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Le choc des identités, carburant de la guerre du Caucase

Reuters

La crise russo-géorgienne dans le Caucase jette une lumière brutale sur une zone mal connue en Occident. Les explications d'Eric Hoesli, auteur d'«A la conquête du Caucase».

La guerre entre la Russie et la Géorgie est entrée ce mardi dans une nouvelle phase, après 5 jours de combats. Dmitri Medvedev, le président russe, a annoncé la fin des opérations militaires russes.

La diplomatie semble retrouver ses droits dans cette crise qui a vu lundi les troupes russes entrer sur le territoire de la Géorgie après avoir lancé une contre-offensive face aux forces géorgiennes. Une armée qui cherchait, elle, à reprendre le contrôle de la région séparatiste pro-russe d’Ossétie du sud.

Journaliste et responsable de presse, Eric Hoesli a développé au cours de sa carrière une grande passion pour la Russie, un pays dans lequel il a effectué de nombreux séjours. Il a récemment publié «A la conquête du Caucase», fruit de 10 années de travail et de voyages. Ce spécialiste revient sur les raisons de ce conflit.

swissinfo: Quels sont les liens entre les Ossètes et la Russie?

Eric Hoesli: Les Ossètes ont toujours été de fidèles alliés des Russes, leur grand voisin du nord et leur grand marché. Ils sont depuis longtemps liés économiquement, intellectuellement et politiquement avec la Russie.

swissinfo: Et qu’en est-il des relations entre les Ossètes et la Géorgie?

E.H.: Les Ossètes ont également toujours été proches des Géorgiens. Les Ossètes sont une ethnie qui a toujours contrôlé le principal passage de la grande chaîne de montagne du Caucase pour ensuite investir le flanc sud de la chaîne montagneuse. Cette ethnie a donc une longue histoire de coexistence avec les Géorgiens.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, les minorités d’Ossétie et d’Abkhazie se sont retrouvés face à une Géorgie qui avait soif de trouver sa propre identité. Et ce, afin de démontrer que la Géorgie est une entité unique, un seul peuple doté d’une seule langue.

Au moment de l’indépendance en avril 1991, la Géorgie était conduite par un dirigeant nationaliste tenant d’une ligne dure (Zviad Gamsakhourdia) qui a tout simplement supprimé le statut d’autonomie dévolu aux minorités durant la période soviétique. Ce premier président a voulu faire de leurs territoires de simples régions administratives géorgiennes.

Ainsi, deux types de nationalisme sont entrés en conflit. D’une part, le nationalisme parfaitement compréhensible des Géorgiens après qu’ils se sont débarrassés de la tutelle soviétique; et d’autre part, le nationalisme des minorités, qui se voyaient privées de leur soutien russe avec la fin de leur statut d’autonomie.

swissinfo: Mais le gouvernement géorgien a bien essayé récemment de leur donner plus d’autonomie et de moyens?

E.H.: Il est vrai que, ces dernières années, les Géorgiens ont passablement évolué dans l’octroi de concessions pour l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Mais je pense qu’il y a deux facteurs qui ont empêché des progrès dans cette direction. En premier lieu la Russie leur a immédiatement, et à grande échelle, fourni de l’aide. Par exemple, les Russes ont construit un gazoduc à travers les montagnes pour approvisionner les Ossètes et ont réalisé d’importants investissements.

Mais il est également clair que les Russes ont essayé d’utiliser à leurs propres fins ces tensions ethniques pour gagner le soutien des Ossètes. Une stratégie d’ailleurs couronnée de succès.

Le deuxième problème est que, même si les Géorgiens ont fait beaucoup de promesses, leur politique à l’égard des minorités laisse beaucoup à désirer.

swissinfo: Quels étaient les motivations du président géorgien Mikhail Saakashvili dans cette affaire?

E.H.: Il avait probablement plusieurs intentions. L’une d’elles était que si les choses tournaient mal et que les Russes intervenaient – ce qui s’est effectivement passé – ce serait la preuve que la Géorgie ne peut se défendre contre la Russie et qu’elle doit rejoindre l’OTAN pour obtenir de l’aide.

Mais ce faisant, Mikhail Saakashvili a pris un gros risque, à savoir que l’actuel gouvernement géorgien n’est pas un partenaire fiable pour l’OTAN, puisqu’il a provoqué l’intervention russe.

Cela dit, le statu quo ante n’est pas à l’avantage de la Géorgie, puisque l’Ossétie du sud jouit d’une indépendance de facto depuis 15 ans environ.

swissinfo: Quels sont les intérêts des Occidentaux dans la région?

E.H.: En premier lieu, la Géorgie est à la frontière de la Russie, très proche de l’Iran et avec une frontière avec la Turquie. Pour les États-Unis en particulier, la proximité de la Géorgie avec la Russie et l’Iran en fait une place importante.

Ensuite, la Géorgie est dans un corridor est-ouest, le long duquel les hydrocarbures peuvent transiter sans passer par la Russie. Les Européens ont proposé à maintes reprises d’en faire un couloir de transport, tant pour la route que le rail.

Les pays occidentaux et la Géorgie indépendante partagent également des valeurs. La Géorgie aspire non seulement à l’intégration économique avec l’Occident, mais aussi sur le plan culturel et politique. La Géorgie souhaite entrer dans l’Union européenne et dans l’OTAN.

En fait, l’objectif principal de la Russie dans ce conflit avec la Géorgie est de stopper son adhésion à l’OTAN. Les Géorgiens, eux, font face à deux grands défis: retrouver leur intégrité territoriale et adhérer à l’OTAN, malgré la Russie.

swissinfo: La Suisse peut-elle jouer un rôle dans cette crise?

E.H.: La Suisse a été très active en Géorgie depuis son indépendance. L’agence suisse de coopération (DDC) a un très grand nombre de personnes travaillant dans la région.

Les Suisses et les Géorgiens ont aussi beaucoup de choses en commun: deux peuples marqués par la montagne, sans beaucoup de ressources naturelles et deux Etats multinationaux. Donc, tout cela créé un lien avec les Géorgiens.

Mais la Suisse ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre dans cette affaire.

Interview swissinfo: Julia Slater
(traduction de l’anglais et adaptation: Frédéric Burnand)

Eric Hoesli est né à Morges en 1957. Après une période au service de la Communauté des œuvres d’entraide suisses, il entre à la rédaction de L’Hebdo, où il se forme au journalisme, participe à l’expérience du Nouveau Quotidien, puis devient rédacteur en chef de L’Hebdo, .

En 1997, il est appelé à prendre la tête du projet de fusion du Journal de Genève et du Nouveau Quotidien et devient le premier rédacteur en chef et directeur du quotidien Le Temps.

Depuis le mois de septembre 2005, Eric Hoesli occupe les fonctions de directeur des publications régionales d’Edipresse, il est membre de la direction d’Edipresse Suisse.

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