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La conquête de la montagne «vierge»

La Jungfrau est une montagne prisée par de nombreuses personnes qui souhaitent gravir un sommet de plus de 4000m, en raison de sa facilité d’accès. akg images

Il y a exactement deux cents ans, les frères Meyer devenaient les premiers alpinistes à gravir un sommet de plus 4000 mètres en Suisse. Aujourd’hui, la Jungfrau, figure mythique des Alpes, est un pic bien plus docile à gravir que son terrifiant voisin, l’Eiger.

C’est une scène plutôt étrange à laquelle les habitants de Fiesch ont assisté il y a exactement deux cents ans: deux frères aisés entrent nonchalamment dans ce village reculé, agricole et pauvre du Haut-Valais germanophone. Ils embauchent quelques chasseurs pour les mener au sommet d’une montagne que personne dans la vallée n’avait jamais vu auparavant.

Ces deux hommes, Johann Rudolf et Hieronymus Meyer, fils d’un riche marchand de textiles, s’accrochaient à l’idée de gravir ce pic que l’on pouvait voir loin à la ronde par beau temps depuis le nord de la Suisse, où ils vivaient. Une idée un peu folle pour l’époque. L’alpinisme en était à ses débuts et l’âge d’or de ce sport ne débutera pas avant un demi-siècle. Les frères Meyer pensaient que la meilleure façon de dompter la Jungfrau était de l’aborder par le sud. C’est ainsi qu’ils se mirent en route, franchissant montagnes et cols alpins, avant d’atteindre le village de Fiesch, dans la vallée supérieure du Rhône.

Il est probable que les deux frères n’avaient pas conscience qu’au village, personne n’avait jamais vu le pic tant convoité. La Jungfrau était en effet coupée de la vue par les successions de pentes abruptes qui se dressent au-dessus de la vallée, et au milieu desquelles repose la plus longue bande de glace d’Europe, le glacier d’Aletsch. «Les guides Joseph Bortis et Alois Volker n’avaient jamais aperçu la Jungfrau auparavant. L’appât du gain les a conduits à accepter ce terrible défi, bien qu’ils n’avaient aucune expérience de la haute montagne», affirme Kilian Volker, descendant direct d’Alois Volker et guide de montagne à Fiesch, où il vit depuis sa plus tendre enfance.

Un précieux atlas

La tradition n’est d’ailleurs pas prête de s’éteindre, puisqu’un neveu de Kilian Volker suit aujourd’hui les traces de ses vénérables ancêtres en guidant les amateurs de verticalité au sommet des pics valaisans.

Si Joseph Bortis et Alois Volker étaient surtout motivés par la perspective pécuniaire, les frères Meyer avaient probablement hérité la passion de leur père pour la géographie. Après s’être enrichi grâce à sa fabrique de rubans de soie, Johann Rudolf senior finança la première série de cartes géographiques issues de données scientifiques – connues sous le nom d’atlas Meyer-Weiss – couvrant toute la Suisse.

Les deux frères ont certainement utilisé l’atlas pour se guider jusqu’à Fiesch. Mais aussi pour tracer leur route vers le sommet, bien que les cartes ne fournissaient aucun détail au sujet de cette haute région située au cœur des glaces alpines. «Nous avancions au-travers de la glace et des masses de neige qui s’accrochaient au pied de la Jungfrau…», écrivirent les frères Meyer ce 3 août 1811 dans leur carnet de route. «Ce que nous pensions être un champ de neige immaculé s’est avéré être une illusion d’optique; soudain, sous nos bottes, nous vîmes une crevasse d’environ 40 à 50 pieds, que nous n’avons pu maîtriser qu’avec difficulté… le chemin qui menait au pied de la Jungfrau était une arête de glacier étroite».

