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Le retrait d’une lutteuse infatigable de la neutralité active

Micheline Calmy-Rey a annoncé mercredi devant la presse son retrait du Conseil fédral pour la fin de l'année. Reuters

Micheline Calmy-Rey a annoncé mercredi son retrait du gouvernement pour la fin de l'année. Durant ses neuf ans à la tête de la diplomatie suisse, la socialiste genevoise s’est fermement engagée pour la promotion de la «neutralité active» en politique étrangère.

Après neuf ans passés la tête du ministère des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey a confirmé mercredi les rumeurs insistantes sur son retrait prochain du Conseil fédéral (gouvernement). La ministre socialiste genevoise a affirmé qu’elle ne se représenterait pas lors de l’élection au Conseil fédéral le 14 décembre prochain. «Je me suis engagée avec toute l’énergie et la volonté dont j’ai été capable», a-t-elle dit devant la presse à Berne.

Evoquant les difficultés qu’elle a rencontrées en souhaitant déployer une politique extérieure active, elle a souligné qu’il «n’existait pas de consensus national» sur ce que devrait être la politique extérieure du pays. La socialiste a regretté de devoir partir sans avoir pu mener à bien le nouveau cycle de négociations bilatérales avec l’Union européenne (UE). «Mais une autre vie commence», a-t-elle ajouté, sans toutefois dévoiler ses intentions de reconversion future.

Micheline Calmy-Rey a également affirmé que sa décision avait été prise il y a plusieurs mois et qu’elle partait «en accord avec son parti». Ce départ a en effet pour toile de fond la stratégie du Parti socialiste (PS) en vue des élections fédérales du 23 octobre prochain et du renouvellement du gouvernement qui suivra. Le parti espère ainsi doper sa campagne. Parmi les papables socialistes pour la succession de la Genevoise, le sénateur fribourgeois Alain Berset et le ministre vaudois de la Santé Pierre-Yves Maillard font figure de favoris.

Une quasi inconnue

Le parcours de la ministre qui a marqué une décennie de la vie politique suisse a débuté le 4 décembre 2002: Micheline Calmy-Rey est élue au gouvernement avec 131 voix. C’est une femme presque inconnue au niveau national qui se présente devant les parlementaires pour prêter serment. Née et élevée en Valais, la socialiste a construit sa carrière politique dans le canton de Genève: parlementaire cantonale, puis présidente du PS genevois et enfin membre du gouvernement cantonal en charge des Finances.

Les Suisses découvrent ainsi une nouvelle silhouette dans la politique fédérale: habits élégants et austères, pratiquement toujours noirs ou blancs, avec parfois un peu de rouge. Cheveux avec une frange, aussi large que son sourire, avec quelques mèches blondes ou blanches: un look original au Palais fédéral. La nouvelle ministre est chétive, mais énergique et décidée.

«J’apporte avec moi un certain caractère, qui vient de ma famille, du Valais. Et j’apporte aussi avec moi mon expérience genevoise, imprégnée d’ouverture vers le monde», déclare-t-elle peu après son élection. Deux particularités qui vont marquer tout le temps qu’elle passera à la tête du ministère des Affaires étrangères (DFAE): la volonté d’ouverture vers le monde et le caractère valaisan, tenace et combatif, qui l’aidera à accomplir sa mission.

Neutralité active

Un caractère certes pas facile. La première femme à la tête du DFAE heurte dès le départ le corps diplomatique, habitué depuis des années à la conduite du placide Joseph Deiss. Exigeante, centralisatrice et parfois impulsive, la numéro un de la diplomatie n’use pas toujours d’un ton diplomatique avec ses collaborateurs. Certains rappellent son surnom, «Cruella», dont elle avait été affublée lorsqu’elle était responsable des Finances à Genève.

Son rôle n’est cependant pas de se faire aimer au sein du DFAE, mais de donner une visibilité et de faire respecter la Suisse à l’étranger. Dynamique et empressée, Micheline Calmy-Rey multiplie les initiatives pour réactiver la politique de «neutralité active» lancée par la Confédération au début de la Guerre froide. Ainsi, le 20 mai 2003, elle devient le premier ministre étranger à traverser à pieds la ligne de démarcation entre les deux Corée et se rend à Pyongyang pour discuter avec les dirigeants nord-coréens.

Toujours en 2003, elle soutient activement l’Initiative de Genève, un plan de paix officieux qui vise à renouer le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Au cours des années suivantes, elle négocie en vue de la création du Conseil des droits de l’homme, conçu comme l’instrument le plus efficace pour assurer le respect des droits humains.

