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La Suisse pourrait sortir du nucléaire d’ici 2034

La ministre de l'Energie, Doris Leuthard, annonce la décision du Gouvernement suisse d'abandonner progressivement le nucléaire. Keystone

Le gouvernement helvétique a décidé mercredi de débrancher les centrales atomiques dès qu'elles auront atteint 50 ans. Le parlement légiférera à ce propos en juin. Les réactions vont de l’enthousiasme total à la sévère condamnation.

Le gouvernement a donc opté pour un abandon progressif du nucléaire, dans un pays qui compte cinq centrales.  

Le premier réacteur à être mis hors service devrait être Beznau I en 2019. Puis Beznau II et Mühleberg suivraient en 2022. La centrale de Gösgen serait fermée en 2029 et celle de Leibstadt en 2034.

Un bémol toutefois… Face à la presse, Doris Leuthard,  la ministre de l’Environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, a précisé que les centrales seront exploitées tant que leur sécurité est assurée. Ainsi, il n’est pas exclu qu’un réacteur garantissant toute sécurité puisse être exploité pendant 60 ans, a dit la ministre.


De manière plus générale, la conseillère fédérale a expliqué ainsi la décision du gouvernement: «Jusqu’à présent, l’énergie nucléaire faisait partie de notre politique énergétique, car elle présentait deux avantages par rapport aux autres énergies. D’une part, elle était meilleur marché et, d’autre part, elle ne provoquait pas de dégagement de CO2. Mais après Fukushima, nous devons réfléchir à la question de savoir si nous voulons vivre, en Suisse, avec le risque résiduel lié aux centrales. Par ailleurs, l’évolution du marché montre que le nucléaire tend à devenir plus cher, tandis que les énergies renouvelables deviennent meilleur marché.»

La Confédération avait élaboré trois scénarios pour l’après-Fukushima: un maintien des installations existantes avec un éventuel remplacement des trois sites les plus anciens, le non-remplacement des centrales à la fin de leur période d’exploitation et un abandon plus rapide avec une mise hors service des centrales existantes avant la fin de leur période d’exploitation.

Comme attendu, le gouvernement a opté pour la 2e solution. Le choix du Conseil fédéral sert de recommandation pour le parlement, qui légiférera à partir du 8 juin sur le sujet. Une décision finale est attendue à la mi-juin.

Réactions

La décision du Conseil fédéral menace la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la Suisse, dans la mesure où l’on ignore encore quand et par quoi l’énergie nucléaire pourra être remplacée. De plus, une hausse des prix pèserait considérablement sur la population, l’économie et l’emploi, selon economiesuisse, la Fédération des entreprises suisses, qui considère qu’il s’agit là d’une décision peu sérieuse, contradictoire et irresponsable.

Du côté de partis politiques, l’UDC (Union démocratique du Centre, droite conservatrice) juge la décision hâtive. Le gouvernement risque de pénaliser l’économie et les ménages à travers des prix de l’électricité nettement plus élevés et des impasses dans l’approvisionnement, indique le parti dans un communiqué.

Le PLR (Parti libéral-radical, droite) estime que l’arrêt à la fin de leur durée de vie des centrales nucléaires existantes est une bonne chose, mais critique en revanche la décision du Conseil fédéral de fermer à tout jamais la porte à de nouvelles technologies dans ce secteur. Il demande une votation populaire dans 10 ans.

Le PDC (parti démocrate-chrétien, centre) parle de décision «courageuse», la mettant avant tout sur le compte de «sa» ministre Doris Leuthard. Après la catastrophe de Fukushima, c’était la seule voie politique envisageable, selon lui.

Le Parti socialiste (PS) quant à lui salue la décision,  mais estime toutefois que la durée de vie de 50 ans laissée au centrales est encore trop longue, en particulier pour celles de Mühleberg et Beznau I. Les Verts vont plus loin en exigeant une sortie immédiate de l’atome. Comme le souhaite la population, affirment-ils.

Stratégie énergétique

Le débranchement des centrales nucléaires coûtera cher. Selon le Conseil fédéral, la facture pour couvrir autrement les besoins électriques sera comprise entre 0,4 et 0,7% du produit intérieur brut (PIB), soit 2,2 à 3,8 milliards de francs.

Le consommateur risque de débourser 10% à 15% de plus pour son
courant, a précisé Pascal Previdoli, directeur suppléant de l’Office
fédéral de l’Energie. Mais la note finale dépendra de beaucoup de
facteurs. D’un autre côté, construire une nouvelle centrale nécessiterait 6
milliards d’investissements, a relevé Mme Leuthard.

Pour compenser la part du nucléaire, qui compose actuellement 39% du courant utilisée en Suisse, le Conseil fédéral a fixé une «stratégie énergétique 2050». La priorité va aux économies d’énergie et au développement de nouvelles sources de production d’électricité.

