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Le casse-tête des cas «psy» pris en charge en urgence

Pour certains patients, appeler régulièrement les urgences tient lieu de traitement psychiatrique. Stéphanie Faignot

Le nombre de patients psychiatriques a augmenté en Suisse. Comment les services d’urgence font-ils face à ce phénomène ? La valse des «habitués» inquiète les intervenants sur le terrain. Le cas de Genève.

Les diagnostics pour troubles mentaux augmentent en Suisse. Ils sont passés de 10 à 11% entre 2000 et 2008. Un constat tiré surtout chez les psychiatres (+11%), mais aussi chez les généralistes (+2%), révèle une étude de l’Observatoire suisse de la santé, publiée fin mars.

Les cas les plus fréquents: schizophrénie, dépression, troubles liés au stress, à l’alcool ou aux toxicomanies, ou encore troubles de la personnalité.

La valse des «habitués»

Ce phénomène n’épargne pas non plus les services d’urgences psychiatriques ou médicales. Même si les études sur le sujet sont rares, ils n’en sont pas moins en première ligne.

Aujourd’hui, ils doivent davantage faire face à un symptôme inquiétant: la valse des «habitués». Des malades qui fonctionnent souvent par crise – après un séjour en institution – et dont la prise en charge, plusieurs fois par mois, voire par semaine, interpelle les professionnels. Quand l’aide d’urgence remplace parfois le traitement à long terme, il y a malaise.

C’est le cas à Genève, pourtant considérée comme l’une des villes les plus psychiatrisées au monde – proportionnellement à sa taille – avec plus de trois cents spécialistes installés, un département de psychiatrie important et un réseau d’aide aux patients très dense.

Aujourd’hui, les personnes souffrant de troubles mentaux frappent aux portes des urgences, à toute heure du jour et de la nuit, et ce, dans tous les secteurs: psychiatrique, psychosocial, médical. SOS médecins a recensé l’an passé 10% de consultations (3700) pour des cas psychosociaux.

Le généraliste à la rescousse

Son fondateur, le Dr. Pierre Froidevaux, explique pourquoi on en appelle au généraliste pour soigner sa tête. «Ils ont un ressenti douloureux et cette douleur peut être le reflet d’un syndrome anxieux. Le patient a envie d’être soulagé immédiatement, il n’a pas envie de raconter sa vie à un psychiatre. Il veut une piqûre, dormir et reprendre l’histoire le lendemain quand il ira mieux. L’objectif de soin du médecin consiste alors à replacer le patient dans son cercle thérapeutique.»

L’inquiétude porte sur les cas récurrents. Entre 900 et 1200 (soit jusqu’à 15 à 20%) des patients sur les 6000 par an que gère l’Unité d’accueil et d’urgences psychiatriques, aux Hôpitaux universitaires de Genève, consultent à plusieurs reprises dans un délai restreint. Suite à cette estimation réalisée sur les six derniers mois de 2009, la nécessité de créer une plate-forme permettant de mieux les identifier a été approuvée.

«Certains patients récurrents des urgences montrent nos limites ainsi que celles du système de soins», met en garde son responsable, le Dr. Grégoire Rubovszky.

Le recours systématique aux urgences

Car il observe parfois une surcharge du service: «Nous avons l’impression d’éteindre le feu à certaines périodes de l’année. Ces cas sont complexes. Ils devraient être pris en charge plus rapidement et en collaboration large avec tout le système de soin genevois, afin d’augmenter leurs chances de suivre un traitement à long terme.»

Le recours systématique aux urgences peut être le reflet d’un dysfonctionnement lié aux caractéristiques d’un centre urbain comme Genève. A savoir la difficulté de la prise en charge dans un délai rapide en aval par les psychiatres privés, selon le Dr. Rubovszky. Faute d’obtenir un rendez-vous dans un délai court pour entamer ou suivre un traitement – par manque de places disponibles -, les malades sonnent aux urgences, souvent adressés par leur entourage.

Alors que certains refusent le système d’aide ambulatoire, d’autres, à l’inverse, ont recours au réseau de façon excessive, au point d’en faire leur traitement à long terme, leur système de fonctionnement, remarque en substance Patrick Giquel, responsable de l’Unité mobile d’urgences sociales.

