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La Suisse s’invite malgré elle dans la campagne indienne

Des électeurs indiens font la queue pour participer aux législatives indiennes qui se déroulent sur un mois. Keystone

Le secret bancaire suisse est entré en force dans la campagne législative indienne. Les 500 à 1500 milliards de dollars qui auraient été dissimulés sur des comptes suisses par l'élite dirigeante n'en finissent pas de remplir les pages des journaux indiens.

C’est devenu la passe d’arme quotidienne de la campagne électorale indienne: que font les milliards de dollars détenus par des Indiens sur des comptes bancaires suisses? Le Parti Communiste Indien a été le premier à poser cette question dans la campagne pour des élections législatives qui se terminent le mercredi 13 mai.

Deux semaines plus tard, c’est le principal parti d’opposition, le BJP, qui en a fait son cheval de bataille. Depuis, le leader de ce parti de droite nationaliste, Lal Krishna Advani, multiplie les annonces et les promesses grandiloquentes. «Si je suis élu, je promets de rapatrier cet argent dans les 100 jours», affirme ce candidat au poste de Premier ministre.

Une déclaration qui a forcé le candidat du Congrès, l’actuel Premier ministre Manmohan Singh, à faire timidement de même. Le gouvernement a dans la foulée demandé aux autorités suisses davantage de collaboration quant aux informations sur les Indiens propriétaires de comptes en banque en Suisse.

Corruption de l’élite politique

Des démarches insuffisantes pour calmer les partis d’opposition. Là encore, L.K.Advani, le candidat du BJP, tient la corde en matière de revendication: «Il faut que le gouvernement donne tous les détails des voyages réalisés par les membres de tous les cabinets durant les cinq dernières années, en mentionnant particulièrement les voyages en Suisse, surtout ceux fait en dehors des voyages officiels.»

Une question embarrassante car la polémique autour des fonds dissimulés en Suisse en soulève une autre: celle de la corruption de l’élite politique indienne.

Les soupçons de corruption sont récurrents dans le pays. Lors de chaque élection, les candidats doivent publier la liste complète de leurs biens: comptes en banque, immobilier, bijoux… D’une année à l’autre, leurs richesses ont augmenté, parfois décuplé.

Enrichissements suspects

Kumari Mayawati, par exemple, la femme politique la plus riche du pays, a vu sa déclaration de biens passer de 220’000 de francs suisses en 2003 à plus de 11 millions cette année. Une enquête a été ouverte auprès du Bureau Central d’Investigation indien, mais elle en est ressortie blanchie.

«Que des politiciens s’enrichissent lors de leur passage au gouvernement, cela n’étonne personne en Inde», explique S.R.Darapuri, activiste social dans l’Uttar Pradesh, le plus grand état du pays. «Au contraire, la population ne comprendrait pas que les politiciens n’aient pas profité de l’occasion pour remplir leurs bas de laine!»

Tous les hommes ou femmes politiques indiens ne sont pas corrompus. Mais derrière les accusations du BJP, ce sont les hommes du Parti du Congrès indien, actuellement au pouvoir, qui sont visés.

Au 5e rang de la fuite des capitaux

Et c’est ainsi que le comprennent les Indiens, comme Vijay Kumar, un commerçant de New Delhi: «Heureusement que le BJP a soulevé la question! Ce n’est pas le Parti du Congrès indien qui aurait demandé à rapatrier cet argent: ces politiciens ont été au pouvoir pendant 50 ans, ils ont profité du système toutes ces années…»

«En Europe ou aux Etats-Unis, le problème du secret bancaire, c’est l’évasion fiscale», explique S.Gurumurthy, le responsable des questions financières du BJP. «Mais pour nous, c’est surtout une question de corruption, ces milliards représentent de l’argent détourné, une fuite de capitaux pour le pays.»

Fraude fiscale, attribution illégale de marchés publics, pots-de-vin en tout genre… Une étude américaine de la Global Financial Integrity affirme que chaque année 22 à 27 milliards de dollars partent depuis l’Inde vers l’étranger. Des chiffres qui classent le sous-continent au cinquième rang des pays quant aux fuites de capitaux en direction des paradis fiscaux, derrière la Chine, l’Arabie Saoudite, le Mexique et la Russie.

Une somme équivalente au PIB indien

Combien de millions se sont accumulés au fil des années dans des coffres à Genève ou à Zurich? Difficile de le savoir: certains avancent un chiffre avoisinant les 500 milliards de dollars… d’autres 1500, soit l’équivalent du produit intérieur brut de l’Inde.

Selon des journaux indiens, qui citent l’Association suisse des banquiers (ASB), les avoirs indiens sur des comptes helvétiques s’élèveraient très exactement à hauteur de 1456 milliards de dollars. «D’où viennent ces chiffres?», se demande James Nason, porte-parole de l’Association suisse des banquiers. «C’est impossible de savoir combien les privés indiens détiennent d’argent en Suisse. Ce n’est pas comme ça que la Banque nationale suisse dénombre les comptes.»

Mais dans une campagne électorale, l’exactitude des chiffres importe moins que le message. En pleine crise économique, les propos de L.K.Advani font rêver les plus pauvres du pays: «Vous imaginez tout ce qu’on pourrait faire avec cet argent. Construire des routes, des centrales électriques, des barrages… Cet argent, c’est l’argent du peuple!», répète le candidat de l’opposition.

Pourtant, ces sommes ont peu de chances de revenir en Inde tout de suite. Pour cela, il faudrait déjà connaître la liste des propriétaires des comptes bancaires en question. Sachant qu’ils sont détenus par les politiciens et hommes d’affaires les plus riches du pays, il y a peu de chances qu’elle paraisse un jour.

Miyuki Droz Aramaki, New Delhi, swissinfo.ch

Législatives. L’Inde est souvent surnommée la plus grande démocratie du monde. Pour ces législatives, 714 millions d’électeurs sont appelés aux urnes. Ils doivent élire les 543 députés de la Lok Sabha, le parlement indien. Ce sont eux qui choisiront le futur Premier ministre du pays.

Face à face. Les deux grands partis qui s’affrontent sont d’un côté le Parti du Congrès indien, le grand parti centriste qui a dominé le paysage politique depuis l’indépendance, et de l’autre le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de la droite nationaliste. Les résultats seront annoncés le 16 mai 2009.

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