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Au CERN, le LHC va tracer la voie pour la physique de demain

Les collisions ont lieu au cœur de détecteurs géants (ici, le CMS), où les particules laissent leur trace. Keystone

Après deux ans de maintenance, le grand collisionneur de hadrons (LHC) s'apprête à redémarrer comme une nouvelle machine, à son énergie maximale cette fois. Dave Charlton, physicien au CERN, donne un aperçu de ce que l’on peut attendre de l’accélérateur de particules le plus puissant du monde.

swissinfo.ch: Le LHC sort juste d’un long sommeil, après une importante opération chirurgicale. Que lui a-t-on fait pour s’assurer qu’il va pouvoir tourner au double de son niveau d’énergie précédent?

Dave Charlton: Le plus gros travail accompli durant ces deux ans au LHCLien externe a été d’ouvrir toutes les connexions entre les aimants supraconducteurs répartis le long de l’anneau pour les tester et les réparer. Cela signifie que le système peut supporter les courants électriques plus élevés nécessaires pour atteindre les énergies supérieures. En ce sens, c’est effectivement une nouvelle machine pour le CERNLien externe.

swissinfo.ch: Quand le LHC tournera-t-il à pleine puissance et pourra générer des collisions d’une énergie de 13 TeV (tera-électron-volts), au lieu des 8 TeV atteints en 2012?

D.C.: Le premier faisceau de protons devrait tourner dans le LHC à fin mars. Nous espérons commencer à faire de la physique avec des faisceaux se collisionnant à ces énergies vers la mi-mai.

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swissinfo.ch: Vous devez être impatients de voir ces premiers résultats… avec potentiellement de nouvelles particules…

D.C.: C’est un moment très excitant. Mais vous devez bien vous rendre compte que chercher les phénomènes que nous sommes particulièrement désireux de trouver prendra du temps. Nous devons réaliser de nombreuses collisions et analyser de nombreux événements pour vraiment nous faire une image de ce qui se passe et rechercher les processus rares.

Nous aurons des résultats cet été. C’est ce qu’on peut raisonnablement espérer. Mais ces résultats ne seront probablement pas des découvertes de nouvelles particules. Cela viendra plus tard, et nous ne savons pas quand. 

Dave Charlton, physicien et porte-parole pour les expériences du détecteur Atlas. cern.ch

swissinfo.ch: On parle beaucoup du fait que le nouveau LHC pourrait faire la lumière sur la matière noire. Qu’en pensez-vous?

D.C.: La matière noire est un vrai problème dans la physique contemporaine. C’est une des grandes énigmes. Nous ne comprenons pas de quoi est fait 95% de l’univers. Par l’observation astronomique, nous savons qu’il y a de la matière noire – probablement cinq fois plus que la matière normale que nous pouvons voir. Alors, qu’est-ce que c’est? Nous ne savons pas. Une des explications très prometteuses, c’est la théorie de la supersymétrie, qui prédit que la matière noire est due à des particules que nous devrions être capables de produire avec le LHC.

Donc, en relançant la machine, nous sommes vraiment curieux de voir si nous pouvons assister à la production de particules de matière noire. C’est le terme générique, mais dans les modèles de supersymétrie, que l’on nomme aussi modèles «SuSy», il y a toutes sortes de noms étranges et merveilleux, comme les charginos, les neutralinos, les gluinos, et ainsi de suite.

swissinfo.ch: La supersymétrie, comment ça marche?

D.C.: La supersymétrie prédit l’existence de tout un ensemble de nouvelles particules que nous n’avons pas encore découvert. On postule qu’il y a un ensemble différent de particules qui auraient à la fois les même propriétés et des propriétés différentes de celles que nous avons pu observer jusqu’ici.

C’est difficile à expliquer en langage de tous les jours, mais pensez que c’est un peu comme il y a un siècle, quand on a commencé à voir qu’il existait de l’antimatière en plus de la matière. L’antiélectron a été découvert au milieu du siècle dernier. On s’est beaucoup posé de questions jusqu’à ce qu’on réalise que c’était un partenaire de l’électron, mais en fait une antiparticule. Si la supersymétrie existe, nous allons trouver tout un ensemble de particules. Elles seront plus lourdes que les particules que nous observons tous les jours, mais ce sera un tout nouvel ensemble.