Une baisse de la consommation est inéluctable, a souligné Doris Leuthard. Le Conseil fédéral veut promouvoir une utilisation parcimonieuse de l’électricité. Il prévoit de renforcer les mesures d’efficacité énergétique avec des exigences minimales pour les appareils, les mécanismes de bonus-malus et les campagnes de sensibilisation de la population.

Côté élargissement de l’offre d’électricité, l’hydraulique et les nouvelles énergies renouvelables auront la priorité. Leur part dans le mix d’électricité doit être sensiblement développée, grâce notamment à la rétribution à prix coûtant du courant injecté.

Mais pour couvrir la demande, il faudra aussi développer la production à base de combustible fossile par le couplage chaleur-force et la construction de centrales à gaz à cycle combiné, selon Mme Leuthard.

Enfin, pas question de renoncer aux importations d’électricité: elles restent nécessaires temporairement pour garantir la sécurité de l’approvisionnement. Il ne sera pas possible d’exiger du courant uniquement non nucléaire, a admis la conseillère fédérale.

Ailleurs en Europe

En Europe, seule l’Allemagne envisage peut-être une sortie du nucléaire. La catastrophe de Fukushima n’a sinon pas fait changer de position les autres pays, malgré l’opposition de la rue qui se renforce.

Après la catastrophe de mars dernier, la chancelière Angela Merkel avait décidé la fermeture pendant trois mois, jusqu’à la mi-juin, des sept plus vieux réacteurs d’Allemagne. Elle avait aussi remis en cause l’allongement de 12 ans en moyenne de l’exploitation des 17 réacteurs nucléaires que sa majorité avait voté quelques mois plus tôt. Le gouvernement doit définir sa stratégie sur l’atome d’ici début juin, puis adopter un projet de loi.

Mais sinon, la plupart des pays européens restent inflexibles, à l’image de la France et de la Grande-Bretagne, les deux pays qui comptent le plus de réacteurs nucléaires en Europe. Le président français Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs répété plusieurs fois: pas question de sortir du nucléaire.

S’agissant des autres pays voisins de la Suisse, seule l’Autriche a abandonné l’énergie atomique, dès 1978.

La position de l’Italie est, elle, ambivalente. Rome a abandonné le nucléaire en 1987, après la catastrophe de Tchernobyl et un référendum par lequel 80% des Italiens se sont prononcés contre cette énergie. Une décision qui n’a jamais vraiment été remise en cause jusqu’en 2008 lorsque le gouvernement Berlusconi a annoncé son intention de construire 13 centrales de nouvelle génération d’ici 2020. Depuis l’accident de Fukushima, le débat est vif dans la Péninsule, mais le gouvernement campe sur sa position. Un référendum sur le sujet est prévu en juin.

Au niveau de l’UE, Bruxelles n’a guère de pouvoir: le choix du nucléaire est du ressort des Etats membres. L’UE a toutefois décidé de faire le grand ménage dans son parc nucléaire et de tester la résistance de ses réacteurs nucléaires à des événements extrêmes après le séisme et le tsunami au Japon. Mais la Commission européenne peine à mettre tout le monde d’accord s’agissant des critères.

Les cinq centrales nucléaires suisses sont entrées en fonction entre 1969 et 1984 et bénéficient d’autorisations d’opérer limitées dans le temps.

Echéances. Les exploitants considèrent que la durée de vie de ces centrales s’achèvera entre 2019 et 2034.

Accident. En 1969, la Suisse a connu un grave accident dans la centrale expérimentale de Lucens. Un élément de combustible a été détruit. Sise dans un caverne, la centrale a dû être condamnée.

 

Déchets. Jusqu’en 2006, la Suisse a retraité ses déchets en France et en Grande-Bretagne. Les autorités suisses examinent actuellement différents sites pour leur stockage. L’installation de dépôts en Suisse centrale a été bloquée par référendum en 1995 puis en 2002.

Moratoire. En 1990, la population a approuvé en votation un moratoire de dix ans sur la construction de nouvelles centrales nucléaires.

Relance. En 2003, trois ans après la fin de ce gel, la population a refusé l’extension du moratoire de même que la sortie progressive du nucléaire.

Enfants. Entre 800 et 1000 élèves ont manifesté ce mardi matin dans les rues de Berne contre l’énergie nucléaire. Cette manifestation non autorisée s’est déroulée dans le calme sous la surveillance de la police. Le trafic au centre-ville a été perturbé.

Record. Dimanche 22 mai, 20’000 personnes ont protesté à proximité de la centrale de Beznau (Argovie).

Campement. Depuis environ six semaines, des militants campent en plein cœur de Berne pour exiger la fermeture de la centrale de Mühleberg. Avec tentes et banderoles, ils se sont installés à la Viktoriaplatz, en face des Forces Motrices Bernoises (FMB) qui exploitent la centrale atomique en question.

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