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La France va restreindre les droits des étrangers

En matière d'étrangers, la France a surtout fait parler d'elle à cause de l'expulsion des Roms au cours des derniers mois. Keystone

Alors que les Suisses se prononcent le 28 novembre sur le renvoi des criminels étrangers, l’Assemblée nationale française a voté un projet de loi combattant l’immigration irrégulière. Le texte vise aussi les étrangers délinquants. Et étend la déchéance de la nationalité!

Le 12 octobre dernier, alors que les médias ne parlaient que du projet de réforme des retraites, l’Assemblée nationale adoptait discrètement un projet de loi sur l’immigration. Conçu par l’ancien socialiste Éric Besson, ministre de l’Immigration et de l’identité nationale, le texte restreint, sur des domaines sensibles, les droits des étrangers.

Un projet «pollué»

Étienne Pinte a voté contre le projet. L’ancien maire de Versailles, député des Yvelines, n’est pourtant pas un homme de gauche. Il est membre du parti majoritaire UMP et fut un proche collaborateur du gaulliste Alain Peyrefitte.

«Au départ, il s’agissait simplement de transposer trois directives européennes», rappelle Étienne Pinte. À l’arrivée pourtant, «par opportunisme et pour racoler les électeurs de l’extrême droite», le projet, qui doit encore passer devant le Sénat, est «pollué» par des articles très défavorables aux étrangers, estime le député.

Dans la ligne de mire d’Éric Besson et du gouvernement: les étrangers en situation irrégulière bien sûr. C’est l’obsession de Nicolas Sarkozy depuis son arrivée au ministère de l’Intérieur en 2002, puis à l’Élysée en 2007.

D’après le Bureau international du travail (BIT), la France compterait quelque 400’000 «clandestins». Selon le projet de loi, les sans-papiers pourront être privés de liberté dans des centres de rétention jusqu’à 45 jours, avant un éventuel renvoi. Les expulsés ne pourront plus, sauf exception humanitaire, revenir sur le territoire français pendant plusieurs années.

Raisons électorales

Et les quotas continueront. Les quotas? Ce sont ces fameux objectifs de reconduites à la frontière fixés par le ministère de l’Intérieur. Pour 2010: 28’000. On y est presque! 21’385 personnes ont été renvoyées au 1er octobre. «Je peux comprendre que l’on soit amené à renvoyer des étrangers en situation irrégulière, remarque Étienne Pinte. Mais la notion de quotas me choque. Quotas laitiers d’accord, mais pas quotas d’étrangers.»

«Il s’agit de faire du chiffre, pour de basses raisons électorales, estime Claire Rodier, juriste au Groupe d’informations et de soutien des immigrés (GISTI). D’ailleurs, les chiffres sont artificiellement gonflés. Pour atteindre le quota, on est obligé de renvoyer des Roms roumains ou bulgares, qui ont le droit de revenir aussitôt. Absurde.»

Le projet de loi ne se limite pas aux sans-papiers, et c’est là la grande nouveauté. Comme l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) en Suisse, une partie de la droite française joue sur l’amalgame délinquance-immigration. C’est Nicolas Sarkozy lui-même qui a montré l’exemple.

Fin juillet, dans un discours à Grenoble qui a fait suite à des journées de violences, le Président brise un tabou. «La nationalité française se mérite. Il faut pouvoir s’en montrer digne. Quand on tire sur un agent chargé des forces de l’ordre, on n’est plus digne d’être Français», estime alors le chef de l’État.

Déchéance de la nationalité

Nicolas Sarkozy ressuscite ainsi une idée presque aussi populiste que la peine de mort: la déchéance de la nationalité française. Et opère du même coup une distinction assez trouble entre Français «de souche» et Français d’origine étrangère. De quoi rappeler une période sombre, quand le régime de Vichy retirait la nationalité française à des milliers de personnes, en majorité des Juifs.

