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La Tunisie au bord de la rupture

Tout a commencé le 17 décembre à Sidi Bouzib, dans le centre de la Tunisie, lorsqu'un jeune homme s'est suicidé pour protester contre les conditions sociales. Keystone

Parties du sud-ouest pauvre de la Tunisie, les émeutes déclenchées à la mi-décembre ont gagné Tunis où le couvre-feu a été déclaré mecredi. Les jours du régime autoritaire de Ben Ali pourraient être comptés, selon certains observateurs.

Depuis un mois, la Tunisie est secouée par des émeutes sociales et des violences ayant provoqué entre 20 et 50 tués ces derniers jours (selon les sources).

Après avoir observé le silence, Berne a réagi mercredi. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a exprimé sa «préoccupation» et «déplore que les émeutes aient provoqué des morts et des blessés». Et d’en appeler «au respect du dialogue et des droits humains, ceux-ci incluant la liberté d’opinion et de réunion».

«Si la communauté internationale n’écoute pas les peuples, il y a de quoi désespérer», a lancé Ahmed Benani. S’exprimant mercredi à la Radio suisse romande, ce politologue, anthropologue des religions et spécialiste du Maghreb a observé qu’un point de rupture a désormais été atteint.

«Le président Ben Ali doit partir»

«La pression de la rue est telle que les positions ne peuvent que se durcir. Le fait que ces événements, partis d’une révolte contre la cherté de la vie et les disparités sociales, se soient étendus à l’ensemble du pays est significatif», a ajouté Ahmed Benani. Pour lui, la seule issue possible pour le président Ben Ali est un départ.

Par ailleurs, l’ambassade de Tunisie à Berne a fait l’objet d’une tentative d’incendie durant la nuit de mardi à mercredi. Plus de peur que de mal, mais cette action n’étonne pas vraiment Ahmed Benani. «Ce sont peut-être des Maghrébins qui ont fait le coup. C’est une hypothèse, mais il faut savoir que l’appui – ou le silence – de certains pays occidentaux concernant le régime de Ben Ali suscite la colère de beaucoup de Maghrébins qui vivent en Europe», a-t-il déclaré.

De son côté, le Comité de soutien du peuple tunisien (CSPT-Suisse) a pris ses distances mercredi en «réaffirmant son attachement au caractère pacifique du soulèvement populaire que connaît la Tunisie» Le communiqué qualifie d’«étranges les fortes ressemblances entre l’explosion au consulat de Tunisie à Parie et celle de Berne».  

Un «deuxième mouvement de libération»

Lundi, le président Ben Ali a promis la création de 300’000 postes de travail d’ici un an. Mais il a aussi fermé les écoles et les universités. Mercredi, il a limogé le ministre de l’Intérieur, libéré les manifestants arrêtés et formé une commission d’enquête sur la corruption. Il semble avoir pris la mesure de la profondeur du ras-le-bol des Tunisiens.

«C’est qu’il ne s’agit pas seulement d’emplois, ces jeunes qui ont profité de l’important développement du système éducatif veulent plus de liberté, et notamment de liberté d’expression», a expliqué Antonella Tarquini, ancienne correspondante au Maghreb, à la Radio de la Suisse italienne (RTSI).

Ahmed Benani, lui, explique ces émeutes comme un «deuxième mouvement de libération nationale lancé par la 4e génération postcoloniale, après le désenchantement vécu ces quarante dernières années». Mais il ajoute aussitôt que les Tunisiens refusent de voir leur pays ensanglanté.

Silence assourdissant

Mardi, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a appelé Tunis à œuvrer à une «solution pacifique». Mercredi, la cheffe de la diplomatie européenne Catherine Ashton a condamné l’usage «disproportionné» de la force par la police tunisienne. Mais du côté des chancelleries européennes, le silence a été assourdissant jusqu’ici.

Pourquoi cela? Réponse d’Ivan Ureta, spécialiste en relations internationales au King’s College de Londres à la RTSI: «Pour l’Union européenne, les pays du Maghreb permettent de contrôler des phénomènes qui pourraient mettre en danger la sécurité , comme le terrorisme, l’immigration illégale, etc. Elle a donc intérêt à une collaboration solide avec ces pays.»  Ce qui explique pourquoi ni la France, ni l’Italie, ni l’Espagne n’ont réagi aux événements en Tunisie, pas plus qu’en Algérie du reste.

  

Ne pas tomber dans l’utopie islamiste

Pour revenir à la Tunisie, Ahmed Benani estime que les solutions répressives ont montré leurs limites. «Lors de la répression contre les islamistes, Ben Ali avait utilisé les libéraux et l’Occident comme une sorte de rempart. Et voilà qu’il réprime maintenant les libéraux et les démocrates.»

Les démocrates vont-ils s’allier aux islamistes? L’expert de la RSR ne l’exclut pas, mais il n’y croit pas. «La société tunisienne a suffisamment muri pour tirer le bilan de l’expérience algérienne et ne pas tomber dans l’utopie islamiste. Plutôt que vers une cité mahométane, je crois que la Tunisie va plutôt se tourner vers la modernité et la démocratie».

17 décembre: immolation d’un marchand de rue de Sidi Bouzid (centre-ouest), qui protestait contre la saisie de sa marchandise par la police.

19-20: affrontements entre forces de l’ordre et manifestants pour le droit au travail à Sidi Bouzid et dans la localité proche de Meknessi. Plusieurs dizaines d’arrestations (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme FIDH).

Les troubles s’étendent à Menzel Bouzayane, Thala, Saïda, Regueb, Kasserine (chef-lieu de la région centre-ouest), Kairouan (centre). Des milliers de jeunes se mettent à appeler à manifester via Facebooks.

10 janvier: le président Ben Ali dénonce des «actes terroristes» tout en promettant la création de 300’000 emplois d’ici 2012.

11 janvier: premiers affrontements à Tunis, alors que les violences se poursuivent à Kasserine. Des manifestations d’artistes et d’opposants sont réprimées à Tunis. Fermeture des écoles et des universités.

12 janvier: limogeage du ministre de l’Intérieur, libération des personnes arrêtées, à l’exception de celles qui «sont impliquées dans des actes de vandalisme» et formation d’une commission d’enquête sur la corruption.

L’armée se déploie à Ettadhamen et dans Tunis, où la police fait usage de gaz lacrymogènes. Un couvre-feu nocturne est décrété à Tunis et sa banlieue.

L’Algérie vit depuis plusieurs années au rythme des émeutes locales contre la vie difficile, le chômage et l’exclusion, selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme.

Avec une population de 33 millions d’habitants, elle figure parmi les principaux producteurs de pétrole.

Des émeutes ont éclaté le 5 janvier suite à l’annonce de l’augmentation de 30% des prix des produits de première nécessité (farine, sucre, etc.). Au moins 3 manifestants ont été tués et des centaines d’autres blessés, dont environ 300 policiers. Plus de 1000 manifestants auraient en outre été arrêtées selon le Ministère de l’Intérieur.

Le gouvernement a fait marche arrière en modérant la hausse des prix et le calme semble être revenu.

avec les agences

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