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La Genève internationale pleure Floribert Chebeya

Réfugiés de RDC faisant la queue pour fuir les violences interethniques au Congo voisin. AFP

Le corps sans vie de Floribert Chebeya, a été retrouvé dans sa voiture près de Kinshasa. Abasourdis, la diaspora congolaise, les milieux des droits de l’homme et l’ONU demandent une enquête impartiale aux autorités. La Suisse aussi. Défenseur des droits humains, il venait régulièrement à Genève.

Une vague d’indignation a parcouru les milieux des droits de l’homme, ainsi que la diaspora congolaise, à Genève et dans le monde, à la nouvelle de l’assassinat de l’une des figures des libertés en République démocratique du Congo (RDC).

Floribert Chebeya Bahizire, 47 ans, père de cinq enfants, a été retrouvé mort dans sa voiture mercredi matin, dans des conditions non encore élucidées. Il était le directeur et fondateur de «La Voix des Sans Voix» (VSV), une organisation de droits de l’homme internationalement reconnue pour son sérieux et son intégrité.

Le militant congolais était très respecté par les défenseurs des libertés dans le monde et particulièrement à Genève, où il venait chaque année assister à la Commission puis au Conseil des droits de l’homme.

Un message clair

Jeudi après midi, dans un communiqué, la Haut Commissaire aux droits de l’homme, Navi Pillay, regrettait la disparition «d’un des plus grands défenseurs des droits de l’homme de la RDC… J’exhorte les autorités à enquêter rapidement et rigoureusement sur la mort de Chebeya Bahizire et à ne ménager aucun effort pour s’assurer que les responsables soient traînés en justice», a-t-elle ajouté.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est aussi déclaré «profondément choqué».

Le même jour au Palais des Nations, où se déroule la 14e session du Conseil des droits de l’homme, plusieurs experts indépendants lui ont rendu publiquement hommage. Parmi eux, le Guatémaltèque Frank La Rue, rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté d’opinion et d’expression, et l’Australien Philip Alston, rapporteur spécial sur les exécutions arbitraires et extrajudiciaires.

«Le Conseil des droits de l’homme ne peut laisser l’investigation aux seules mains du gouvernement de RDC, qui semble impliqué dans ce qui paraît bien être une liquidation, nous a affirmé Philip Alston. La mort de ce fleuron des droits de l’homme est un message symbolique clair pour tous les défenseurs des libertés dans le pays. Nous ne pouvons laisser passer cela.»

Une mystérieuse convocation

Selon un collectif d’ONG congolaises, Floribert Chebeya aurait été retrouvé tôt mercredi matin sur la banquette arrière de son véhicule, les mains menottées derrière le dos, le pantalon et le sous-vêtement rabaissés sur les genoux, sur une route à l’ouest de Kinshasa.

Mardi après-midi, il avait reçu une convocation l’invitant à se rendre auprès de l’inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), le Général John Numbi Banza Tambo, pour un motif qui devait lui être communiqué sur place.

Il s’est donc rendu dans les bureaux de l’IG/PNC à Kinshasa, vers 17 heures, en compagnie de Fidele Bazana Edadi, membre et chauffeur de la VSV. Peu avant 20 heures, son épouse a reçu plusieurs messages SMS de Floribert Chebeya, l’informant qu’il n’avait pu rencontrer l’inspecteur général et qu’il se rendait à l’Université pédagogique nationale. Depuis, ses proches sont restés sans nouvelles. Son chauffeur est toujours porté disparu.

Un pilier de l’OMCT

«Nous sommes sous le choc, confie Eric Sottas. Floribert est un ami, je le connais depuis quinze ans. C’était un homme très discret et modeste, mais très tenace et rigoureux, dévoué aux droits de l’homme, respecté et reconnu partout dans le monde. Il est aussi membre de l’Assemblée générale de l’OMCT. A ce titre, il était reconnu par les autres organisations africaines comme digne de les représenter.»

Et le président de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) de préciser: « Nous étions en contact quotidien car nous sommes en train de rédiger un rapport sur les défenseurs des droits de l’homme. Il était pour nous un pilier, à la fois une source d’information, mais aussi le canal par lequel nous vérifiions nos autres sources.

Il se battait pour obtenir des autorités de RDC qu’elles répondent aux standards des institutions internationales en appliquant les recommandations dans le cadre du système de l’ONU.»

Mission avec Dick Marty et Dimitri

«C’était aussi par lui que nous faisions passer l’aide aux victimes. La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était ce printemps lors de notre mission de solidarité en RDC avec Dick Marty et Dimitri.» La délégation avait, à son retour, dénoncé les viols brutaux de femmes et d’enfants en RDC, ainsi que les dangers qui pèsent sur les défenseurs des libertés (voir article en relation).

«Il faisait l’objet de menaces, poursuit Eric Sottas, mais nous pensions que son aura internationale le protègerait. C’est ce que nous avons aussi pensé lorsqu’il a reçu la convocation mardi, sans qu’on lui en donne le motif. Mais quand, le lendemain, nous étions toujours sans nouvelles, nous avons contacté l’ambassade suisse sur place, qui s’est aussi mobilisée pour avoirs des informations plus claires.

Pour l’instant, la famille n’a toujours pas pu identifier le corps. Selon les membres de son organisation, il n’y avait pas de traces de balles ni de sang sur la voiture. Nous craignons surtout que la réalité soit maquillée.»

Pour Adrien-Claude Zoller, président de «Genève pour les Droits de l’Homme» – une association qui forme les membres des ONG sur le fonctionnement de l’ONU -, Floribert Chebeya était l’homme clé des réseaux de droits de l’homme en RDC. «Je l’ai eu dans mes cours dès le début des années 1990, se souvient-il. C’était une personne d’une très grande qualité.»

Adrien-Claude Zoller rappelle qu’en 2007, le Conseil des droits de l’homme avait décidé de mettre fin au mandat du rapporteur spécial sur la RDC, cela malgré 3 millions de morts dans le pays. Il fustige au passage le Conseil pour son manque de cohérence dans la protection des défenseurs des libertés dans le monde.

Carole Vann, InfoSud / swissinfo.ch

Consternée. Vendredi, dans un communiqué du Département fédéral des affaires étrangères, la Suisse se dit «consternée» par le décès de Floribert Chebeya et rend hommage à cet homme «reconnu pour sa rigueur et son engagement qui lui ont valu de nombreuses intimidations au cours des dernières années».

Solidarité. Les autorités congolaises sont priées d’enquêter sur les circonstances de ce drame. Berne présente en outre ses condoléances à la famille et exprime sa solidarité avec toutes les organisations congolaises actives dans les droits humains.

Victimes civiles. Dans un rapport publié mercredi, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, Philip Alston, s’alarme de l’augmentation des violences contre les civils dans la zone frontalière entre la RDC, le Soudan et de la République Centrafricaine. Ces attaques sont attribuées à l’Armée de Résistance du Seigneur, aux Forces démocratiques de Libération du Rwanda, ainsi qu’à l’armée nationale congolaise.

Crimes contre l’humanité. En mars, un rapport accablant présenté par sept experts de l’ONU au Conseil des droits de l’homme confirmait que des membres des Forces armées de la RDC, de la Police nationale congolaise, de l’Agence nationale de renseignements sont responsables d’exécutions sommaires, de violences sexuelles, de tortures et de mauvais traitements. En outre, des groupes armés tels que l’Armée de résistance du Seigneur et les Forces démocratiques de libération du Rwanda commettent des atrocités qui violent gravement le droit humanitaire et qui, dans certains cas, pourraient constituer des crimes contre l’humanité.

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