Symboliquement, la mesure, reprise par le projet de loi, est forte. Dans la pratique pourtant, elle sera très limitée. «Il s’agit surtout d’un effet d’annonce, à visée électorale», résume Claire Rodier.

La déchéance de la nationalité, appliquée aujourd’hui aux auteurs d’actes terroristes, pourra s’étendre aux Français naturalisés depuis moins de 10 ans et condamnés pour meurtre de policiers.
Le projet Besson concerne aussi les étrangers délinquants, certes de manière plus feutrée que l’initiative de l’UDC en Suisse. On ne pourra renvoyer que ceux présents depuis moins de trois ans sur le territoire français.

Chasse aux sorcières

«Ce que je déplore, c’est l’atmosphère de chasse aux sorcières», note Etienne Pinte. Quand Nicolas Sarkozy est devenu ministre de l’intérieur en 2002, le député l’a convaincu de restreindre la «double peine». C’est-à-dire la faculté d’un juge de renvoyer un étranger au terme de sa peine de prison. Aujourd’hui, le climat a bien changé.

Pour autant, la France fait-elle partie du clan des Etats les plus répressifs en Europe à l’égard des étrangers, notamment ceux en situation irrégulière?

«Difficile à dire, estime Claire Rodier. Les Pays-Bas et le Danemark sont clairement plus restrictifs en matière de regroupement familial, par exemple. La France est plus comparable à l’Italie, avec ce petit bémol: chez nous, il existait jusqu’à présent un véritable encadrement judiciaire, qui permettait aux juges de contester les décisions administratives. Alors qu’en Italie, l’action du juge est purement formelle. Mais c’est justement cet État de droit qui est en train d’être grignoté.»

La déchéance de nationalité est étendue aux Français naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés pour meurtres, et tentatives, sur des «personnes dépositaires de l’autorité publique» (gendarmes, policiers, pompiers…).

Des zones d’attente spéciales, à l’instar de celles existant dans les aéroports, peuvent être créées pour faire face à l’arrivée «d’un groupe d’au moins dix étrangers en dehors d’un point de passage frontalier en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres». La zone s’étend du lieu de découverte jusque la frontière la plus proche.

Un étranger, européen ou non, présent depuis plus de trois mois, mais moins de trois ans, pourra être reconduit à la frontière en cas de «menaces à l’ordre public» notamment pour des infractions de vols, de mendicité agressive ou encore dans le cas d’occupation illégale d’un terrain public ou privé.

Obligation, sauf raison humanitaire, de notifier une interdiction de retour sur le territoire français à un étranger qui s’y est maintenu au-delà du délai de départ volontaire.

La durée de la rétention administrative passe de 32 à 45 jours maximum. Le juge administratif se prononcera avant le juge judiciaire (juge des libertés et de la détention).

Les étrangers demeurent ultra-minoritaires en France: 3,65 millions de personnes, sur plus de 63 millions, soit 5,8% de la population au recensement de 2006.

C’est certes plus qu’en 1999 (5,5%), mais on est encore loin de l’«envahissement».

La carte révèle des pointes en Guyane, cas très particulier, et en Ile-de-France, dont cinq départements accueillent plus de 10% de non-nationaux.

Pour le démographe Hervé Le Bras, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, «on peut parler de ghettoïsation en région parisienne, car la concentration d’immigrés s’accroît dans la partie la plus populaire, le nord-est de Paris et la Seine-Saint-Denis, quand elle recule dans les beaux quartiers, notamment dans les Yvelines et les Hauts-de-Seine».

Globalement, cette population est plus présente dans les régions très urbaines (Alsace, Rhône-Alpes, Paca, Languedoc-Roussillon), mais l’évolution observée entre les recensements de 1999 et 2006 montre, selon Hervé Le Bras, «un étalement de la population étrangère, qui se diffuse plus facilement dans les régions de l’Ouest, où elle était absente, un phénomène sans doute accentué par l’arrivée de ressortissants européens». (L’EXPRESS)

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