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Le commerce équitable de Max Havelaar mis en cause

La banane est le produit-phare de Max Havelaar en Suisse. maxhavelaar.ch

Dans «Les coulisses du commerce équitable», l'économiste français Christian Jacquiau s'en prends au champion du commerce éthique Max Havelaar.

La section helvétique n’y est pas épargnée, cela alors que l’«achat éthique» est très pratiqué en Suisse.

Paola Ghillani, l’ancienne directrice de Max Havelaar Suisse, sans approuver l’ensemble du livre, ne lui donne pas tort sur certains points. Selon elle, les produits certifiés équitables ne le seraient pas forcément, par manque de contrôles sérieux chez les petits producteurs.

Une tablette de chocolat au lait, fabriquée à partir de fèves de cacao équitables, est-elle pour autant équitable? En effet, cette tablette contient d’autres ingrédients, comme du sucre, du lait, des amandes ou des noisettes qui, eux, ne sont pas forcément équitables. Résultat, le label «équitable» de Max Havelaar n’aura pas la même valeur en Suisse et en Hollande.

Dans un livre de près de 500 pages, l’économiste et expert-comptable Christian Jacquiau nous livre une enquête accablante sur les pratiques de Max Havelaar. Il ne s’agit pas d’un simple pamphlet. Son ouvrage précédent, «Les coulisses de la grande distribution», publié en 2000, fait autorité. Il a déjà été réédité huit fois.

Suisses champions de l’achat éthique

Le commerce équitable consiste à proposer dans les pays occidentaux des articles fabriqués dans le tiers-monde selon des normes sociales strictes. Le consommateur accepte de payer plus cher son café ou son jus de fruit afin d’aider les petits producteurs défavorisés du Sud.

Il ne s’agit pas que d’une question de gros sous: de son côté, le petit producteur s’engage à envoyer ses enfants à l’école, à suivre avec son épouse des conférences sur le sida.

Avec 30 francs par an, les Suisses sont les champions de l’achat éthique. Plus d’une banane sur deux vendue en Suisse est estampillée Max Havelaar.

Que dit Christian Jacquiau de si choquant? Il met en parallèle deux chiffres donnés par Max Havelaar. Celui-ci assure avoir distribué 50 millions d’euros aux petits producteurs, et dans le même temps, le champion du commerce équitable avance qu’il travaille avec un million de producteurs. «Le rêve s’écroule. Chacun n’a donc perçu que 50 euros supplémentaires par an, soit 4 euros par mois. L’équivalent de 6 francs suisses», constate l’auteur des «Coulisses du commerce équitable».

54 inspecteurs pour 1 million de producteurs

Ce n’est pas le plus grave. Selon Christian Jacquiau, il n’est absolument pas sûr que ce soit bien des petits producteurs qui en bénéficient. «En effet, il n’y aurait que 54 inspecteurs dans le monde entier, travaillant en free-lance et à temps partiel pour la certification et le contrôle d’un million de petits producteurs! Ce contrôle ne se fait pas sur le terrain mais dans un bureau ou une chambre d’hôtel, voire par fax», assène l’économiste. L’heureux bénéficiaire du commerce équitable peut fort bien être un gros propriétaire terrien ou même une multinationale!

«Dans tous les systèmes, il peut y avoir des profiteurs. Mais je peux vous assurer que Max Havelaar fait non seulement des contrôles, mais des contrôles sur les contrôles. Nous bénéficions de la norme internationale ISO 65», répond Regula Weber, porte-parole de Max Havelaar pour la Suisse.

Même son de cloche de la part de Didier Deriaz, responsable de la communication de Max Havelaar en Suisse romande: «Ce n’est pas la panacée, mais c’est un mieux. De plus en plus de consommateurs en Occident sont convaincus par le commerce équitable. Au Sud, toujours plus de producteurs et ouvriers en profitent».

L’absence de contrôleurs indépendants

Le livre n’épargne pas la Suisse. Il dénonce notamment le «concubinage» du champion du café équitable avec les 140 McDonald’s de la Confédération.

Paola Ghillani, directrice de Max Havelaar Suisse jusqu’en 2005, reproche au livre son ton général, qui consiste à «mettre tout le monde dans le même sac». Mais elle reconnaît que Max Havelaar pèche sérieusement au niveau des contrôles. Elle-même a été pendant quatre ans la présidente de Fairtrade Labelling Organisations (FLO), structure qui élabore les standards internationaux du commerce équitable, gère la certification et les contrôles.

«J’ai toujours défendu l’idée que les contrôles ne devaient pas être effectués par FLO mais par des organismes extérieurs. Il faudrait des inspecteurs professionnels, neutres et indépendants, comme ceux de la SGS ou de Procert», dit-elle.

Pourquoi ses critiques n’arrivent-elles que maintenant, après son départ de Max Havelaar Suisse? «C’est une structure que je commençais à mettre en place en Suisse. Tout a été arrêté après mon départ en 2005», répond-elle.

swissinfo, Ian Hamel

«Les coulisses du commerce équitable. Mensonges et vérités sur un petit business qui monte», par Christian Jacquiau. Editions Mille et une nuits, 461 pages.

1988: Fondation de Max Havelaar en Hollande
1992: Fondation de Max Havelaar Suisse par six grandes œuvres suisses d’entraide (Caritas, Pain pour le prochain…)
1999: Paola Ghillani, pharmacienne, prend la tête de Max Havelaar Suisse (elle va multiplier les ventes par cinq en six ans)
2005: Départ de Paola Ghillani, remplacée par Martin Rhoner, 39 ans, ancien conseiller du directeur exécutif suisse de la Banque mondiale.

– Le commerce équitable, avec un chiffre d’affaires de 1,7 milliards de francs suisses dans le monde, n’est plus tout à fait une activité marginale. En 2005, Max Havelaar Suisse annonçait un chiffre d’affaires de 221 millions, en progression de 5%.

– Les Suisses, en dépensant 30 francs par personne et par an, sont de très loin les plus grands supporters du commerce équitable, loin devant les Luxembourgeois, les Hollandais, les Anglais, les Danois et les Autrichiens.

– Avec 56 % du commerce de détail, la banane Max Havelaar est le produit-phare en Suisse. On trouve également les fleurs, le miel, les jus de fruit, et bien entendu le café.

– Un kilo de bananes éthiques se vend entre 2,60 et 4,50 francs le kilo. Un ananas éthique (1,4 à 1,6 kilo la pièce) est proposé entre 10 et 33 % plus cher qu’un ananas issu du commerce conventionnel.

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