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Le féminisme en perte de vitesse

L'affiche du festival. nouvelles.ch

«Nouvelles», le festival de films de femmes jette l'éponge après quinze ans d'existence, signe que le mouvement féministe s'essouffle.

La jeune génération de réalisatrices craint la ghettoïsation que peut provoquer une telle étiquette.

Nouvelles ou les Frauenfilm Tage va définitivement tirer le rideau cette année. Et pourtant, ce festival, qui a été initié alors que le féminisme était encore un mouvement porteur et militant, compte quinze ans d’existence.

Quinze années focalisées sur le cinéma de réalisatrices. Fictions, documentaires, ainsi que films d’anthologie étaient projetés simultanément dans plusieurs villes romandes et alémaniques.

Pour expliquer cet abandon, Chantal Milles, la directrice de Nouvelles depuis trois ans, évoque la défection du public. «Nous avons constaté un fossé entre les efforts que nous déployions et la fréquentation.»

Or, si de surcroît le public touché est à 95% féminin, le festival n’a plus de raison d’être car sa portée est insuffisante. Et surtout, l’exclusion tacite du public masculin conduit à une ghettoïsation des films de femmes qui s’avère totalement contre-productive.

Il y a de quoi remettre en cause la pertinence d’une telle démarche. Surtout à l’heure où des progrès ont tout de même été effectué en matière d’égalité des sexes.

Caduque historiquement

Au point même, que l’étiquette «cinéma de femmes» ou pire encore «féministe», est considérée par les jeunes réalisatrices comme un handicap. Chantal Milles en a fait l’expérience.

«Dans ma quête de courts métrages de femmes, j’ai pu constater que les plus jeunes refusaient de se voir cantonner dans un coin. Elles veulent être considérées d’égal à égal avec leurs partenaires masculins.»

La faute aussi au manque total de relève dans le mouvement féministe. Mais ce désengagement ne fait que refléter le manque de militantisme et l’individualisme qui atteint la société en général.

Laurent Toplitsch, qui a programmé des films du festival dans son cinéma à Lausanne, ajoute que l’argument film de femmes est «historiquement caduque». Il n’est pas suffisant pour cimenter un festival.

Tania Zambano-Ovall, jeune réalisatrice, parle de critères trop réducteurs. «Un thème aurait été plus intéressant».

Encore du pain sur la planche

«Le militantisme féministe et donc ce type de festival était pertinent à une certaine époque. Quand il fallait vraiment faire une place aux femmes qui n’avaient pas voix au chapitre», surenchérit la réalisatrice Jacqueline Veuve.

Cette vétérante du cinéma estime pour sa part avoir donné au féminisme en faisant notamment beaucoup de portraits de femmes. Elle avait d’ailleurs présenté son film sur Delphine Seyrig lors de l’édition 2002 de Nouvelles.

«Et quand je vois les réalisatrices de 25 à 35 ans, elles n’ont aucune peine à se faire entendre, constate Chantal Milles. Pour elles c’est naturel d’avoir les mêmes possibilités que leur collègues masculins».

Elles ont également pris confiance au niveau technique. Ce qui tend à prouver que ce n’était qu’une question d’éducation.

Si on va plus loin encore, on peut carrément se demander ce qu’est le cinéma féminin et s’il existe vraiment. De l’avis général, ce concept est creux, car il existe autant de sensibilités que de films.

Réalisatrices sous-représentées

Mais tout de même, pas besoin d’être une féministe convaincue pour affirmer que les réalisatrices sont sous-représentées en Suisse. Elles-mêmes s’accordent à le reconnaître.

«Alors qu’il y a autant de femmes que d’hommes qui sortent des écoles de cinémas, remarque Tania Zambano-Ovall. Les obligations familiales peut-être».

Elles sont par contre très présentes dans les métiers satellites. On ne compte plus les monteuses par exemple. Des métiers qu’elles peuvent exercer en respectant des horaires plus réguliers que ceux, impossibles, d’un plateau de tournage.

En résumé, les inégalités entre hommes et femmes dans le milieu du cinéma ne font que refléter celles du travail en général, où les femmes font nettement moins carrière que les hommes.

Manque de financements

Mais, en ce qui concerne le cinéma, cette sous-représentativité féminine semble spécifique à la Suisse. En France, il y a en effet beaucoup plus de jeunes réalisatrices.

Jacqueline Veuve estime qu’elles n’ont pas encore trouvé leur place en Suisse. «Elles doivent prendre d’avantage confiance en elles. Comme il faut que la société en général leur laisse prendre cette place.»

Mais c’est clair que dans un contexte où le cinéma suisse en général a de la peine à survivre, faute de moyens financiers, la compétition est d’autant plus acharnée.

swissinfo, Anne Rubin

– Nouvelles existe depuis quinze ans.

– Le festival s’appelait Frauenfilm Tage jusqu’en 1998.

– L’édition 2003 a lieu dans sept villes: Bâle, Berne, Bienne, Brigue, Genève, Lausanne et St-Gall.

– Nouvelles se déroule toujours durant le mois de mars et se prolonge jusqu’à début avril.

– Son début correspond à la période de la Journée de la femme (8 mars).

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