Au nom des Conventions de Genève, elle dénonce vivement, en 2006, les bombardements israéliens au Liban, qu’elle juge «disproportionnés», et exige le respect du droit humanitaire. Elle s’attire ainsi des critiques de la part d’Israël, mais aussi des félicitations tant en Suisse qu’à l’étranger. C’est un ton nouveau pour une diplomatie suisse jusqu’alors habituée à se taire pour éviter les éclats.

Annus horribilis

Seule femme au gouvernement pendant plus de deux ans, les sondages la placent régulièrement en tête dans le classement des politiciens les plus appréciés. Cette popularité atteint son zénith en 2007, lorsqu’elle assume pour la première fois la présidence de la Confédération. Elle organise dix «rencontres avec la population» qui attirent des centaines de personnes, chante Les trois cloches sur les ondes de la télévision suisse romande et prononce un discours patriotique pour la Fête nationale.

Micheline Calmy-Rey soigne son image. Même trop selon ses adversaires qui l’accusent de promouvoir la «diplomatique publique» surtout pour se mettre en avant. La reconnaissance rapide de l’indépendance du Kosovo, jugée précipitée, une visite voilée à Téhéran, les tentatives avortées de médiation en Colombie, la gestion de la crise avec la Libye: l’année 2008 constitue l’annus horribilis de Micheline Calmy-Rey, mais aussi pour toute la politique étrangère de la Suisse, confrontée à une véritable offensive internationale contre le secret bancaire.

Ce qui irrite surtout de nombreux politiciens, c’est le «style Calmy-Rey» ou, en d’autres termes, son caractère. Pour ses détracteurs, elle est coriace jusqu’à l’obstination, même lorsque la cause est déjà perdue. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) et le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) invitent la socialiste à lâcher son ministère: selon eux, elle n’aurait accumulé que des échecs, de l’Initiative de Genève à la crise libyenne, aurait attiré des antipathies à la Suisse, d’Israël jusqu’aux Etats-Unis, et aurait négligé les relations avec les partenaires européens.

Politique extérieures peu visible

Combative, la responsable de la diplomatie résiste aux attaques et profite du fait que d’autres ministres se retrouvent dans le viseur des politiciens et des médias, à commencer par Samuel Schmid et Hans-Rudolf Merz. Mais Micheline Calmy-Rey continue d’irriter: en décembre 2010, elle n’est réélue à la présidence de la Confédération qu’avec 106 voix, le pire résultat depuis 1919…

La ministre des Affaires étrangères perd également de son aura auprès de la population. Au cours de sa seconde année présidentielle, elle figure même en avant-dernière position dans le classement des ministres les plus appréciés, devançant seulement le ministre de la Défense Ueli Maurer. Mais son but n’est pas de se faire aimer, ni du Parlement ni de la population, mais de défendre les intérêts de la Confédération à l’étranger.

Or dans ce domaine, beaucoup, même parmi ses adversaires, reconnaissent son engagement constant, tout au long de ses 9 ans passés au gouvernement, en faveur des droits humains et des Conventions de Genève. Pour relancer la tradition de médiation dans les conflits, qui s’était affaiblie depuis la fin de la Guerre froide. Pour faire assumer un rôle plus active à la diplomatie suisse au sein des organismes internationaux. En somme, pour rendre la petite Suisse plus visible dans le monde.

1945: Micheline Calmy-Rey naît le 8 juillet à Sion. Elle reste en Valais jusqu’à l’âge de 19 ans.

1968: obtient une licence ès Sciences politiques à l’université de Genève.

1974: entre au Parti socialiste genevois et travaille jusqu’en 1997 comme administratrice et directrice d’une entreprise familiale de distribution de livres.

1981-1997: membre du parlement cantonal de Genève.

1986-1990 et 1993-2002: présidente du Parti socialiste genevois.

1997-2002: membre du gouvernement cantonal genevois (responsable des Finances).

2003-2011: membre du gouvernement fédéral en charge des Affaires étrangères.

2007 et 2011: assume la présidence tournante de la Confédération.

Micheline Calmy-Rey a «gagné» toutes les votations fédérales relatives à la politique étrangères durant ses 9 années passées à la tête du DFAE:

5 juin 2005: le peuple approuve par 54,6% l’adhésion de la Suisse aux accords de Schengen et de Dublin.

25 septembre 2005: 56% des citoyens acceptent l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l’UE.

26 novembre 2006: une contribution d’un milliard de francs destinées à favoriser le développement économique et la démocratisation dans les Etats de l’Europe de l’Est est acceptée par 53,4% des Suisses.

8 février 2009: 59,6% des citoyens s’expriment en faveur de l’extension de l’Accord sur la libre circulation des personnes à la Bulgarie et à la Roumanie.

17 mai 2009: l’introduction du passeport biométrique, conforme aux standards prévus par l’Accord de Schengen, est soutenue par 50,1% des votants.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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