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La médecine pour seniors rebute les jeunes

Le besoin de médecins capables de soigner les personnes âgées grandit au fur et à mesure que la population vieillit. Mais le métier de gériatre peine à attirer de nouvelles recrues, qui préfèrent se tourner vers des spécialisations plus prestigieuses.

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L’unité des soins intensifs de l’Hôpital universitaire de Berne bruisse d’activité. Des infirmières vérifient les moniteurs et changent les pansements de patients connectés à des machines qui émettent des bips. Un groupe de médecins passe de lit en lit, transmettant des instructions à l’équipe qui s’apprête à reprendre l’un des trois services quotidiens.

Parmi les 51 lits de l’unité, «40 à 45 sont en général occupés», indique Stephan Jakob, le médecin-chef en charge de l’équipe interdisciplinaire en soins intermédiaires. Et l’âge moyen des patients ne cesse d’augmenter.

«Il y a dix ans, il dépassait à peine 60 ans, précise-t-il. Aujourd’hui, il est de 65 ans, mais avec d’énormes variations, pouvant aller jusqu’à 90-95 ans. Et on fait subir des procédures à cette patientèle vieillissante – comme les transplantations, les traitements invasifs en cas d’attaque cérébrale ou la pose d’un cœur artificiel – qui n’auraient pas été proposées autrefois.»

Ces malades passent aussi plus de temps à l’hôpital que les plus jeunes. «Nous avons donc besoin de plus de lits», relève Stephan Jakob.

La naissance de la gériatrie

La médecine gériatrique a vu le jour en Grande-Bretagne à la fin du 19e et au début du 20e siècle. En 2012, les gériatres représentaient le plus important groupe de praticiens au sein du Collège royal de médecine (1252 sur 12’221).

En Suisse, cette discipline est relativement nouvelle, par contre. Fondée en 1953, la Société suisse de gérontologie est une organisation nationale centrée le vieillissement et le troisième âge. Elle compte 1400 membres, mais seuls 300 d’entre eux sont des gériatres, regroupés au sein de la Société professionnelle suisse de gériatrie, un organisme affilié.

Il a fallu attendre 2000 pour que la Fédération des médecins suisses développe une spécialisation en gériatrie sur trois ans pour les médecins formés en médecine interne générale, sous l’égide de l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue.

Maladies simultanées

La plupart des problèmes de santé associés au grand âge font leur apparition bien avant, lorsque les gens ne se perçoivent pas encore comme âgés. Un Suisse sur cinq de 50 ans et plus souffre d’au moins deux maladies chroniques simultanées, selon l’Observatoire suisse de la santéLien externe. Et en 2012, un cinquième des patients dans les unités de soins intensifs helvétiques étaient âgés de 75 à 84 ans. A titre de comparaison, en Grande-Bretagne, l’âge moyen des malades hospitalisés est de plus de 80 ans.

 «La prise en charge de ce type de patient nécessite un certain bagage technique, note Thomas Münzer, président de la Société professionnelle suisse de gériatrieLien externe et médecin-chef à l’hôpital de Saint-Gall. Ils ont en général trois ou quatre problèmes médicaux simultanés, qui doivent être traités avec beaucoup de précautions. Il faut notamment connaître la biologie du vieillissement et savoir ce qui différencie le fonctionnement d’un corps âgé de celui d’un corps jeune.»

 Pour poser un diagnostic et administrer des soins aux personnes âgées, il faut disposer de certaines compétences et savoirs spécialisés, qui doivent d’abord être acquis, rappelle Andreas Stuck, qui dirige le Département de gériatrie de l’Hôpital universitaire de Berne. Les médecins en formation doivent par exemple comprendre comment la maladie se manifeste chez les seniors.

Ils doivent aussi apprendre à communiquer. Et ils doivent être capables d’empoigner des questions éthiques, comme le fait de «choisir entre une approche proactive assortie d’un traitement intense ou des soins palliatifs pour soulager la douleur chez une personne de 90 ans», complète le médecin.

Formation inégale

Andreas Stuck a entrepris de standardiser la formation des étudiants de médecine en gériatrie avec un groupe de chercheurs européens. Pour ce faire, ils ont interrogé 49 experts dans 29 pays.

Cela leur a permis de développer une liste en dix points qui résume les connaissances et compétences minimales que les futurs médecins doivent avoir acquis à l’issue de leurs études. «La mise en œuvre de ces exigences demandera de grands efforts, au vu des importantes divergences dans la qualité de l’enseignement en gériatrie entre les universités», conclut l’étude, publiée en mars 2014.

