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Le procès Swissair déjà doublement en librairie

Eric Honegger avoue avoir été très nerveux lorsqu'il a comparu devant ses juges. Keystone Archive

En attendant le verdict, qui sera rendu jeudi, deux livres sortent sur le procès de l'ex-compagnie aérienne nationale.

L’accusé Eric Honegger livre un récit personnel parfois amer et le journaliste Constantin Seibt fait le récit des audiences dans un style enlevé.

Il était apparu lors du procès Swissair à Bülach avec un petit sac à dos qui lui donnait davantage l’allure d’un fonctionnaire que d’un ancien conseiller d’Etat (ministre cantonal) et ancien président du conseil d’administration du groupe aérien. Le radical zurichois Eric Honegger avoue aujourd’hui avoir été très nerveux ces jours-là.

On sent même, au fil des 180 pages de son livre, qu’il avait carrément peur de cette rencontre avec les juges, avec le public, avec les médias.

Son livre, c’est «Erinnerungs-Prozess», titre qui joue sur les mots «souvenirs» et «procès» mais aussi «processus». Et c’est bien un processus de guérison que l’on devine chez le radical, avec ce journal de bord du procès entrecoupé de souvenirs de sa vie de politicien, puis de conseiller d’administration, reconnu puis déchu.

Avant la fin du procès

«C’est à dessein que je n’ai pas voulu attendre le verdict pour finir mon livre, dit celui qui est accusé de gestion déloyale et de fraude fiscale. Et qui encourt une peine de 8 mois avec sursis. Que cela plaise ou non, cela ne changera rien à tout ce que j’ai vécu ces dernières années.»

«Si je devais être condamné à la prison, (…) mon image de la patrie, juste, démocratique, équitable, aura bel et bien disparu», écrit Eric Honegger. Le verdict n’y changera rien, ajoute-t-il en fin de livre.

«Je suis puni depuis six ans sans avoir été condamné.» Son avocat n’a pas demandé de réparation, car «j’ai renoncé à ma pension de conseiller d’Etat et je ne veux pas non plus d’argent de cet Etat en lequel j’ai perdu beaucoup de ma confiance.»

Ironie contre le procureur

Eric Honegger se pose beaucoup de questions («Et les policiers devant le tribunal, sont-ils de mon côté?»), ne cache pas ses doutes et ses peurs. Cela le rendrait presque sympathique, n’étaient ces pointes glissées entre deux aveux de quasi-panique.

Il décrit ainsi le procureur, avec sa petite et vieille voiture, jouant les pauvres serviteurs de l’Etat face aux riches profiteurs, alors que la voiture «doit parfois faire de la place à une Ferrari à la maison. Brouillage d’étiquettes, évidemment non pénalement répréhensible», écrit Eric Honegger avec une ironie teintée d’amertume.

Mario Corti, qui l’a licencié le 15 mars 2001, n’est pas présenté sous un jour plus favorable. Bien qu’il dise ne pas entrer dans le détail de la débâcle, Eric Honegger contredit néanmoins Mario Corti sur des points précis (notamment le licenciement de Philippe Bruggisser).

Par ailleurs, le radical prend aussi la peine de nier avoir vendu leur maison à sa femme pour échapper aux poursuites civiles, «et nous pouvons le prouver». Mais on n’en sait pas plus sur les raisons de ce transfert.

Comme un polar

Changement complet de ton avec l’autre ouvrage sur le procès, sorti début mai: le journaliste Constantin Seibt, reporter au «Tages-Anzeiger», écrit dans un style enlevé, voire enjoué. On sent l’observateur passionné, et souvent passionnant.

L’humour est omniprésent, parfois à la limite de la méchanceté. «Vreni Spoerry, assise toute droite sur sa chaise, endurcie par les milliers de séances de sa vie, était semblable à elle-même, petite, énergique, sèche», note le journaliste.

Surtout, son livre se lit aussi comme un polar, parce que, comme dans une enquête policière, l’auteur recherche le ou les coupables. «Qui est responsable?», demande le journaliste après chaque compte-rendu de semaine d’audience. Et il livre ses réponses.

«Le grésillement de la honte»

Si l’incompétence n’est pas passible de prison, Constantin Seibt n’excuse pas pour autant les anciens membres du conseil d’administration, coupables selon lui de s’être mis en lumière personnellement grâce au succès d’un collectif, tout en fustigeant les mauvais travailleurs ou la mentalité de profiteur.

«Le crash de la bourse et de Swissair les a laissés avec leurs villas en rade et le léger grésillement de la honte», écrit, joliment, Seibt. Et peut-être, on le saura jeudi, le couperet de la justice.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

Le Tribunal de district de Bülach rendra son verdict jeudi à 9 heures en séance publique. Le procès a duré six semaines entre mi-janvier et début mars.

Le plus chargé des accusés, Mario Corti, risque 28 mois de prison, dont 6 fermes. Il a fait savoir qu’il resterait chez lui à Boston. La dernière cheffe des finances du groupe Swissair, Jacqualyn Fouse, restera également aux Etats-Unis.

Les 19 accusés (parmi lesquels Vreni Spoerry, Benedikt Hentsch, Thomas Schmidheiny, Philippe Bruggisser, Lukas Mühlemann) ont tous plaidé non coupables.

Le Ministère public les accuse notamment de gestion déloyale, gestion fautive, faux renseignements sur des sociétés commerciales, diminution effective de l’actif au préjudice des créanciers et avantages accordés à des créanciers.

Les peines requises vont de 6 à 28 mois, toujours avec sursis sauf en ce qui concerne Mario Corti.

La débâcle Swissair a nourri de nombreux ouvrages et plusieurs films, documentaire ou fiction («Grounding»).

La bibliographie comprend deux livres du journaliste René Lüchinger («Swissair, l’histoire secrète de la débâcle», Bilan, et «Swissair – Mythos & Grounding», Scalo Verlag), un ouvrage de Sepp Moser («Bruchlandung», Orell Füssli), et celui d’André Dosé, premier patron de Swiss («Sturmflug», Orell Füssli).

En allemand, les deux ouvrages les plus récents: Constantin Seibt, «Der Swissair-Prozess» , Echtzeit Verlag, Bâle; Eric Honegger, «Erinnerungs-Prozess», Ammann Verlag.

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