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La Suisse perd un homme de valeur

Philipp Hildebrand a annoncé lundi son retrait aux médias. Reuters

La presse suisse juge globalement la démission du patron de la Banque nationale Philipp Hildebrand comme l’acte de courage d’un homme de valeur. Le gros des commentateurs - surtout alémaniques - n’épargne en revanche pas le tribun populiste Christoph Blocher, dénonciateur de «l’affaire».

Le Temps voit dans cette démission «le prix d’honneur qu’un banquier central doit payer lorsqu’il arrive à la conclusion que sa crédibilité est définitivement compromise». Et ceci même si «il subsistera toujours un doute sur le fameux ordre bancaire donné oralement par sa femme pour acheter des dollars. Tout soupçon aurait été levé s’il en avait exigé la revente. Il ne l’a pas fait. C’est sa faute, elle n’est pas pénale, mais morale».

Reste que «la Suisse perd un homme de valeur, le seul relais avec le G20 et ses forums». Toutefois, la BNS «s’en remettra, car sa réputation ne tient pas qu’à ses représentants, mais à la cohérence de ses actes et à son indépendance face aux pouvoirs politique et économique», écrit encore le quotidien romand.

«Le capitaine jette l’éponge pour sauver la crédibilité du navire BNS qui menaçait de prendre l’eau en éclaboussant son principal armateur, le Conseil fédéral», résume en termes imagés, le Quotidien Jurassien, qui s’étonne tout de même d’un départ aussi rapide.

Sincérité convaincante…. mais insuffisante

«Chapeau!», écrit la Neue Zürcher Zeitung. «Il est devenu rare de nos jours de voir un responsable de la vie publique tirer ainsi les conséquences d’une affaire particulièrement trouble». Là où d’autres se seraient accrochés à leur siège, Hildebrand, «homme intelligent et jouissant d’un réseau international optimal», a su partir. Il n’en est pas moins remplaçable. Et cela doit être ainsi. Sinon, cela «contredirait de manière éclatante la position et l’indépendance de la BNS».

24 heures souligne l’incapacité de Philipp Hildebrand à prouver sa bonne foi. Et c’est cela en fin de compte qui l’a poussé à démissionner. «Sa sincérité est convaincante, mais elle est insuffisante», écrit le quotidien vaudois, pour qui l’acte «digne» du patron de l’institut d’émission témoigne de son «sens du devoir et de l’Etat».

A Fribourg, La Liberté note que «la Suisse perd son général au plus mauvais moment, alors que perdure la guerre engagée pour éviter au franc d’atteindre un niveau suicidaire». Le quotidien, qui voit en Philipp Hildebrand un «omnipotent patron de la politique monétaire», craint que le climat ne s’alourdisse avec sa démission.

Le Bund estime quant à lui que Philipp Hildebrand a «payé très cher le fait que lui et sa femme aient mal évalué les exigences d’une position très exposée».

Celui qui a la classe… et les autres

Néanmoins, le quotidien bernois juge que son retrait «a de la classe – contrairement à la chasse aux sorcières à laquelle se sont livrés l’UDC et ses publicistes de l’ombre». Et dans ce sens, il est «particulièrement dérangeant que les adversaires d’Hildebrand, qui ont eu recours au vol de données, aux assertions non fondées et aux condamnations hâtives puissent accrocher sa tête comme trophée de chasse dans leur salon», écrit encore le Bund.

Le Tages Anzeiger s’en prend lui aussi à ceux qui se sont livrés à une véritable «battue» contre le patron de la BNS: «la manière dont Hildebrand et sa famille ont été mitraillés par des paparazzi à la sortie d’un restaurant tient davantage de la mise au pilori telle qu’elle se pratiquait au Moyen Age que du journalisme».

«Que certains médias aient tiré des conclusions infâmantes à partir de faits non vérifiés aurait dû suggérer dès le départ qu’il s’agissait d’une campagne politique, pour laquelle le retrait d’Hildebrand constitue une récompense imméritée», ajoute le quotidien zurichois.

Plus nuancé, Le Temps estime que Christoph Blocher remporte ici «une double victoire, personnelle et politique». La seconde, toutefois, est ambiguë. «La noblesse du chef de l’UDC serait authentique si elle ne masquait pas une instrumentalisation qui annonce un combat féroce à l’égard des institutions et des personnalités de ce pays.»

Les deux extrêmes

Radical, à son habitude, le tabloïd Blick clame que le jour du retrait de Philipp Hildebrand restera dans les annales comme un jour «triste et noir comme un corbeau». «Un jour où pour la première fois dans l’histoire moderne, un fonctionnaire démissionne parce qu’il ne peut pas prouver son innocence.»

Et ceci alors que le leader de l’UDC Blocher «a fait fabriquer par sa division journalistique de choc à partir de données volées une histoire dans laquelle les faits étaient faux et l’informateur douteux».

«Qui est coupable, si ce n’est Hildebrand lui-même?», demande à l’opposé Markus Somm, rédacteur en chef de la Basler Zeitung (désormais proche de l’UDC) et biographe de Christoph Blocher. Selon lui, le banquier «a tiré les justes conséquences de ses actes. Il n’est pas une victime, il devait partir, car s’il était resté, on aurait donné l’impression à l’étranger que les affaires d’insider d’un patron de banque centrale sont une chose acceptable».

Un point de vue qui rejoint celui de la Neue Luzerner Zeitung, pour qui «des affaires en devises effectuées sur un compte privé d’un banquier central n’ont pas leur place dans le monde civilisé». Et de mettre le doigt sur les défaillances des règlements et des autorités de contrôle.

«Le pilote change, mais on garde le cap», titre le Financial Times, qui salue en Philipp Hildebrand un homme «qui a su mener une politique courageuse […] notamment en disant que l’intérêt national de la Suisse ne se confond pas toujours avec celui de ses deux grandes banques d’investissement». Un homme dont la conduite dans l’affaire qui a amené sa démission a été «au mieux naïve». «Mais ce qui importe le plus, c’est la politique de la BNS. Le bon travail de M. Hildebrand ne devra pas être victime d’un faux pas personnel», juge le quotidien britannique.

En Allemagne, le quotidien économique Handelsblatt estime que «d’un point de vue légal, les raisons de cette démission paraissent de prime abord grotesques. C’est assurément à l’accusateur de prouver que l’accusé est coupable et non à l’accusé de s’innocenter». Mais le journal rappelle qu’il en va autrement lorsqu’il s’agit de détenteurs de hautes fonctions et que «les banquiers centraux qui font des transactions en devises répétées à côté de leur job ne peuvent pas se targuer de la présomption d’innocence […] car la crédibilité est la devise la plus importante d’un patron de banque centrale».

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