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Le mythe indien des comptes cachés en Suisse

Les chiffres sont peut.être exagérés, mais il est vital pour l'Inde de récupérer l'argent sale. Reuters

La question des ‘milliards de dollars d’argent sale indien cachés dans les banques suisses’ est une constante de la politique locale. Un thème qui a toutes les chances d’être abordé lors de la visite qu’effectue de mercredi à samedi le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann à New Delhi.

La Suisse est la destination préférée des Indiens. Une image promue autrefois parce qu’elle servait de décor à de nombreux films de Bollywood mais, aujourd’hui, les touristes sont soupçonnés de chercher plutôt à cacher des milliards de roupies dans les banques suisses.

L’affaire remonte à un exercice formel, généralement sans surprise et donc rarement répercuté dans la presse nationale: le 29 mars, l’ambassadeur de Suisse en Inde, Philippe Welti, participait à la cérémonie de nomination du nouveau consul honoraire de Calcutta, dans l’est du pays.

«De la pure fantaisie»

Après les discours, un journaliste local aborde l’ambassadeur: «Monsieur, que pensez-vous des chiffres annoncés par le Parlement indien, qui parle de 1,43 trillion d’argent sale caché sur des comptes suisses? Êtes-vous d’accord avec ce chiffre?» Réponse du Suisse: «C’est de la pure fantaisie!»

De la ‘pure fantaisie’… une réponse d’une clarté et d’une dureté inaccoutumées dans la bouche d’un diplomate. L’interview de Philippe Welti a, depuis, fait le tour de l’Inde. Après plusieurs années d’incessantes accusations, voilà qu’un représentant de la Confédération défend publiquement la position de son pays sur le thème sensible de la fraude fiscale.

«Il existe un traité [entre nos deux pays] qui permet la divulgation d’informations en cas de fraude fiscale. C’est au gouvernement indien de décider de déposer une telle demande. […] Personnellement, je n’en ai reçu aucune», a encore expliqué l’ambassadeur.

Le journaliste qui est à l’origine de ces questions, Sougata Mukhopadhyay, chroniqueur politique sur la chaîne indienne CNN-IBN, n’en revient toujours pas. «Ses mots contredisent les affirmations de notre gouvernement, qui se plaint constamment d’une soi-disant non-coopération suisse. Tout ça n’est que du blabla officiel!» Le journaliste espère que ces déclarations forceront les autorités à plus de transparence. 

Les Indiens champions de la fraude

 

Combien de milliards de dollars sont entreposés à Zurich ou Genève? Qui les aurait cachés? Comment les rapatrier? Ces questions ne cessent de hanter le débat public indien depuis que le principal parti d’opposition, le Bharatiya Janata Party (BJP), en a fait un thème de campagne électorale en 2009. Un leitmotiv populiste qui a donné naissance à bien des légendes urbaines.

Ainsi, selon une étude que les médias indiens mettent sur le compte de l’Association Suisse des Banquiers (alors que celle-ci nie en être l’auteur), les Indiens seraient les heureux propriétaires de 1,35 trillion de francs déposés sur des comptes helvétiques, ce qui en ferait les champions du monde de la fraude fiscale.

Un chiffre contredit même par les études d’Alliance Sud, un regroupement d’ONG helvétiques, qui estime que les banques suisses détiennent 360 milliards de francs d’argent sale pour… l’ensemble des pays émergents, dont l’Inde.

Mais même si les chiffres sont exagérés, il reste vital pour le pays de résoudre le problème de l’argent sale. «En Inde, l’ensemble de l’élite détourne de l’argent», dénonce le professeur Arun Kumar, enseignant d’économie publique à l’Université Jawaharlal Nehru, à New Delhi.

«Les politiciens, les fonctionnaires, mais aussi les chefs d’entreprise, les investisseurs, tous gagnent de l’argent non déclaré. Certains sous-estiment leur production, d’autres cachent une partie de leurs revenus ou inventent des frais… D’après mes calculs, l’économie au noir représente aujourd’hui 50% du PIB. Une somme en partie cachée en Suisse ou dans d’autres paradis fiscaux mais surtout en Inde. Au final, 90% de l’argent détourné reste ici.»

