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Le scandale de la FIFA écorne aussi la Suisse

Sepp Blatter (à gauche) et Michel Zen-Ruffinen (droite) ont connu des temps meilleurs. Reuters

Les affaires de corruption qui agitent la FIFA font ressurgir le manque de transparence au sein des organisations sportives internationales, pour la plupart installées en Suisse. Afin de préserver son attractivité, la Confédération a joué la carte du laissez-faire ces dernières années.

Depuis les premières révélations du Sunday Times, qui avaient conduit mercredi dernier à la suspension de deux membres du comité exécutif soupçonnés d’avoir monnayé leur vote pour la désignation du pays-hôte du Mondial 2018, la FIFA est au cœur de la tourmente.

Mais cette affaire de corruption, qui décrédibilise la plus puissante des fédérations sportives mondiales, embarrasse également les autorités suisses. Elle révèle surtout l’impuissance de la Confédération face à ces multinationales du sport présentes sur son sol.

Tout comme la cinquantaine d’organisations et fédérations sportives internationales ayant décidé d’installer leur siège en Suisse, la FIFA bénéficie non seulement d’importantes exonérations fiscales mais également d’une législation extrêmement favorable, qui lui permet de mener ses activités sans devoir rendre de compte aux autorités.

La semaine dernière, le Tages-Anzeiger révélait que la justice suisse ne disposait pas des outils juridiques nécessaires permettant de poursuivre les fonctionnaires de ces organisations sportives accusés d’avoir touché des pots-de-vin.

Lors de l’adoption en 2006 de la Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption, le Conseil fédéral (gouvernement) avait expressément exclut les organisations sportives internationales des règles régissant la lutte anti-corruption.

Braquer un projecteur

La FIFA, le CIO, l’UEFA et les autres fédérations internationales sont considérées par le droit suisse comme des associations qui poursuivent des «buts de service public» ou «d’utilité publique». Ce qui leur permet non seulement d’être exemptées de l’impôt fédéral direct mais aussi du devoir de rendre public leurs comptes.

Lors de la dernière Coupe du monde en Afrique du Sud, la FIFA a dégagé un bénéfice de plus de 3 milliards de francs, mais «elle conserve toujours les mêmes statuts qu’un club de bridge ou de pétanque», souligne Jean-Loup Chappelet, professeur en management du sport à l’Institut des hautes études en administration publique (IDHEAP) de Lausanne.

Mécontente de cette situation, la sénatrice socialiste vaudoise Géraldine Savary avait déposé en 2006 une initiative parlementaire demandant que les organisations sportives internationales soient tenues de rendre public le bilan comptable annuel, les rémunérations des membres de la direction ainsi que l’échelle des salaires.

«A l’heure actuelle, il n’est pas possible de savoir si les bénéfices de ces entreprises sont, comme leur statut le prévoit, réellement affectés au développement du sport dans le monde. En braquant un projecteur, sur leurs activités, on éviterait peut-être certaines pratiques frauduleuses», affirme Géraldine Savary.

Risque d’exode

L’initiative avait été refusée par la commission compétente du Conseil national (Chambre basse). «Comme toutes les autres propositions réclamant davantage de transparence au sein de ces organisations qui ont été formulées au Parlement ces dernières années», souligne Géraldine Savary.

«La commission a estimé que si les contrôles devenaient trop importants, les fédérations quitteraient le sol suisse pour s’installer sous des cieux plus cléments», rappelle la socialiste. Menace réelle ou chantage? «Le risque n’est pas théorique, affirme Jean-Loup Chappelet. Il existe des législations plus favorables, même en Europe. AC Management, organisateur de la Coupe de l’America, a par exemple établi son siège sur les îles Jersey et une autre organisation internationale sur l’île de Man.»

Bien consciente de l’importance de ces organisations sportives pour la Suisse et plus particulièrement pour son canton de Vaud, Géraldine Savary estime cependant que la Suisse pourrait, en tant que pays hôte, «jouer un rôle de pionnier», en se dotant d’instruments de contrôle. Il s’agirait de mettre sur pied «des commissions d’audit indépendantes ou encore un observatoire contre la corruption».

Effet d’annonce?

Suite aux révélations des derniers jours, le ministre de la Défense et des Sports Ueli Maurer a chargé ses services d’examiner, en collaboration avec le ministère de la Justice, les bases légales existantes en matière de corruption dans le sport afin d’émettre des recommandations. «Monsieur Maurer présume que les fédérations internationales désirent également un sport propre sans corruption ni dopage», soutient Martin Bühler, porte-parole du département de la Défense.

