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Le franc fort continue de ronger l’économie suisse

A quand la parité entre le franc et l'euro? Keystone

Alors que le dollar est déjà passé sous le franc, la monnaie suisse approche de la parité avec l’euro. Cette surévaluation ne cesse de pénaliser la rentabilité de nombre de secteurs industriels. L’économie suisse se porte certes encore bien, mais le pire est à venir.

«Cela peut sembler prophétique, et presque tragique de dire ça maintenant, mais l’économie suisse a été victime de son propre succès en survivant à la crise financière de ces dernières années, déclare à swissinfo.ch Janwillem Acket, chef économiste à la banque Julius Bär. En fait, c’est dans les mois à venir que nous allons vraiment sentir les dégâts de ce franc surévalué».

Comme d’autres, l’expert a revu à la baisse ses prévisions de croissance du PIB suisse pour cette année. De 2,6% l’an dernier à 2,2% en janvier, il est passé à un prudent 1,4%.

Inquiétant

Janwillem Acket ajoute que la situation reste extrêmement volatile et la prédiction délicate, les conditions économiques dépendant des solutions qui seront proposées à la crise de la dette en Europe, et particulièrement en Grèce.

Pour l’heure, l’économie suisse est pendue à un fil, avec un taux de chômage qui a légèrement diminué le mois dernier à 2,8%. Le volume des exportations a quant à lui augmenté de 5,8% au premier trimestre 2011 pour atteindre 50 milliards de francs. Et Swissmem, l’organisation faîtière de l’industrie des machines, a enregistré une hausse des commandes de 27% au premier trimestre par rapport à la même période de l’an dernier.

Mais pour maintenir les exportations à la hausse, les industriels suisses ont dû baisser leurs prix, particulièrement à destination de l’Union européenne, qui pèse pour deux tiers de leurs marchés. Conséquence: le produit des ventes n’a augmenté que de 2,7% dans ce même premier trimestre  2011, ce qui reste loin en-dessous des niveaux d’avant la crise.

Pour sauver des emplois, nombre d’entreprises se voient contraintes de réduire les salaires et de demander à leur personnel de faire des heures supplémentaires non payées. Plus inquiétant peut-être, la tendance à chercher de plus en plus des fournisseurs hors de Suisse, dans la zone euro.

Dans le mur

Mardi dernier, Joseph Jimenez, patron de Novartis, avertissait qu’en raison de la surévaluation de la monnaie helvétique, le géant de la pharma devrait «réduire ses coûts totaux en francs suisses».

Cette semaine, le franc a battu un nouveau record face à la monnaie européenne, avec un euro à 1 franc 14, alors qu’il était encore à 1 franc 50 à fin 2009. En mai déjà, Peter Widmer, président de l’association Swiss Export, déclarait au quotidien Blick qu’en cas de parité entre le franc et l’euro, «des milliers d’entreprises seraient menacées de faillite».

Et les machines ne sont pas le seul secteur touché. L’industrie textile a fait appel au gouvernement pour lui demander des crédits relais en vue de faire face à une crise imminente.

De leur côté, de petits producteurs traditionnels de fromage se trouvent en difficulté, ayant vu leurs exportations chuter de 3,5% au premier trimestre, alors que dans le même temps, les importations de fromage étranger ont augmenté de 7,4%. Et les géants du secteur laitier ne sont pas épargnés. Ainsi, le groupe Emmi estime que ces trois dernières années, le franc fort lui a fait perdre 100 millions de francs de chiffre d’affaires.

Personne n’est gagnant

Et les banquiers privés, que l’on voyait comme les principaux bénéficiaires du franc fort avec les afflux de capitaux en Suisse, clament qu’ils ne sont pas aussi heureux qu’on pourrait le croire. Les nouveaux avoirs sont en effet libellés en euros, alors que les frais restent en francs.

Le secteur du tourisme souffre également du franc fort. Dans sa dernière édition, l’hebdomadaire dominical NZZ am Sonntag parlait d’un millier d’hôtels menacées de fermeture en raison de la désertion d’une clientèle pour qui la Suisse est désormais trop chère.

Dimanche également, Jürg Schmid, directeur de Suisse Tourisme, en appelait, dans SonntagsBlick, au patriotisme des vacanciers suisses, priés de rester au pays et de dépenser leur argent sur le marché domestique.

Hansueli Loosli, chef du groupe Coop, a également entonné le refrain du patriotisme, en accusant les consommateurs suisses qui vont faire leurs courses de l’autre côté de la frontière de faire perdre près de deux milliards de francs chaque année au secteur du commerce de détail.

D’un autre côté, le surveillant des prix a pointé un doigt accusateur sur les mêmes détaillants, qui selon lui n’en font pas assez pour répercuter la baisse du coût des importations sur les consommateurs.

En Suisse, le panier de la ménagère est en moyenne 20 à 30% plus cher que dans le reste de l’Europe. Mais selon les statistiques officielles, la cherté du franc n’a qu’à peine fait baisser les prix de marchandises que les détaillants achètent pourtant à meilleur compte.

Le franc suisse est ce que l’on nomme une monnaie «refuge», ce qui signifie que les investisseurs et les spéculateurs en achètent lorsque les autres monnaies, y compris l’euro et le dollar, sont sous pression.

Dans les quatre dernières années, le franc a gagné 25% en valeur face à l’euro et au dollar.

La banque centrale, (Banque nationale suisse, BNS) a bien insisté sur le fait qu’elle ne visait pas un plafond dans le taux de change du franc contre les autres monnaies, mais basait sa politique sur son mandat légal.

Ce mandat stipule que la BNS «a pour tâche d’assurer la stabilité des prix» et que ce faisant, elle doit «tenir compte de l’évolution de la conjoncture».

A partir de mars 2009, la BNS est intervenue sur le marché des changes. Mais devant le peu d’effet de ces interventions très coûteuses et alors que le franc bondissait pendant le premier round de la crise de la dette grecque, elle a laissé tomber en juin 2010.

Ces interventions ont coûté à la BNS une perte de 21 milliards de francs l’an dernier. C’est la plus lourde de son hiastoire et des voix se sont élevées pour demander la tête de son président Philipp Hildebrand.

Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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