Des perspectives suisses en 10 langues

La francophonie fait son cinéma à Locarno

Image de "L'Avocat", film francophone de Cédric Anger présenté dans le cadre de la journée de la francophonie sur la Piazza Grande lundi soir. pardo.ch

A mi-octobre, la Suisse organise le prochain Sommet de la Francophonie. Lundi, le Festival de Locarno faisait office d’avant-poste. Entre projections et petits fours, une dizaine d’acteurs de la branche ont tenté de dessiner quelques lignes de force de la francophonie dans le cinéma.

Le moins que l’on puisse dire est que la francophonie n’a rien d’une réalité monolithique, qui mettrait tout le monde d’accord. La francophonie, c’est à la fois une langue et une réponse au formatage et à l’uniformisation. C’est aussi un cadre administratif parfois vécu comme trop contraignant par les acteurs de la branche.

Et c’est encore l’espoir de se profiler dans la mondialisation du cinéma, le parangon du centralisme parisien, l’accomplissement des nécessaires coproductions, de l’argent, une chance de mieux diffuser les films…

Une dizaine d’acteurs du milieu – producteurs, réalisateurs, administratifs – étaient donc réunis en table ronde lundi autour du critique Jean-Michel Frodon, ex des Cahiers du cinéma, ex du Monde, aujourd’hui passé sur le Net.

La francophonie pour le cinéaste algérien Yanis Koussim? Avant tout un public qu’une même langue réunit. En gros, un marché-cible. Son collègue burkinabé Gaston Kaboré en fait une «association d’histoires, d’imaginaires et de cultures différentes qui ne se limite pas au français, un partage de valeurs».

Le français, en réalité, n’est pas un passage obligé. «Etre francophone et respecter les œuvres, cela veut dire qu’il faut parfois ne pas tourner en français», assure Denis Delcampe, qui a produit des films en plusieurs langues mais se revendique Belge francophone.

«L’exigence des dialogues en français [pour obtenir les aides de l’Organisation de la Francophonie (OIF), absente lors de cette table ronde] amoindrit la qualité des films. Elle va à l’encontre de leur sincérité», appuie Yanis Koussim.

Selon Pierre-Alain Meier, la France adopte une vue large lorsqu’elle aide les films du Sud et se passe du français au profit des langues locales. Dans le Nord, c’est une autre paire de manches, observe le producteur suisse. Il note d’ailleurs que «lorsqu’un projet ne se décide pas à Paris, il est difficile de convaincre les élites parisiennes de le démarrer.»

Un «exercice de volonté»

Ce centralisme parisien, le Français Antoine de Clermont-Tonnerre ne le nie pas. Mais il en appelle à voir plus large. La francophonie doit, pour lui, être un «exercice de volonté» permettant aux cinématographies francophones de vivre dans le monde qui émerge, de la Chine à l’Inde en passant par la Russie. «Dans le monde de demain, les grands ensembles n’ont pas l’habitude d’entendre le français. Il y a exigence à s’adapter au monde qui ne nous attend pas.»

Un exercice commun de volonté que la France ne facilite pas. Plusieurs producteurs critiquent en effet la mécanique des crédits d’impôt, qui incite à utiliser des techniciens français et réduit les possibilités de coproductions avec les autres pays francophones.

«Il existe en Europe une concurrence fiscale au niveau du cinéma, recadre Antoine de Clermont-Tonnerre, qui dirige aussi Unifrance, l’organe de promotion du cinéma français dans le monde. Les choses doivent changer pour que tout le monde soit mis sur pied d’égalité.»

Si les coproductions vivent des temps difficiles, plusieurs acteurs, dont l’Office fédéral de la culture, viennent de créer un Fonds Francophone d’Aide au Développement Cinématographique géré par le Festival de Namur. Le but de ce fonds? Renforcer les échanges créatifs en matière de longs métrage de fiction de langue française.

Car tout le monde est d’accord pour reconnaître les mérites des coproductions. En Belgique, où neuf films sur dix sont des coproductions avec d’autre (s) pays, le directeur de l’organe de promotion Wallonie Bruxelles Images Eric Franssen assure que la francophonie est une «réalité industrielle» du cinéma. Elle se concrétise dans les échanges de moyens financiers et de celui des compétences. Il suffit d’observer les techniciens européens actifs en Algérie par exemple.

Les frères Dardenne Français

Cette francophonie du cinéma accouche aussi d’un élargissement du marché des films coproduits, à l’échelle des pays coproducteurs mis en commun comme à l’échelle mondiale. «Même si c’est dur pour nous, il vaut mieux que les frères Dardenne existent comme Français en Russie, plutôt que pas du tout, plaisante Eric Franssen. La francophonie du cinéma existe vraiment, davantage par exemple qu’en musique, où l’exigence de moyens est moindre.»

La diffusion des films est une autre inquiétude, au Québec notamment. «Je parie qu’on verra très peu des films montrés à Locarno en salle», lance Christian Verbert. Ce représentant du cinéma de la Belle-Province en Europe propose aux Francophones un appel en faveur de la circulation des œuvres d’auteur. «Les autres cinématographies – allemande, italienne, etc – doivent y répondre.»

La vidéo à la demande est une piste de plus en plus souvent explorée en cette matière de la diffusion. Afin que ses films (en quatre langues) soient vus, la Suisse s’est d’ailleurs entendue avec la chaîne francophone TV5 et ficèle actuellement un projet que d’autres déclineront différemment. Unifrance par exemple prévoit pour janvier prochain un festival de cinéma sur internet.

En dehors du Net, l’Afrique est un autre vecteur de dynamique envisagé pour la francophonie. Gaston Kaboré salue les aides de l’OIF au cinéma africain, qui font office de déclencheur pour d’autres financements. Mais si des initiatives Sud-Sud sont en cours, l’OIF doit «aller plus loin et aider les pays francophones du sud à mieux structurer leur cinématographie», juge le réalisateur burkinabé.

Et là, tout le monde semble d’accord. Vu le fort potentiel de développement du continent, résume Antoine de Clermont-Tonnerre, «aider le cinéma africain et l’Afrique à décoller, en français et dans ses autres langues, est dans l’intérêt bien compris de la francophonie».

Pierre-François Besson, Locarno, swissinfo.ch

La première affiche d’Olivier Père propose 290 films contre 400 l’année dernière.

Cinquante avant-premières mondiales (du jamais vu) et une vingtaine de premiers films sont présentés dans toutes les sections.

Le concours international compte 18 films en provenance du monde entier. Deux films suisses sont en lice pour le Léopard d’or.

L’Excellence Award a été attribué Chiara Mastroianni. Deux Léopards d’honneur sont au menu surtout pour le Suisse Alain Tanner et le Chinois Jia Zhang-ke.

Du 22 au 24 octobre 2010 (année du 40ème anniversaire de l’OIF), la Suisse accueille à Montreux le 13e Sommet de la Francophonie.

A cette occasion, les chefs d’Etat et de gouvernement adopteront une déclaration sur les thématiques abordées.

Ils éliront aussi les Secrétaire-général de l’OIF (Abdou Diouf est parvenu au terme de son 2e mandat; il s’est déclaré disponible pour un nouveau mandat).

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