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La crise en Thaïlande ouvre une ère d’incertitude

Reuters

L'état d'urgence est en vigueur à Bangkok, suite à des heurts entre opposants et supporters du gouvernement mais l'armée refuse d'intervenir pour déloger des manifestants. L'instabilité menace la Thaïlande, pivot démocratique de la diplomatie suisse pour toute l'Asie du sud-est.

En décrétant l’état d’urgence mardi dernier à Bangkok, le Premier ministre Samak Sundaravej a en quelque sorte avoué une double impuissance. D’abord parce qu’il n’est pas parvenu à mettre fin par la négociation à un mouvement de protestation qui dure depuis 10 jours. Le bilan des affrontements est de 1 mort et 44 blessés.

Ensuite, les militaires thaïlandais ont refusé de déloger quelques dizaines de milliers de manifestants qui assiègent les bureaux du gouvernement dans la capitale. Et ce alors qu’en vertu de l’état d’urgence, tout rassemblement de plus de 5 personnes est interdit.

«Nous nous inquiétons sans nous inquiéter vraiment», déclare pourtant à Berne Jean-Philippe Jutzi, le porte-parole du ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE), qui pour l’heure ne déconseille pas aux Suisses de se rendre sur place.

Même son de cloche du côté du consulat de Thaïlande à Genève. «Ce n’est pas parce qu’un Premier ministre thaïlandais se fait chahuter que les gens vont prendre peur», relativise Armand Jost, consul honoraire de Thaïlande et ressortissant suisse.

Pas d’analogie avec le putsch de 2006

Il reconnaît, certes, que l’analogie est vite faite entre les troubles actuels et ceux d’il y a deux ans, qui se sont terminés par un putsch de l’armée. Néanmoins, Armand Jost souligne que la situation semble différente cette fois, le commandant en chef de l’armée Anupong Paochinda ayant, à plusieurs reprises, déclaré ne pas vouloir intervenir par la force.

Et Armand Jost de rappeler que même lors du pusch de septembre 2006, aucun coup de feu n’avait été tiré. «Le mot coup d’Etat a une connotation très lourde dans notre culture, mais c’est un peu différend dans un pays qui en a déjà connu 18 depuis l’abrogation de la monarchie absolue en 1932.»

Indubitable… reste néanmoins que depuis le printemps 2006, lorsque les premiers protestataires se sont rassemblés pour réclamer la démission de l’ex-leader populiste multimilliardaire Thaksin Shinawatra, les manifestations deviennent une habitude à Bangkok.

Les racines de la crise

Et les mouvements de protestation continuent aujourd’hui de plus belle, malgré le départ du-dit Thaksin, de la prise du pouvoir par l’armée à l’automne, de l’organisation de nouvelles élections l’hiver dernier, puis de la formation d’un nouveau gouvernement de coalition sous la direction de Samak Sundaravej.

Le pays se retrouve confronté à une crise politique majeure dont les racines sont profondes et le système, tout le monde sur place l’admet désormais, n’est pas armé pour la résoudre.

Tout a commencé par les transformations initiées que le fort critiqué mais très efficace ex-Premier ministre. Thaksin Shinawatra a voulu imposer à la nation un développement économique à tout-crin, quitte à balayer au passage quelques traditions ancestrales.

Il a ainsi tenté de débarrasser la société thaïlandaise d’une corruption bien ancrée en menant notamment sa «guerre totale contre la drogue» en 2002. Mais, il l’a remplacée par une nouvelle forme de copinage davantage basée sur des alliances opportunistes entre businessmen que sur des privilèges de classe transmis au fil des générations.

Ville contre campagne

Cette évolution a fait de nombreux mécontents et divisé fortement la population en deux camps, les communautés rurales et urbaines ne se regardant plus qu’avec incompréhension et méfiance.

Etonnamment en effet, le flamboyant tycoon a trouvé ses plus fervents supporters dans les campagnes, grâce à quelques mesures populistes fort populaires, telles que la visite médicale à 30 bahts pour tous, soit environ 1 franc suisse.

