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Le Parlement reste un “miroir déformé” de la société

Le profil des parlementaires a évolué, mais les salariés, la catégorie la plus nombreuse dans la société, restent sous-représentés. KEYSTONE/ANTHONY ANEX sda-ats

(Keystone-ATS) Depuis des mois, les politiciens, les médias, les intellectuels s’écharpent sur le prétendu divorce entre le peuple et les élites. La Suisse y échappe-t-elle grâce à son Parlement de milice? Eléments de réponse avec le politologue Andrea Pilotti.

Les fronts ont bougé en termes d’origine sociale entre 2000 et 2016, explique le politologue Andrea Pilotti qui publie ces jours un livre sur qui sont ces élus qui représentent les Suisses au Parlement. Ceux dont les parents étaient ouvriers ou petits salariés sont bien moins nombreux que lors des précédentes législatures.

D’un sur quatre en 2000 (25,9%), on arrive à moins d’un parlementaire sur cinq en 2016 (17,3%). Or cette catégorie est la plus importante dans la population suisse.

Changement assez conséquent

Les élus originaires de cette classe sociale sont les mieux représentées au sein du PS. Mais la proportion baisse, de près de la moitié en 2000 à 37% en 2016.

Des représentants de la moyenne bourgeoisie sont aussi plus nombreux dans les rangs du PS en passant d’environ 20 à 40% entre 2000 et 2016, un “changement assez conséquent” aux yeux du chercheur. Les parlementaires d’origine ouvrière ou salariée ne sont pas pour autant plus nombreux à droite: 6% en moyenne dans les trois partis réunis PLR, PDC et UDC.

Les élus UDC sont largement dominés par la petite bourgeoisie, c’est-à-dire des fils de commerçants, d’entrepreneurs et de paysans. Avec le virage donné à l’UDC par Christoph Blocher, le parti a plutôt vu l’arrivée de représentants, originaires de la moyenne ou haute bourgeoisie.

Moins d’universitaires

En matière de formation, la progression des universitaires marque le pas: elle tombe à environ un sur deux en 2016 (57,3%) contre deux sur trois en 2000 (65,1%) et (69%) en 1980. Dans les autres parlements européens, la proportion reste stable ou augmente. “C’est surtout l’UDC, qui a fait changer la donne, en faisant élire des petits patrons en nombre à Berne”, poursuit le Tessinois, installé à Lausanne.

Depuis le virage donné par l’UDC zurichoise, ce parti compte de nombreux petits entrepreneurs, formés via la filière professionnelle. Davantage que les autres partis de droite, PLR ou PDC compris.

La baisse du nombre d’universitaires est aussi visible au sein du PLR: trois quarts des élus libéraux étaient universitaires en 2000 contre 61% en 2016. Conseillers indépendants (en matière juridique, fiscale, fiduciaire) et fonctionnaires d’associations patronales y sont nombreux.

Les universitaires sont les mieux représentés aujourd’hui au PS (74%). “Ce parti a subi un changement fondamental de la formation suivie par ses parlementaires depuis le début des années 80”, selon le chercheur, moment où les universitaires sont devenus majoritaires.

Profil professionnel

Si l’on prend les activités professionnelles actuelles des parlementaires, les salariés, issus du secteur privé, le plus souvent des cadres, sont désormais plus nombreux à l’UDC. Le PS néanmoins compte toujours davantage de salariés venant du secteur public.

Le Parlement est souvent qualifié de “miroir déformé” d’une société, a souligné le chercheur. Le Parlement suisse reste davantage déformé que d’autres, selon lui, en raison d’une surreprésentation des professions libérales. En Suisse, le salariat n’est représenté que par environ 15% des députés contre 45 à 50% dans d’autres parlements européens.

Parlement semi-professionnel

Le Parlement de milice s’est également transformé en Parlement semi-professionnel entre les années 90 et 2000 avec l’adaptation des rémunérations des parlementaires, l’instauration de commissions permanentes et davantage de compétences données au Parlement. “C’est là clairement un tournant”, pour le chercheur.

Du fait que le Parlement a pris du pouvoir, les parlementaires sont davantage convoités. Plusieurs groupes d’intérêt investissent la salle des Pas Perdus. Historiquement, il n’y avait pratiquement que les grandes associations faîtières qui se prêtaient à ce jeu.

A l’avenir, le Parlement pourrait aller vers davantage de professionnalisation. Le terme de Parlement de milice ne va pas disparaître pour autant. D’abord parce qu’il est enraciné dans la culture politique helvétique. Ensuite parce qu’il reste un bon moyen d’éviter l’accusation d’être coupé du peuple.

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