Les jeunes médecins ne sont pas les seuls à devoir acquérir de nouvelles compétences. Leurs collègues plus âgés sont également confrontés, tout au long de leur carrière, à des patients du troisième âge, fait remarquer Andreas Stuck.

Spécialisation mal aimée

Les gériatres – spécialisés dans la prise en charge des personnes âgées – œuvrent dans différents services et types d’établissements, en hôpital, dans les maisons de retraite ou encore dans les services de soins palliatifs et de longue durée. Ils sont également impliqués dans la supervision des soins prodigués et dans l’enseignement de la gériatrie.

On peut raisonnablement exiger que les départements de gériatrie des hôpitaux universitaires soient dirigés par un gériatre, estime Jürg Schlup, président de la Fédération des médecins suissesLien externe. Mais il a fallu attendre 2014 pour que l’ensemble des facultés de médecine helvétiques disposent d’une chair consacrée à cette spécialisation. «Nous sommes vraiment à la traîne en matière de formation et d’éducation», glisse Thomas Münzer.

En Suisse, les seniors ne sont pas toujours traités par un gériatre. «La majorité des soins prodigués aux personnes âgées le sont par des médecins de famille, par des praticiens hospitaliers ou par d’autres spécialistes à qui l’on a confié la prise en charge de ce genre de patients, dit Andreas Stuck. Quelle que soit la spécialisation choisie par un étudiant en médecine, il faut donc lui faire suivre une formation en gériatrie qui couvre ses études pré- et postgrade.»

Les maladies provoquées par le vieillissement

Les chutes et les fractures

L’incontinence

La malnutrition

L’ostéoporose

La maladie de Parkinson

La démence, y compris la maladie d’Alzheimer

Les escarres (pour les patients alités)

La prise simultanée et les interactions entre divers médicaments

La perte d’autonomie

Le processus de la mort

Pénurie de médecins

Cette situation pénible est encore compliquée par la pénurie des médecins qui sévit en Suisse. «Celle-ci est due à un manque d’étudiants en médecine, à la hausse de la demande pour des soins au fur et à mesure que la population vieillit, à l’augmentation des praticiens travaillant à mi-temps et à la baisse du  nombre d’heures maximales qu’un médecin a le droit d’accomplir chaque semaine, qui sont passée de 60 à 50 en 2005», détaille Jürg Schlup.

Aujourd’hui, près d’un tiers des médecins pratiquant en Suisse provient de l’étranger. «D’ici dix ans, cette proportion atteindra sans doute 50%», ajoute-t-il.

Les différentes spécialisations médicales se battent déjà pour attirer de jeunes médecins. «Dans les départements de chirurgie, de médecine interne ou de dermatologie, la compétition est rude pour recruter des étudiants», indique Jürg Schlup. Cela laisse encore moins de candidats potentiels pour la gériatrie.

«Nous cherchons désespérément de jeunes praticiens prêts à se former en gériatrie», confirme Thomas Münzer. Mais les étudiants en médecine «ont plutôt envie de pratiquer la médecine sportive, l’ophtalmologie ou la neurochirurgie ou autre chose, poursuit-il. Personne ne décide à l’origine de devenir gériatre, mais certains se tournent vers cette spécialisations plus tard dans leur carrière.»

«Intriguant et fantastique»

Gianna Negri, une jeune médecin-assistante qui officie dans le département de gériatrie de l’Hôpital Ziegler de Berne, n’a pas encore décidé si elle voulait devenir gériatre. Mais elle aime travailler avec les personnes âgées. «Beaucoup de jeunes médecins pensent que cette orientation n’est pas très enthousiasmante, relève-t-elle. Mais je ne suis pas du tout d’accord. Je ne trouve pas cela ennuyeux. Nos journées sont remplies de défis et d’action.»

Andreas Stuck est du même avis: «J’ai l’un des métiers les plus passionnants qui soit», note le médecin qui a commencé à pratiquer la gériatrie dans les années 80.

Thomas Münzer non plus ne regrette pas son choix de carrière. «Ce que nous faisons n’est pas aussi spectaculaire que la chirurgie cardiaque ou la neurochirurgie, souligne-t-il. Nous gagnons aussi moins d’argent. Et les maladies que nous soignons ne sont pas toujours très sexy: la démence, la fragilité, les chutes, les fractures ou l’ostéoporose.»

Mais soigner les personnes âgées est «intriguant et fantastique», continue-t-il. Chaque patient est différent et nécessite une approche individualisée. «Et si on se réfère aux tendances démographiques, c’est clairement un domaine d’avenir», conclut-il.

(Adaptation de l’anglais: Julie Zaugg)

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