L’élite intellectuelle des villes, à l’inverse, a vite compris le risque de laisser Thaksin Shinawatra diriger le pays comme une entreprise dont il serait le seul patron, faisant main basse aussi bien sur les forces de l’ordre que les médias nationaux.

S’attaquer à l’intouchable

Mais si le mouvement d’opposition a pris une telle ampleur, c’est parce que Thaksin Shinawatra a fini par s’attaquer à l’intouchable, se mettant à dos le roi Bhumibol Adulyadej lui-même, doyen des têtes couronnées de la planète et vénéré de tous ses sujets. Par ailleurs, ses idées modernes allaient aussi à l’encontre d’une certaine conception de la Thaïlande, bouddhiste et traditionnelle, bien ancrée dans la fierté nationale.

C’est ainsi qu’on en est arrivé à une situation paradoxale où les manifestants ne réclament pas plus de libertés et de démocratie mais moins, et où l’armée n’intervient pas pour rétablir l’ordre mais pour «rendre au roi ce qui appartient au roi», à savoir un certain droit de regard plus moral que politique, puisque le monarque n’a plus aujourd’hui de réel pouvoir.

La crise n’a pas cessé avec le départ en exil de Thaksin, car aux yeux des opposants, l’actuel chef de gouvernement, Samak Sundaravej, n’est que l’homme de paille de son prédécesseur. Le blocage est aujourd’hui total, le bras de fer entre le gouvernement et les protestataires se durci chaque jour.

Ne pas peindre le diable sur la muraille

Dans ces conditions, n’est-il pas légitime de craindre une explosion de violence? «Les Thaïlandais ont jusqu’à présent toujours trouvé des solutions positives à leurs difficultés. Il n’y a aucune raison pour que ce ne soit pas le cas cette fois. D’autant qu’un second coup d’Etat serait trop mal vu dans la Communauté internationale», lance Armand Jost.

«Il est crucial que la Thaïlande reste un pays stable», affirme du reste Berne qui considère qu’il n’y a pas lieu pour l’heure de peindre le diable sur la muraille.

Armand Jost estime pour sa part qu’il faudra bien plus que quelques manifestations pour remettre en question «les relations particulièrement chaleureuses qui existent depuis toujours entre la Suisse et la Thaïlande».

Et ce dernier de rappeler que le roi thaï a fait toutes ses études à Lausanne et le royaume a encore récemment offert à la Ville de Lausanne un pavillon traditionnel d’or et de bois précieux.

swissinfo, Niki Nadas

L’Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), qui occupe actuellement le siège du gouvernement en Thaïlande, est une coalition hétéroclite de militants nationalistes, royalistes et syndicaux qui cherchent à éliminer l’héritage de l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006).

Ils se présentent comme les garants de la monarchie contre une volonté présumée de Thaksin de revenir en Thaïlande pour y restaurer la république.

Fondée en février 2006 par un magnat de la presse, la PAD avait largement contribué, par ses manifestations à Bangkok, à déstabiliser Thaksin avant son renversement par l’armée en septembre de cette année-là.

La PAD exige la démission de l’actuel Premier ministre Samak Sundaravej, élu en décembre 2007 après 16 mois d’administration militaire. Elle l’accuse d’être une «marionnette» de Thaksin qui s’est réfugié en Grande-Bretagne après des accusations d’abus de pouvoir et de corruption.

Royaume de Thaïlande
Capitale: Bangkok
Population: 66,4 millions
Régime: monarchie constitutionnelle
Chef de l’Etat: roi Bhumibol Adulyadej
Chef du gouvernement: Samak Sundaravej

Relations bilatérales
5445 Suisses ou double-nationaux vivaient en Thaïlande à fin mars 2008.
150’000 touristes suisses se rendent en Thaïlande chaque année.

1897: première visite d’un monarque thaïlandais en Suisse.
1931: signature d’un traité bilatéral d’amitié et de commerce.

Roi Bhumibol Adulyadej
5.12.1927: naissance
1933-1950: études à Lausanne
1946: accession au trône
1964: dernier séjour en Suisse

2006: 60ème anniversaire de son règne
2007: 80ème anniversaire

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