Celle-ci n’est pas épargnée puisqu’elle est intervenue l’an passé auprès de 220 personnes souffrant de troubles psychiques, sur 900 demandes. Des chiffres en constante augmentation depuis la création il y a six ans de ce service unique en Suisse.

Le chaînon manquant

Entre l’institution psychiatrique et le réseau social, n’y aurait-il pas alors un chaînon manquant ? Il existe bien un lieu d’accueil destiné aux patients en rupture, ouvert de nuit et disposant de huit lits, mais il est débordé, résume Vito Angelillo, directeur chargé des politiques d’insertion au Canton. «Un groupe de travail s’est constitué pour évaluer qualitativement et quantitativement la nécessité de développer une prise en charge intermédiaire», relève-t-il.

La situation genevoise n’est pas unique. Elle découle de la politique ambulatoire de la Suisse, analyse en substance Hans Kurt, président de la Société suisse de psychiatrie et de psychothérapie. «D’une part, les séjours [en institution] sont de plus en plus courts, en raison des pressions économiques sur les cliniques. D’autre part, la politique sanitaire favorise un retour au domicile. Or, le danger consiste à ne pas suffisamment développer des solutions ambulatoires et donc intermédiaires pour prendre en charge ces personnes sorties souvent trop tôt.»

A défaut parfois d’être stabilisés, ils finissent par «entrer et sortir», tels des «revolving doors» (portes tournantes), comme les surnomment les Anglo Saxons. «Entre 10 et 20% de malades hospitalisés reviennent en institution. Et ces réadmissions ont augmenté de 30%, entre 2000 et 2006», constate Hans Kurt, qui tire la sonnette d’alarme.

Sophie Roselli, swissinfo.ch

Les troubles mentaux représentent une part de plus en plus importante de toutes les maladies diagnostiquées. Sur les 83 millions de diagnostics posés en Suisse en 2008, 11% concernaient des troubles mentaux et comportementaux, dépressions et troubles névrotiques en tête. Parmi les personnes les plus touchées: les femmes (62%) et les 45-54 ans (23%).

Les traitements psychiatriques en institution ont augmenté de 9,3% entre 2000 et 2006, alors que le nombre de patients traités est resté stable (50’000 par an).

Cette évolution s’explique par une hausse des réadmissions (de 30%) et des séjours de plus courte durée. C’est la «spirale des réadmissions»: les patients sortent trop tôt et doivent rapidement retourner en établissement psychiatrique. Une telle situation peut conduire à des trajectoires de maladie plus longues et plus difficiles. L’Observatoire suisse de la santé recommande donc d’intensifier la collaboration et la coordination entre les secteurs ambulatoires et les institutions de soins.

Selon une étude de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) sur les bénéficiaires d’une rente d’assurance-invalidité, plus de 100’000 personnes souffraient de maladie mentale en 2009 contre environ 60’000 en 2000. C’est la seule catégorie de rentes qui enregistre une telle augmentation.

Principales raisons évoquées: un marché du travail plus stressant, des réseaux sociaux personnels affaiblis, et le fait que les maladies psychiques sont davantage acceptées et donc révélées par les patients eux-mêmes.

Un psychiatre ou un psychothérapeute ne participe d’emblée aux examens médicaux que dans un tiers des cas. Habituellement, il sont menés par un généraliste ou un interniste. Souvent, c’est le médecin de famille qui détecte le cas, les problèmes psychiques se traduisant souvent d’abord par des symptômes somatiques. Plus la maladie sous-jacente reste longtemps méconnue, plus il y a de risque que le traitement soit inapproprié et que le trouble devienne chronique.

Près de 10’000 consultations urgentes pour des cas psychiatriques l’an passé à Genève, selon une estimation basée sur les données des seules structures de l’Unité d’accueil et d’urgences psychiatriques de l’hôpital cantonal (6000), de SOS médecins (3700) et de l’Unité mobile d’urgences sociales (220). Ce n’est que la pointe de l’iceberg. Aujourd’hui, toutes les structures de santé font face à ces douleurs de l’âme, souvent masquées par des maux du corps.

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