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La finance se découvre une fibre écologique

Pour certains, la Suisse pourrait devenir un pays pionnier pour l'investissement dans les technologies vertes. Keystone

La Suisse, et notamment Genève, sont en train de devenir un centre pour la finance verte. Un secteur prometteur, qui jouera un rôle déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique.

La firme genevoise QuadiaLien externe s’est spécialisée dans le soutien financier aux sociétés qui ont «un impact positif». Cavendish Kinetics, une entreprise qui a développé une technologie pour prolonger la durée de vie des batteries pour téléphones portables en améliorant l’efficacité de leur gestion des données, en fait partie.

Si les usagers de smartphones seront surtout soulagés dans l’immédiat de devoir recharger leur appareil moins souvent, ils profiteront également à l’avenir les effets sur l’environnement de cette avancée, pense Guillaume Taylor, de Quadia, interrogé par swissinfo.ch.

Pour éviter une hausse de 2 degrés de la température sur le plan mondial, il faudra investir au moins un milliard de dollars par an dans ce genre de technologies vertes, selon Christiana Figueres, la secrétaire exécutive de la Convention-Cadre des Nations uniesLien externe sur les changements climatiques.

Or, Genève est bien placée pour prendre la tête de ce mouvement. En décembre, lors du sommet de Lima sur le changement climatique, la ministre suisse en charge de l’environnement Doris Leuthard a dit à swissinfo.ch que la finance verte représente une opportunité de taille pour les sociétés genevoises actives sur le secteur émergent de la finance durable.

Croissance et écologie

Quadia fait partie des membres fondateurs de Sustainable Finance GenevaLien externe, une association regroupant des investisseurs qui partagent un intérêt pour ces questions. Elle compte désormais 250 membres.

«L’économie se trouve au centre de notre stratégie, explique Guillaume Taylor, qui a autrefois œuvré comme gestionnaire de portefeuille auprès d’une banque privée. Nous cherchons à réduire l’impact environnemental des activités économiques sans pour autant mettre en danger la croissance, un concept surnommé ‘decoupling’.»

Mais il s’interroge: «La progression du PIB est-elle vraiment si cruciale? Ne peut-on pas imaginer une croissance fondée sur d’autres formes de capital?» Les biens environnementaux comme l’air, l’eau et la nature, dont nous dépendons tous, devraient se voir attribuer une valeur monétaire, estime-t-il.

«La croissance économique n’a aucun sens si elle s’accompagne de la destruction de l’environnement, car cela engendre de la croissance négative, poursuit-il. Nous devons redéfinir la notion de croissance et celle des retours financiers, ainsi que les instruments que nous utilisons pour les mesurer et la valeur quantitative des indicateurs employés.»

Les atouts de Genève

La finance représente certes la source de bien des problèmes liés à la croissance, mais «elle pourrait aussi faire partie de la solution», selon lui. Sa firme se tourne toujours plus souvent vers des entités liées au monde des affaires pour lever des fonds et trouver des investisseurs prêts à financer ses projets dans le domaine de la durabilité.»

De plus en plus de grands établissements bancaires à Genève, mais aussi à Zurich, ont créé un département ou engagé des conseillers dévolus à la finance verte. «Le secteur financier helvétique y trouve son compte», estime Anton Hilber, en charge des questions de changement climatique auprès de la Direction du développement et de la coopération (DDCLien externe). Le gouvernement est «ravi» de voir les banques «établir des stratégies et se positionner» dans le domaine de la finance verte, au vu des défis qu’elles affrontent.

«Genève a beaucoup d’atouts, estime Bertrand Gacon, le président de Sustainable Finance Geneva. La ville cumule de nombreuses organisations internationales, des ONG spécialisées, des fondations et une importante expertise financière.» A tel point qu’elle s’est retrouvée en lice en 2012 pour accueillir le siège du Green Climate Fund, qui a finalement été attribué à Incheon, en Corée du Sud.

