela veut dire ‘bien habillé’. Et moi, c’était tout à fait le contraire!»

Ensuite… quelques textes à travers la bouche de Pascal Auberson (L’paradis, Super Mix). Mais rien à son nom. Pas assez de chansons, trop lent, pas le temps, dit-il.

Malgré tout… légèreté

Suite au décès de Françoise, Jimmy Parramore écrit donc la chanson «Un coup de foudre». Et quelques autres. Va rechercher d’anciens titres dans ses tiroirs. S’installe devant son ordinateur et, pendant deux ans, travaille ses arrangements. «Mais ce n’est pas vraiment dans mes cordes. Je ne suis pas comme Jean-Claude Vannier, qui fait un arrangement assis à l’arrière d’un taxi entre deux studios! Moi, il me faut deux mois!»

Puis il va voir l’ingénieur du son lausannois Bernard Amaudruz, pour mettre en place avec lui un groupe qui remplacera les sons numériques. Ambiance jazzy, on l’a dit. «On est très influencé par ce qu’on a écouté adolescent. Moi, c’était le jazz, des chansons de Cole Porter. A mon avis, Gainsbourg avait exactement les mêmes influences», dit Jimmy Parramore.

Et, malgré la douleur qui a suscité cet album, une indéniable légèreté de ton, ainsi cette femme qui écoute ce «sexy saxo» dans Le congé conjugal ou ce papillonnement de jolies filles dans Rendez-vous des artistes. «Si Françoise avait été là, elle m’aurait dit de faire comme ça», sourit Parramore. «Le rendez-vous des artistes, c’est une des premières chansons que j’ai faites en français. D’ailleurs l’influence Léo Ferré y est très présente».

Gainsbourg aussi, parfois, non? «Je ne crois pas avoir été influencé par Gainsbourg. Il avait les mêmes influences que moi, mais s’il n’avait pas existé, je ne crois pas que j’aurais écrit mes chansons différemment. Mais j’adore Gainsbourg. Lui et Ravel, ce sont ceux que j’écoute le plus souvent».

S’égrainent des chansons en français, et quelques unes en anglais, dont le très fort  Can’t Dance With A Tombstone (On ne peut pas danser avec une pierre tombale): «C’est une chanson que j’ai écrite il y a cinq ou six ans à Ibiza. Je crois que c’est un de mes meilleurs textes. Dans mes chansons, la première phrase arrive toujours par hasard. Une phrase vient, puis les autres mots suivent».

L’album se termine par Don’t Be Good. Les conseils d’un vieil homme indigne aux générations suivantes? Une leçon de morale amorale? « C’est ça. Antimorale: pars et profite bien de la vie!» Est-ce cela que Jimmy Parramore a dit un jour à ses filles? «Je n’avais pas besoin de le leur dire», répond-il en souriant.

La vie, la mort, l’amour, les larmes, le sourire. Il y a beaucoup de choses sur cet album, que Parramore admet avoir réalisé comme une thérapie: «Cela m’a occupé dix heures par jour pendant deux ans. Qu’est-ce que j’aurais fait d’autre?»

Ne quitte pas ton stylo ni ton piano, Jimmy. La musique n’a jamais ressuscité personne, tu n’es pas dupe. Elle fait vivre et revivre néanmoins.

Chicago. Naissance à Chicago, USA , en 1925. Etudes de zoologie à l’Université d’Indiana.

Guerre. Engagé dans la guerre de Corée (1950 – 1953) comme pilote de chasse.

Lausanne. Etudes de médecine à Lausanne. C’est dans le chef-lieu vaudois que Jimmy Parramore travaillera comme médecin anesthésiste.

Yémen. En 1968, il passe six mois au Yémen pour le CICR (voir le film  «Citadelle humanitaire» de Frédéric Gonseth).

Auteur. Premières chansons en français et des textes pour Gaston Schaefer, Pascal Auberson («Une robe de Chine», «Groupie Rock, «Cendrillon», «L’paradis», «Super Mix»)

Comédie musicale. En 1972, Jimmy Parramore signe les paroles et la musique de la comédie musicale «Le Piano Magique» réalisée par Raymond Vouillamoz, avec des arrangements de Jean-Claude Vannier, sur un scénario de Jean-Pierre Moulin. Interprète principal: Eddie Constantine.

Artefax. 12 titres enregistrés au Studio Artefax, Lausanne, par Bernard Amaudruz.

Musiciens. Lee Maddeford (piano), Antoine Auberson (saxophone), Christian Graff (guitare), Jean-François Massy (contrebasse), Tox (batterie), Denis Corboz (trompette) et le quatuor à cordes ‘Les Barbouzes de chez Fior’.

Téléchargement. Disque autoproduit, les chansons sont téléchargeables sur plusieurs sites, dont iTunes.

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