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La crise libyenne montre les manques du gouvernement

Le rapport n'est pas tendre avec les ministres Ueli Maurer, Hans-Rudolf Merz et Micheline Calmy-Rey. Reuters

La Commission de gestion du Sénat estime que le gouvernement a mal géré la crise libyenne. Dans son rapport publié vendredi, elle dénonce un manque de communication au sein de l'exécutif. Micheline Calmy-Rey et Hans-Rudolf Merz sont particulièrement visés.

Très attendu, le rapport de la commission de gestion du Conseil des Etats sur la gestion du dossier publié vendredi révèle des dysfonctionnements en série.

Au début de la crise en 2008, le gouvernement a été tenu au courant de l’affaire par le ministère des Affaires étrangères (DFAE). Mais dès l’été 2009, la collaboration entre la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey et le président de la Confédération Hans-Rudolf Merz a dégénéré.

Hans-Rudolf Merz en solo

Alors que la première n’a pas voulu céder son secrétaire d’Etat adjoint à son collègue pour son voyage à Tripoli, la socialiste n’a pas été informée avant la signature de l’accord. Elle s’est vengée en contredisant les propos du président de la Confédération en pleine conférence de presse à son retour de Libye sans les otages, via un SMS «inacceptable» pour la commission de gestion.

En voulant faire cavalier seul, Hans-Rudolf Merz a quant à lui outrepassé ses compétences. Il s’est envolé pour la Libye après avoir dit le jour même à ses collègues qu’il n’irait pas et ne disposait donc pas de l’autorisation préalable de ses collègues.

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Exfiltration sans mandat

Dès l’été 2009, le gouvernement s’est impliqué de manière croissante dans le dossier, mais il ne disposait pas des informations nécessaires. Il n’a ainsi jamais pris de décision de principe sur une exfiltration car il n’en a jamais été informé.

Ni la cheffe du DFAE, ni le chef du ministère de la Défense (DDPS) ne l’ont jugé utile. Or, au moins la présidence de la Confédération (Hans-Rudolf Merz puis Doris Leuthard l’an dernier) aurait dû être informée en tout temps, estime la commission de gestion.

Micheline Calmy-Rey connaissait les efforts entrepris par son département en vue d’une exfiltration des deux otages. Mais elle n’avait pas jugé nécessaire de s’occuper des détails.

Jusqu’à la fin de l’automne 2008, l’armée suisse a mis à disposition du DFAE des membres de son détachement de reconnaissance DRA10 en accord avec Samuel Schmid. Mais ce dernier n’a pas jugé bon d’en informer son successeur Ueli Maurer, pensant que les activités qu’il avait approuvées étaient suspendues.

Le recours au détachement DRA10 n’aurait pas posé de problème de légalité, estime la commission de gestion. Mais faute d’un mandat du gouvernement, les opérations amorcées par le DFAE ont excédé les compétences accordées par ordonnance au département responsable.

L’organe de surveillance parlementaire épingle enfin le gouvernement sur des fuites aux médias. Selon elle, les fuites sur les plans d’exfiltration ne peuvent venir que de l’entourage proche des départements concernés du gouvernement.

14 recommandations

La gabegie qui a entouré l’affaire Kadhafi ne devrait plus se reproduire. Pour y remédier, la commission a dressé une liste de 14 recommandations au gouvernement. En jeu: les opérations d’exfiltration, la communication au sein du gouvernement et les relations avec Genève.

Concernant le recours à des opérations d’exfiltration, la commission de gestion demande au gouvernement de dresser un état des lieux afin de délimiter ce type d’engagement et la compétence dévolue aux services de renseignement militaire et civil.

Le gouvernement devra aussi vérifier si son rôle est réglementé de façon opportune. La commission se demande si le gouvernement ne devrait pas décider également du déclenchement et de l’arrêt d’un engagement. Le rôle joué par la délégation du gouvernement pour la sécurité devrait quant à lui être renforcé, ou alors il faudra assigner d’autres objectifs à cet organe.

Communication et mandats

Rayon communication, le DFAE est appelé, pour les cas difficiles concernant les immunités diplomatiques, à se doter de directives définissant dans quelle situation, quand et par qui sa cheffe doit impérativement être informée et/ou consultée. Ceci afin qu’elle puisse répondre à sa responsabilité politique.