«Je me méfie de ces réactions liées à l’actualité. Dès que le soufflet retombe, les volontés politiques retombent aussi», temporise Géraldine Savary. Selon Jean-Loup Chappelet, la Confédération prend toutefois très au sérieux les remous engendrés par la présence de ces fédérations sportives sur sol suisse.

Récemment, l’Administration des Finances a envoyé une lettre pour leur rappeler que le statut favorable octroyé ne devait pas être un prétexte pour pratiquer l’évasion fiscale. «Certaines fédérations établies en Suisse ressemblent davantage à des ‘boites aux lettres’, avec seulement un ou deux employés présents sur place», assure le professeur de l’IDHEAP. La Confédération veut à tout prix éviter que ce phénomène donne du grain à moudre à l’Union européenne dans un contexte de relations fiscales déjà tendues.

Réformer la FIFA

En matière de contrôle de la bonne gouvernance des fédérations sportives, la marge de manœuvre de la Suisse reste toutefois limitée, estime Jean-Loup Chappelet: «La réforme doit avant tout venir de l’intérieur. Les décisions doivent être prises de manière plus démocratique et transparente, il faut en finir avec les votes à bulletin secret.»

Le problème, concède le professeur de l’IDHEAP, c’est que le pouvoir au sein de la FIFA est très peu partagé. «S’ils voulaient changer le mode d’attribution de la Coupe du monde, les vingt-quatre membres du comité exécutif seraient en quelque sorte obligés de se couper la tête».

Empêtrés en 1999 dans les scandales de corruption qui ont marqué l’attribution des Jeux de Salt Lake, les membres du CIO avaient contourné cet obstacle en adoptant des réformes qui sont entrées en vigueur uniquement après leur départ. Une démarche qui pourrait servir d’exemple à la FIFA. Mais pour l’heure, Sepp Blatter est toujours solidement ancré à la tête de l’institution et brigue même officiellement un quatrième mandat en 2011.

«Cette affaire choque l’opinion publique et la FIFA devra bouger. Mais quelle sera l’ampleur des changements adoptés?», questionne Jean-Loup Chappelet. Il se murmure en tout cas que le Sunday Times a bien l’intention de maintenir la pression en publiant d’autres documents embarrassants pour la FIFA ces prochaines semaines.

Contexte. Le scandale de corruption qui touche la FIFA concerne le processus d’attribution des Coupe du monde 2018 et 2022. La désignation des pays-hôtes doit se faire le 2 décembre à Zurich. L’Angleterre, la Russie, l’Espagne/Portugal et la Belgique/Pays-Bas sont en lice pour le Mondial 2018. Le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, les Etats-Unis et le Qatar sont candidats pour 2022.

Corruption. Selon un article de l’hebdomadaire britannique Sunday Times datant du 17 octobre, deux membres du comité exécutif de la FIFA – le Nigérian Amos Adamu et le Thaïtien Reynald Temarri – auraient monnayé leur vote à des journalistes qui se faisaient passer pour des lobbyistes.

Enquête. La FIFA a immédiatement annoncé la mise sur pied d’une enquête. Celle-ci est conduite par la commission d’éthique de la FIFA, une autorité judiciaire indépendante mise en place en 2006 pour renforcer le code éthique de la fédération et superviser les processus d’attribution des Coupe du monde de football. Le 20 octobre, la commission d’éthique de la FIFA a annoncé la suspension provisoire des deux membres du comité exécutif. Un rapport complet doit être rendu à la mi-novembre.

Zen-Ruffinen. Le 24 octobre, le Sunday Time a diffusé une nouvelle vidéo dans laquelle le Valaisan Michel Zen-Ruffinen, ancien secrétaire général de la FIFA, désigne plusieurs officiels de la FIFA comme susceptibles d’accepter de l’argent en échange de votes en faveur de candidats à l’organisation des Mondiaux de 2018 et 2022.

Nombreuses. La Suisse compte actuellement près d’une cinquantaine de fédérations et d’organisations sportives internationales sur son territoire. Le Comité international olympique (CIO) fait figure de pionnier puisqu’il s’est installé à Lausanne en 1915.

Vaud. A lui seul, le canton de Vaud en abrite plus d’une vingtaine d’organisations, dont le CIO, le Tribunal arbitral du sport (TAS), l’UEFA, l’Union cycliste internationale (UCI), la Fédération internationale de gymnastique (FIG) ou encore la Fédération internationale de volleyball.

Suisse. D’autres fédérations ou associations ont établi leur siège ailleurs en Suisse. Parmi les plus connues, on trouve la FIFA (Zurich), les Fédérations internationales de basketball (Genève), de handball (Bâle), de ski (Oberhofen, canton de Berne) ou de hockey sur glace (Zurich).

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