Selon cet économiste, la corruption et la fraude fiscale feraient perdre à l’Inde 5% de points de croissance annuelle depuis 25 ans. «Ces détournements, par exemple, expliquent pourquoi on n’investit pas dans l’éducation, pourquoi les professeurs ne sont pas payés et refusent de donner leurs cours… l’argent sale mine le développement du pays», martèle Arun Kumar.

A la même enseigne que les Etats-Unis

 

Sous la pression de l’opposition, New Delhi a donc négocié à la dure un nouvel accord de double imposition avec Berne, obtenant les mêmes conditions que les Etats-Unis et autres pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Dès que l’accord sera ratifié, les Indiens pourront demander une intervention helvétique en cas d’évasion fiscale.

Un progrès tout de même très limité, modère Mark Herkenrath, expert d’Alliance Sud: «Ce nouveau traité ne changera pas grand-chose pour les Indiens. D’abord, il n’affectera pas les sommes déjà déposées en Suisse car l’accord n’est pas rétroactif. Ensuite, il restera difficile pour les Indiens d’obtenir des informations de la part de Berne car il leur faudra encore prouver qu’il y a bien eu évasion fiscale. Paradoxalement, c’est comme s’ils devaient présenter aux Suisses les informations qu’ils leur demandent justement de fournir!»

En attendant, sur les télévisions indiennes défilent en boucle les images d’une caméra cachée dénonçant le «contact suisse» du plus gros fraudeur indien, Hasan Ali, qui aurait caché plus de 8 milliards de dollars à UBS. La Suisse n’est pas près de retrouver son image de paradis cinématographique.

Lors de sa visite du 6 au 10 avril 2011 en Inde, le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann dirigera une délégation mixte. Après le creux de 2009, les exportations vers le géant asiatique ont renoué avec la croissance.

AELE. Le conseiller fédéral s’entretiendra avec Anand Sharma, ministre du Commerce et de l’Industrie; Pranab Mukherjee, ministre des Finances, et Mallikarjun Kharge, ministre du Travail. Les discussions porteront notamment sur les négociations en vue d’un accord de libre-échange avec l’Inde.

 

Coopération. A Pune, le ministre de l’Economie visitera un projet de coopération en matière de formation professionnelle.

Partenariat. Il participera à une conférence de l’organisation FICCI consacrée au partenariat économique Suisse-Inde, à des visites d’entreprises suisses et indiennes à Pune et à Mumbai, ainsi qu’à Lavasa, ville créée de toutes pièces qui tient lieu de modèle de l’urbanisme indien au 21e siècle.

Un développement florissant est prévu pour l’Inde. La Suisse a réalisé un excédent commercial de 1,55 milliard de francs en 2010: les exportations de marchandises vers l’Inde ont atteint 2,56 milliards contre 1,01 milliard pour les importations.

Investissements. Selon les chiffres de la Banque nationale suisse, les investissements directs de la Suisse en Inde atteignaient 3,32 milliards de francs à fin 2009 et ont créé pas moins de 60’000 emplois. 

 

Source: ministère suisse de l’Economie

Colonisation. Au 18e siècle, des mercenaires suisses au service de la France et de l’Angleterre participent à la colonisation de l’Inde. Ils sont suivis au début du 19e siècle par des jésuites et des protestants. Dans le sud, la Mission de Bâle déploie une activité intense dans les domaines religieux, médical, scolaire et économique. En 1851, la maison Volkart est fondée à Bâle et Bombay et développe son réseau, devenant l’épine dorsale de la présence suisse en Inde.  

Coopération et bons offices. La Suisse reconnaît l’Inde dès son indépendance en 1947. En 1948, c’est le 1er pays à signer un traité d’amitié. Les relations économiques et commerciales se développent rapidement. Les entreprises suisses commencent à investir dès les années 1950.

Economie. Dès 1991, l’ouverture économique inaugure une nouvelle phase et l’Inde est aujourd’hui l’un des principaux partenaires asiatiques de la Suisse.  

Source: ministère suisse des Affaires étrangères

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