Une conférence genevoise

Genève sera l’hôte d’une conférence de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 8 au 13 février 2015. Cette dernière, dont le secrétariat se trouve à Bonn, en Allemagne, a 196 états parties – soit pratiquement tous les pays du monde. Il s’agit du traité parent du protocole de Kyoto de 1997, qui a pour but de réduire les gaz à effets de serre responsables du réchauffement climatique.

La conférence genevoise est une session de négociations destinée à préparer le terrain en amont du sommet sur le climat de Paris, en décembre. Celui-ci a pour objectif de déboucher sur un accord pour stabiliser les émissions de gaz à effet de serre à un niveau qui permette de limiter les changements climatiques provoqués par l’homme, et donc le réchauffement excessif de la planète.

La conférence suisse durera six jours et devrait donner lieu à un texte semi-abouti qui fera l’objet de négociations plus poussées lors du sommet. L’un des points forts de la rencontre sera le débat sur les Contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN).

Il s’agit des promesses financières que les états parties annoncent publiquement et qui serviront à mettre en œuvre la stratégie de défense du climat, ouvrant la voie à un avenir avec moins de gaz à effets de serre.

Un secteur à 57 milliards

L’ONU a développé une initiative basée à Genève sous l’égide de son Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP), appelée Finance InitiativeLien externe, pour encourager la finance durable. Il s’agit d’un partenariat public-privé entre l’organisation internationale et le secteur financier.

L’an dernier à Davos, elle a lancé une enquête, qui doit durer 15 mois, pour identifier comment réformer le cadre réglementaire en vigueur afin de mieux intégrer les préoccupations liées au changement climatique à la finance. La Finance Initiative de l’UNEP est soutenue par la DDC.

Le secteur de la finance durable pèserait 57 milliards de francs, selon la dernière évaluation publiée en 2013. Une nouvelle version de cette étude devrait voir le jour en mai.

«Mais comme il n’existe pas d’obligation de déclaration, il n’est pas toujours aisé de quantifier la finance verte et d’obtenir des chiffres précis, rappelle Anton Hilber. Et de nombreuses firmes tiennent à préserver la confidentialité de leurs données.»

Les promesses de Paris 2015

Le secteur privé doit recevoir des signaux positifs. «C’est la seule façon de l’encourager à adopter davantage de mesures pour lutter contre le changement climatique», ajoute le représentant de la DDC.

Les participants à la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui se tiendra fin 2015 à Paris, devraient y contribuer. En 2009 déjà, ils s’étaient engagés à investir 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, si l’on inclut les fonds privés. Il pense qu’ils «renouvelleront cet engagement».

Il paraît toutefois improbable que le sommet onusien de décembre n’accouche d’un accord international contraignant, selon Anton Hilber. «Cette convention-cadre est largement fondée sur les promesses financières déterminées sur le plan national, qui sont accompagnées d’un certain nombre d’incitations et de règles pour encourager le secteur privé à promouvoir de nouvelles technologies», détaille-t-il.

Les obligations vertes

Cette approche bottom-up, symbolisée par des objectifs nationaux (les Contributions prévues déterminées au niveau national ou CPDN), est complétée par un accord international top-down qui prévoit de limiter la hausse moyenne de la température sur le plan mondial à 2 degrés.

Sur le plan de la finance verte, le marché des obligations vertes, soit les prêts aux entreprises investissant dans des technologies écologiques appuyés par des institutions financières, a triplé, fait remarquer Anton Hilber. L’an dernier, la Banque européenne d’investissement (BEI) a publié son premier instrument de ce type, ce qui a placé 388 millions de dollars dans le giron de plusieurs banques suisses, dont Credit Suisse.

Même s’il est prometteur, le marché de la finance durable suisse reste relativement neuf. «Et le secteur bancaire helvétique n’est pas encore entièrement remis sur pied, note le responsable. Il a encore pas mal d’incendies à éteindre.» Il reste pourtant confiant: «Les choses avancent dans la bonne direction.»

(Traduction de l’anglais: Julie Zaugg)

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