En cas de crise importante, le gouvernement devra définir sa stratégie de manière collégiale. Lorsqu’il donne un mandat au président de la Confédération dans un domaine qui relève d’un autre département, il devra définir la répartition des compétences et les modalités de collaboration.

Le gouvernement devra aussi prévoir de renforcer le soutien apporté à la présidence en désignant des personnes détachées avec un mandat d’un contenu et d’une durée spécifiés. La commission souhaite en outre poser trois conditions pour que le gouvernement puisse assumer une conduite effective des affaires importantes.

Les départements concernés devront informer de manière correcte et suffisante le collège. Le gouvernement devra prendre des décisions formelles lorsqu’il transmet un dossier ou un mandat à remplir. Idem lorsque plusieurs départements sont impliqués dans un dossier: il faudra définir la répartition des compétences et les modalités de collaboration.

Eviter les fuites

La délégation des affaires étrangères doit quant à elle être maintenue et son mandat ainsi que sa composition définis clairement. En cas de crise, tout organe interdépartemental devrait régler dès le départ les flux d’informations entre ses membres et les chefs de départements concernés.

L’intégration et la conduite d’un attaché de défense en cas de crise devront aussi être clairement définies. Une réglementation claire est aussi demandée concernant le recours à des médiateurs privés en cas de crise.

Le gouvernement est enfin appelé à prendre des mesures pour empêcher les fuites dans la presse: le secret doit également être garanti aux plus hauts niveaux de l’administration fédérale.

Le Parti socialiste retient «l’insigne faiblesse» du gouvernement mise à jour dans le rapport. Il s’inquiète aussi du fait qu’il ne soit pas en mesure de garder secrètes des informations explosives et confidentielles. Le PS estime donc que le gouvernement «doit absolument tirer les leçons qui s’imposent».

Pour le président du Parti libéral-radical (droite) Fulvio Pelli, la nécessité d’un leadership stratégique est urgente. Une présidence de deux ans serait une piste à suivre.

Le président du Parti démocrate-chrétien (centre droit) Christophe Darbellay pense que l’affaire libyenne est surtout la conséquence des agissements d’individus. Pour lui, il convient de tirer les leçons des grandes crises internationales récentes qu’a connues la Suisse pour opérer des réformes, les recommandations de la Commission constituant un premier pas.

Le président de l’Union démocratique du centre (droite conservatrice) Toni Brunner estime également que la mauvaise gestion de la crise est due aux personnes. Une réforme du gouvernement ne serait donc pas fondamentale. Son parti existe en revanche d’ores et déjà la suppression du détachement de reconnaissance DRA10.

Aucun des partis gouvernementaux ne prévoit de voter contre l’élection de Micheline Calmy-Rey à la présidence tournante de la Confédération, la semaine prochaine.

Le gouvernement a indiqué avoir pris acte du rapport. Il s’exprimera sur
les conclusions dans le délai imparti par la commission,
soit jusqu’à fin avril 2011.

Le ministère des Affaires étrangères, n’a pas non plus souhaité prendre position.

Le gouvernement précise qu’il s’est entretenu cette année à plusieurs reprises non seulement sur le fond du dossier mais aussi sur la collaboration entre les départements dans les diverses phases de la gestion de la crise libyenne.

Avant l’été 2010, le gouvernement a donné plusieurs mandats
internes
. Ceux-ci visent d’une part à optimiser l’information du
collège dans de tels cas et d’autre part à améliorer la
collaboration interdépartementale.

Composées de membres d’une même Chambre, les commissions parlementaires examinent des dossiers faisant partie de leur champ de compétence.

Les Commissions de gestion (CdG) exercent, sur mandat des Chambres fédérales, la haute surveillance parlementaire sur la gestion du gouvernement et de l’administration fédérale, des tribunaux fédéraux et des autres organes auxquels sont confiées des tâches de la Confédération.

Il existe 12 commissions permanentes pour chaque Chambre. Celles du Conseil national (Chambre du peuple) comptent 25 membres; celles du Conseil des Etats (Chambre des cantons ou Sénat) 13 membres.

Leur composition reflète les forces politiques en présence au Parlement.

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