Mais il est aussi possible que la matière noire s’explique par quelque chose qui n’est pas la supersymétrie, mais qui donnera néanmoins des particules que nous pouvons produire. Il y a tellement de questions ouvertes que nous tentons d’explorer…

swissinfo.ch: Y-a-t-il un risque que vous ne trouviez rien de nouveau?

D.C.: Mais oui, il y a aussi la possibilité que durant les trois ans à venir, nous ne trouvions pas de nouvelle particule en plus de celle [le boson de Higgs] que nous avons déjà découvert [en juillet 2012].

Mais il faut souligner que nous avons une tâche passionnante devant nous, qui sera simplement d’étudier le boson de Higgs. Nous ne savons pas grand-chose de lui. Le modèle standard prédit à quoi il devrait ressembler, mais nous ne sommes qu’au début des mesures de ses propriétés. Les mesurer vraiment et essayer de comprendre mieux cette particule, c’est un programme de 20 ans. Ce pourrait être une fenêtre sur une nouvelle physique. En étudiant ce boson en détail et en le mesurant plus précisément, nous pourrions cerner ce que sera la physique de demain, où ce qui viendra après.

Il pourrait aussi y avoir d’autres bosons de Higgs. La supersymétrie prédit qu’il y en a au moins cinq. Jusqu’ici, pour chaque particule, nous avons trouvé des partenaires plus lourds. Alors peut-être qu’il y a une version plus lourde du Higgs.

Le LHC et ses quatre détecteurs (ATLAS, CMS, LHCb et ALICE) occupe le tunnel circulaire de 27 kilomètres qui servait déjà à son prédécesseur, le LEP. cern.ch

swissinfo.ch: En quoi le fait de faire monter le LHC en puissance vous aide-t-il à trouver de nouvelles particules?

D.C.: Cette année, les plus grands effets que nous allons obtenir seront dus à la plus grande énergie des faisceaux. Avec plus d’énergie dans les faisceaux, nous avons des collisions à plus grande énergie et en vertu de la formule d’Einstein E=mc2, cela signifie qu’elles peuvent produire des particules plus massives. Cela signifie que nous avons une capacité nettement plus forte qu’avant à produire des particules très lourdes. C’est la grande étape que nous allons franchir cette année.

Dans les années suivantes, nous allons encore augmenter l’intensité des collisions et donc récolter encore plus de données et chercher des processus plus rares. Mais le vrai saut, c’est cette année. C’est la plus grande avancée dans le programme LHC.

swissinfo.ch: Comment pourriez-vous décrire l’ambiance dans les différentes équipes du CERN en ce moment?

D.C.: L’excitation est tangible. Les gens sont là 24 heures sur 24, sept jours sur sept. L’état d’esprit est excellent. Tout le monde se réjouit de voir les nouvelles données. Comme la machine a déjà tourné, nous savons qu’elle marche et que nous allons avoir de bonnes données, avec lesquelles nous allons rapidement pouvoir faire de la physique. Donc jusqu’ici, c’est l’excitation qui domine.

Le LHC

Né sur les tables à dessin dès le début des années 80, le LHC a commencé à tourner en 2008 à l’Organisation européenne pour la Recherche nucléaire (CERN). Cette machine à 6 milliards et demi de francs suisses est le plus gros accélérateur de particules jamais construit. Il est installé dans un tunnel de 27 kilomètres de circonférence enterré à 100 mètres sous terre, aux portes de Genève, entre la Suisse et la France,

La machine est principalement faite de deux tubes circulaires où tournent, chacun dans un sens, des faisceaux de protons à haute énergie que l’on fait se collisionner des centaines de fois par seconde. Ces collisions ont lieu dans quatre détecteurs géants où les physiciens cherchent à identifier des particules exotiques. Les faisceaux circulent à une vitesse proche de celle de la lumière, guidés par des milliers d’aimants supraconducteurs.

Le LHC doit encore fonctionner durant 20 ans, avec plusieurs arrêts prévus pour les travaux de maintenance.

(Adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)

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