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La Suisse a désormais sa place aux Nations Unies

La délégation suisse, conduite par Kaspar Villiger, se dirige vers sa nouvelle place à l'Assemblée générale. Keystone

Placée entre la Suède et la Syrie, la Suisse est devenue officiellement mardi à New York le 190e membre de l'ONU.

Marginalisée durant des décennies, la Suisse entend jouer un rôle plus actif dans le concert des Nations.

On est presque à l’heure du thé, à New York, lorsque le Sud-Coréen Han Seung-soo, qui préside la 57e session annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU, assène le rituel coup de maillet sur son bureau.

Ce qui, en la circonstance, entérine la décision unanime et sans discussion des 189 États membres de l’Organisation: la Suisse est désormais des leurs avec tous les droits et devoirs que cela implique.

On voit alors Kaspar Villiger, président de la Confédération, se lever et suivre le chef du protocole, accompagné de Joseph Deiss, ministre des Affaires étrangères, et des quatre autres membres de la délégation helvétique.

Visiblement, Kaspar Villiger savoure cet instant solennel, fait l’un ou l’autre geste de la tête et du bras, avant d’aller s’asseoir sur les nouveaux sièges réservés à la Suisse, entre Suède et Syrie. Adieu, sans regrets, au strapontin des observateurs!

France élogieuse

Avant de monter à la tribune et prononcer le premier discours officiel du nouvel État membre, il va devoir patienter et rester attentif aux mots de bienvenue des représentants des grands groupes régionaux et des États-Unis, pays hôte.

Mais il n’a pas de souci à se faire. Le chef de la diplomatie française, Dominique de Villepin, avait d’emblée donné une tournure cordiale et chaleureuse à l’événement.

Au nom des cinq pays voisins et amis de la Suisse, il avait recommandé l’admission de ce 190e État qui, disait-il, «sera en mesure d’apporter à l’ONU toutes les qualités que nous lui connaissons».

Message sans ambiguïtés

La voix de Kaspar Villiger ne tremble pas. Sans plus attendre, il fait savoir qu’il parlera dans trois des quatre langues nationales, français, allemand et italien, une manière de montrer une Suisse qui tient à ses différentes composantes culturelles.

Il dit, brièvement, mais en toute clarté, ce qu’il pense des Nations Unies, «plus nécessaires que jamais», et d’une adhésion suisse qui n’allait pas de soi.

Il dit aussi ce qu’il a promis de dire quand les citoyens de son pays ont finalement donné leur feu vert à l’entrée de la Suisse à l’ONU, à savoir que la neutralité est et restera un instrument de sa cohésion nationale.

Il dit encore que la Suisse n’hésitera jamais à faire entendre sa voix, «même si cette voix est dérangeante», mais que ce sera toujours pour défendre les valeurs auxquelles elle tient depuis des siècles d’indépendance.

La Suisse laisse par exemple d’ores et déjà entrendre qu’elle ne soutiendrait pas une nouvelle campagne militaire contre l’Irak. Un projet de guerre qui constitue d’ailleurs l’un des thèmes centraux de cette 57e Assemblée générale des Nations Unies.

Cette réticense officielle est partagée par la population suisse. Selon un sondage représentatif effectué par le Blick, 82,5% des Suisses sont opposés à une intervention des Etats-Unis sans l’aval de l’ONU. Et 58,6% estiment qu’une telle action n’est pas justifiée, même avec l’assentiment onusien.

Ainsi en a décidé le peuple

Kaspar Villiger et Joseph Deiss avaient déjà parsemé la matinée de ce jour historique de toutes sortes de réflexions à l’adresse des journalistes de la presse suisse et internationale.

Le président ne cachait pas sa fierté. Ce 10 septembre 2002 allait être l’un des moments forts de sa vie. Mais son principal orgueil était de représenter le peuple suisse qui en avait ainsi décidé.

Dans la délégation en effet, on insistait beaucoup sur le fait que la Suisse, quand bien même était-elle la dernière à rejoindre l’ONU, était tout de même la première à l’avoir signifié par voie de démocratie directe.

Joseph Deiss, ministre des Affaires étrangères, disait lui aussi sa satisfaction. Après trois ans de campagne, le gouvernement suisse avait finalement atteint l’objectif qu’il s’était fixé.

C’est un jour important, expliquait-il, il donne un nouvel instrument à la conduite de notre politique extérieure, la Suisse pourra apporter de la valeur ajoutée dans des domaines où elle a une expertise particulière comme les droits de l’homme et le développement durable.

De son côté, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, lui non plus ne faisait rien pour dissimuler une trop évidente fierté: «la famille des nations est désormais au complet».

Sourdine aux célébrations

Si la satisfaction et la bonne humeur étaient de mise au sein de la délégation suisse, la fête se devait toutefois de mettre quelque sourdine en raison des préparatifs de la commémoration des attentats contre le World Trade Center.

Les autorités suisses sont donc restées en contact permanent avec leurs hôtes de manière à s’assurer que les festivités qu’ils prévoyaient n’allaient pas à l’encontre des sensibilités s’exprimant autour de l’anniversaire du 11 septembre 2001.

Ce qui n’a pas empêché New York de faire à l’égard du nouveau membre de l’ONU un geste qui n’est pas passé inaperçu: le célèbre Empire State Building, qui depuis une année est illuminé aux couleurs américaines, portait lundi soir le rouge et le blanc de la Suisse.

Souvenirs, souvenirs

A noter encore, pour la petite histoire – et alors que le drapeau suisse, de facture carrée et non pas horizontale comme les autres, flotte désormais devant le siège de l’ONU – qu’il est de coutume pour un nouveau membre de laisser un cadeau souvenir.

La Suisse a donc décidé de rénover le salon où les chefs d’État ont l’habitude, tout en fignolant leurs discours, d’attendre leur tour de parole devant l’Assemblée générale.

La Poste suisse marque elle aussi l’événement en sortant un timbre spécial de 90 centimes représentant une découpe de la Suisse et l’emblème de l’ONU rehaussés de touches de couleurs vives tirant sur le rouge et le bleu.

On n’oubliera pas non plus que le 23 septembre, un autre pays – en fait le plus jeune des États de la planète – le Timor oriental, deviendra le 191e membre de l’ONU.

Après quoi le Vatican sera le seul État reconnu à demeurer hors de l’organisation mondiale. Kaspar Villliger, au passage, n’a pas oublié de dire au revoir au nonce qui, mardi, a définitivement perdu le plus fidèle de ses voisins de pupitre.

swissinfo/Bernard Weissbrodt, avec Rita Emch et Roy Probert à New York

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