La Planète des Alphas contre l’illettrisme
Un couple de pédagogues suisses a inventé un alphabet enchanté pour aider les enfants qui ont de plus en plus de peine à apprendre à lire.
Leur technique fait des émules en Europe. Alors que la méthode de l’apprentissage global utilisé dans les écoles montre son inefficacité.
«35% des élèves ont des problèmes d’apprentissage de la lecture. Dans certaines classes primaires la moitié des enfants doivent avoir recours à un logopédiste pour surmonter leurs difficultés. Il y a quand même un problème», s’exclame le philosophe Olivier Dubois.
Qu’on ne s’étonne donc plus de voir le taux d’illettrisme friser l’inacceptable à la fin de la scolarité obligatoire. Selon le rapport PISA 2001, un élève sur cinq quitte effectivement l’école sans maîtriser la lecture.
De quoi remettre sérieusement en cause la méthode d’apprentissage «global» de la lecture. Celle-ci prévaut autant en Suisse, qu’en France et en Belgique.
On entend par «Global» que l’enfant mémorise le mot en le «photographiant» dans son entier, sans tenir compte de la progression dans le déchiffrage: lettre, syllabe et mot.
Mais, la plupart des études s’accordent à l’admettre, personne ne lit de manière globale. Cette méthode ne fonctionne donc pas. Du moins pour un tiers des enfants.
Du graphème au phonème
Olivier Dubois et surtout sa compagne Claude Huguenin, qui a plus de vingt ans d’expérience sur le terrain en tant que pédagogue au Centre de psychopédagogie de Genève, ont donc inventé la Planète des Alphas.
Ce conte fantastique fortement teinté d’humour permet de reconstruire les étapes du déchiffrage. Et aide donc les enfants à comprendre concrètement le principe alphabétique, qu’un graphème (lettre) correspond à un phonème (son).
Ainsi, Mademoiselle U est une petite fille dont les immenses nattes se dressent en forme de «u» sur sa tête chaque fois qu’elle crie «Hue» à son cheval. Monsieur O est lui un personnage tout rond qui fait des bulles en poussant un ooooh d’émerveillement. Et ainsi de suite…
Du point de vue pédagogie, cette méthode «phonémique» exploite plusieurs niveaux cognitifs: la vue, l’ouie (grâce à un CD) et même le toucher. Les enfants, tout en jouant avec ces lettres à la personnalité bien trempée, créent avec eux un lien affectif très fort.
Et les résultats ne se font pas attendre. L’enfant apprend à lire presque à son insu. Alors que la plupart de ceux qui étaient dans l’incapacité d’apprendre à lire à l’école, étaient qualifiés de dyslexiques. Ce qui reviendrait à dire qu’un enfant sur trois serait dyslexique, ce qui paraît peu réaliste.
«Mais sur dix enfants que nous traitons, neuf n’ont en fait aucun trouble spécifique à la base, s’étonne Olivier Dubois. C’est en général à la suite d’un blocage lors de l’apprentissage dû à des méthodes qui ne leur convenait pas, qu’ils développent des comportements dyslexiques.»
En France et en Belgique aussi
La méthode, créée en 1998, est désormais bien rodée. Depuis, plus de 2500 maîtres d’école primaire et enfantine, enseignants spécialisés et logopédistes de toute la Suisse romande l’utilisent.
Et elle rencontre un succès croissant en Belgique et en France. L’Université libre de Bruxelles, dont l’équipe de psychologie est à la pointe en matière d’apprentissage de la lecture, effectue d’ailleurs une évaluation à grande échelle de la méthode.
En France, le ministère de l’Education nationale s’intéresse aussi de près à la Planète des Alphas, dans le cadre de sa campagne contre l’illettrisme.
La preuve que le matériel scolaire standard n’est pas en adéquation avec les besoins d’une partie des élèves.
Et ça va même beaucoup plus loin, selon le Genevois. «La plupart des maîtres que nous rencontrons n’ont même jamais reçu de formation dans le domaine de l’apprentissage de la lecture.»
Système scolaire mis en cause
Et c’est là que le bât blesse. On parle beaucoup d’illettrisme ces temps-ci. Mais surtout de celui des adultes. Ce qui revient à prendre le problème par le mauvais bout.
«On évite ainsi de remettre en question le système scolaire, alors que c’est là qu’il faut agir». Et vite. Si on veut éviter de sacrifier d’autres générations d’élèves sur l’autel de la lecture globale.
Car c’est en effet lors des premières années d’école que la lecture doit être acquise. Ensuite, un retard en lecture handicape largement le cursus scolaire de l’enfant qui doit, à un rythme effréné, acquérir d’autres connaissances.
Mais certains – en premier les responsables politiques – préfèrent polémiquer sur le retour des notes à l’école plutôt que de se lancer dans une refonte complète du système.
Dépistage et prévention
Sans aller jusqu’à ouvrir un tel chantier pédagogique, Olivier Dubois déplore que les écoles ne mettent pas en place un système de dépistage et de prévention de l’illettrisme précoce.
Et si on considère la facilité avec laquelle les petits apprennent à lire grâce à la Planète des Alphas, pas mal de séquelles et de souffrances pourraient leur être évitées, si le problème était détecté rapidement.
D’autant que certains de ces enfants ont des QI bien supérieurs à la moyenne. «A cause de leurs problèmes de lecture, ils se retrouvent dans des classes spécialisées avec des enfants qui ont des retards mentaux. C’est du gâchis», conclut Olivier Dubois.
swissinfo, Anne Rubin
– La Planète des Alphas a été créée en 1998
– La méthode est utilisée par 2500 enseignants suisses
– Elle l’est aussi en France et en Belgique
– Son but est de rétablir la correspondance entre la lettre et le son qu’elle exprime
– L’enfant joue avec des personnages-lettres qui animent un conte fantastique
– L’idéal est de commencer vers 5 ans
– La Planète des Alphas peut s’utiliser jusqu’à 11-12 ans
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