«Le point le plus haut»

Guidés par Volker et Bortis, et avec l’aide de quelques porteurs, les frères Meyer ont finalement franchi les obstacles et atteint le sommet: «Une fois franchis les passages les plus difficiles, le chemin jusqu’à la pente enneigée s’est ouvert et après quelques pas de plus, nous sommes arrivés au point le plus haut du massif de la Jungfrau. C’était peu après deux heures de l’après-midi».

Mais une fois de retour à la maison, ils ont eu toutes les difficultés à convaincre leurs proches de l’authenticité de leur exploit. «Un an plus tard, en 1812, l’un des frères a refait l’ascension pour prouver la véracité de ses dires. Il s’est produit exactement la même chose avec l’ascension du Finsteraarhorn, à laquelle un des frères Meyer a participé. Il a fallu près de 30 ans pour convaincre les gens qu’ils avaient bel et bien atteint le sommet», explique Peter Brunner, auteur du livre «Jungfrau –200 years Jungfrau Summit», commémorant cet anniversaire.

Le livre contient des passages originals du carnet de route des frères Meyer, ainsi qu’un rappel des plus remarquables ascensions de la Jungfrau de ces deux derniers siècles.

Plus accessible

Aujourd’hui, la Jungfrau est l’un des sommets de plus de 4000 mètres les plus accessibles des Alpes, grâce au chemin de fer de la Jungfrau dont la ligne se termine à seulement quelques centaines de mètres du sommet.

Kilian Volken affirme avoir mené au moins 300 personnes au sommet de la célèbre montagne durant ses 35 années de carrière. Selon ses estimations, c’est aussi le nombre de personnes qui gravissent chaque année la Jungfrau.

«En général, cette ascension n’est pas trop difficile. Mais ce n’est pas non plus le premier 4000 mètres à escalader», explique Richard Bortis, un guide de montagne de Fiesch, descendant de Joseph Bortis, autre grimpeur-chasseur à figurer dans les annales. «Il faut une certaine expérience de l’escalade avec des souliers à crampons. Mais sinon, l’ascension ne présente pas de difficultés majeures».

Cependant, une chose n’a pas changé, selon Peter Brunner. «En Allemagne, nous disons que la Jungfrau est la quintessence des montagnes, car elle est la seule à briller dans son intégralité». C’est toujours vrai aujourd’hui.

Attraction. Les stations de montagne qui entourent la Jungfrau – qui signifie vierge ou jeune fille en français – utilisent son nom pour commercialiser le tourisme. La montagne a aussi prêté son nom au train régional qui s’arrête à seulement quelques centaines de mètres du sommet – la Jungfraujoch – et qui dessert la plupart des remontées mécaniques du secteur.

Là-haut sur la montagne. Le train à crémaillère menant au «Top of Europe», argument marketing des brochures touristiques vantant les Alpes bernoises, a été inauguré il y a près de 100 ans, en 1912. L’an dernier, 672’000 curieux ont acheté un ticket pour le plaisir de faire le voyage à 3454 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Patrimoine. La région Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn a été classée en 2001 au Patrimoine naturel mondial de l’Unesco. Sur une zone de près de 800 km2, au cœur des glaces alpines, elle offre l’un des paysages les plus spectaculaires des Alpes.

Populaire. La Jungfrau est une montagne prisée par de nombreuses personnes qui souhaitent gravir un sommet de plus de 4000m, en raison de sa facilité d’accès. Ils sont plusieurs centaines à tenter l’ascension chaque année, la plupart depuis la station de la Jungfraujoch. Pour cela, ils passent la nuit dans une cabane toute proche et partent aux aurores pour atteindre le pic qui culmine à 4158 mètres d’altitude.

Drame. L’ascension n’est toutefois pas exempte de dangers. Il n’est pas rare d’être confronté à de la neige fraîche, même au cœur de l’été, accroissant ainsi le danger d’avalanche sur ces flancs abrupts. En juillet 2007, six recrues de l’armée suisse ont ainsi perdu la vie après avoir été entraînés sur plus de 1000 mètres par une avalanche. Six autres soldats ainsi que deux guides s’en sont sortis indemnes.

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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