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Le Conseil de l’Europe face à l’euthanasie

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a renvoyé en commission le texte de Dick Marty. Keystone

Malgré de fortes oppositions, le parlementaire suisse Dick Marty a présenté mardi au Conseil de l’Europe un rapport controversé sur l’euthanasie.

Le texte invite les gouvernements européens à dépénaliser les interventions visant à abréger les souffrances des malades en phase terminale.

«Il est très rare que l’Assemblée parlementaire renonce à un vote final sur un projet de résolution», souligne Estelle Steiner, porte-parole du Conseil de l’Europe.

«Cela peut arriver quand le débat concerne des thèmes très délicats, sur lesquels on ne parvient pas à trouver de consensus.»

Et c’est le cas du texte présenté mardi à Strasbourg par le sénateur suisse Dick Marty. A l’issue d’un débat de plus de deux heures, les parlementaires ont décidé, par 68 voix contre 33, de renvoyer le rapport en commission des Questions sociales et de la famille.

Manifestement, ce dernier traite d’un thème encore trop délicat et complexe même pour l’Europe de ce début de 21e siècle: dépénaliser, à des conditions bien précises, l’euthanasie passive et active.

Jusqu’ici, seuls deux pays européens, les Pays-Bas et la Belgique, ont osé franchir le pas. Ils ont, en outre, osé affronter publiquement une réalité très diffuse en Europe, mais presque toujours occultée ou ignorée par les mêmes autorités.

Manque de transparence

«Aujourd’hui, il subsiste un inquiétant décalage entre une réalité mal connue parce que peu étudiée et le système juridique. Nous devons donc au moins nous pencher sur la question», affirme Dick Marty.

Selon une enquête menée dans six pays européens, dont la Suisse, et publiée l’année dernière par la prestigieuse revue médicale The Lancet, 20 à 50% des malades en phase terminale recourent à une forme ou une autre d’euthanasie, avec l’aide du personnel soignant.

Mais presque aucun médecin n’ose en parler ouvertement, parce que l’assistance au suicide est punissable par la loi ou va à l’encontre de stricts principes éthiques et religieux.

«Très peu de condamnations sont prononcées en Europe. Et ceci démontre qu’un grand manque de transparence ou une grande hypocrisie continuent de régner à ce propos», soutient le sénateur du Parti libéral radical (droite).

Un dangereux tabou

«Les Pays-Bas et la Belgique, qui ont eu le courage d’adopter des réglementations, ont été accusés d’avoir introduit l’euthanasie. En réalité, ils ont introduit des mécanismes qui la limitent, puisqu’elle est devenue plus transparente et donc soumise à des contrôles sévères», relève Dick Marty.

Dans plusieurs pays européens, les formes diverses d’euthanasie restent dans un flou juridique ou ne sont mêmes pas mentionnées par la loi.

Pour aider les patients qui veulent mettre fin à leurs souffrances, médecins et infirmières doivent donc agir dans la clandestinité et donc dans l’illégalité.

D’un côté, estime le sénateur suisse, il faut arrêter de considérer les médecins comme des meurtriers. Et, de l’autre, il est nécessaire d’empêcher de les laisser prendre seuls une décision en matière d’euthanasie, comme c’est le cas actuellement aussi en Suisse.

Une telle décision devrait plutôt être prise dans le cadre d’une commission d’éthique. Et, surtout, être réglementée en détail par la loi.

«Le thème de l’euthanasie est devenu tabou. Et, pour moi, quand un problème de cette gravité se transforme en tabou, on ouvre la porte aux pires abus.»

Attaques et pressions

Accepté à une courte majorité par la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille, le rapport du parlementaire suisse a été renvoyé à plusieurs reprises avant d’être présenté devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Selon Dick Marty, la question de l’euthanasie creuse des divisions géographiques qui se retrouvent au sein des parlementaires européens. L’Europe du Nord et de l’Ouest sont plus sensibilisées au problème, alors que le Sud et l’Est restent plutôt hostiles.

Le politicien tessinois se dit étonné des fortes pressions et des dures attaques subies ces derniers mois: «J’ai même été accusé de défendre l’eugénisme ou de vouloir réintroduire la chambre à gaz. On n’a probablement même pas lu mon projet de résolution, pourtant formulé au conditionnel».

Un projet qui se limite à trois propositions aux gouvernements européens: procéder à une radiographie de la situation dans leur pays, discuter des résultats et, éventuellement, considérer la possibilité de dépénaliser l’euthanasie quand il n’y a plus d’alternative et quand un patient qui souffre l’enfer le demande instamment, de manière répétée et consciente.

Des décennies de discussion

Pour éviter que le débat ne soit purement et simplement enterré, Dick Marty a préféré renoncer à soumettre son texte au vote final.

Parmi les membres du Conseil de l’Europe prévaut la peur du risque d’abus en cas de dépénalisation. Mais les réserves de nature morale sont également importantes.

En effet, beaucoup estiment que l’euthanasie est incompatible avec le droit fondamental à la vie, avec l’interdiction de donner la mort intentionnellement, avec les doctrines religieuses et avec la déontologie médicale elle-même.

Mais, malgré les résistances, Dick Marty maintient que le thème est destiné à devenir de plus en plus présent dans notre société. Aux Pays-Bas et en Belgique, des dizaines d’années de débat ont été nécessaires pour qu’une réglementation soit adoptée.

«C’est un problème qui touche à des valeurs essentielles, mais aussi à notre vie quotidienne. Presque chacun d’entre nous est confronté tôt ou tard à la longue agonie d’une connaissance, aux interminables souffrances d’un parent», conclut-il.

«Et, dans ce cas, on se rend compte qu’il faut au moins parler du problème et qu’il est hypocrite de continuer de se taire. La discussion va continuer, c’est ce que je voulais.»

swissinfo, Armando Monbelli
(Traduction: Isabelle Eichenberger)

Créé en 1949, le Conseil de l’Europe est la plus vieille institution politique du Vieux Continent.
Il a son siège à Strasbourg et regroupe 45 pays.
Ses objectifs comportent la défense et la promotion de quelques principes fondamentaux, comme la démocratie, les droits humains, la cohésion sociale, la sécurité des citoyens et la diversité culturelle.
Sans être contraignantes, ses résolutions doivent être prises en considération par les Etats-membres.

– La Suisse distingue les formes suivantes d’euthanasie:

– L’euthanasie active directe: homicide intentionnel pour abréger les souffrances. Punissable même si c’est à la demande de la victime.

– L’euthanasie active indirecte: administration de substances destinées à alléger les souffrances, dont les effets secondaires peuvent abréger la vie. Non réglementée.

– L’euthanasie passive: renoncer à prendre ou interrompre des mesures qui permettent de prolonger la vie. Non réglementée.

– L’assistance au suicide: punissable seulement si elle répond à des motivations de nature égoïste.

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