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Le sommeil agité de Jacques Chessex

Jacques Chessex saisi au Salon du Livre de Genève, en 2008. swissinfo.ch

Roman posthume, «Le dernier crâne de M. de Sade» de l’écrivain vaudois parti en octobre 2009, paraît chez Grasset. L’odeur de souffre qui l’accompagne a fait flamber les ventes. Les 25'000 exemplaires tirés au départ ont été renforcés par 6000 autres. C’est dire…

Aux hommes qui souffrent d’insuffisance sexuelle, on ne recommandera pas forcément le Viagra mais bien plutôt «Le dernier crâne de M.de Sade» qui contient une recette diabolique pour donner un coup de fouet à l’amant désemparé devant une maîtresse insatiable.

La recette en soi n’est pas difficile à appliquer. Ce qui pose problème, c’est l’ingrédient qui la compose, en l’occurrence un crâne. Pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du crâne du Marquis de Sade qui, à en croire Chessex, «court et court» depuis des siècles. Depuis ce jour de 1818 où un médecin, subjugué par le criminel appétit sexuel de M. de Sade, profana la tombe de ce dernier et s’empara de son crâne.

Le médecin ne le garda pas longtemps. Car d’autres après lui, et fous comme lui du marquis fou, réussirent à dérober le béni crâne (ou le maudit, c’est selon…). Cet os saint et abject, qui ricane dans le noir mais diffuse un «surnaturel rayonnement», fait l’objet de toutes les crispations sexuelles et religieuses.

Au fil des ans, il passe de propriétaires en propriétaires. L’un d’eux y voit une solution à ses problèmes d’érection. Il va donc prélever un petit bout d’os sur la mâchoire de Sade, le réduire en fine poudre et le mettre dans sa tasse de chocolat. La voilà, la recette. Un pouvoir aphrodisiaque que Jacques Chessex prête à ce crâne qui finira par échouer dans ses propres mains.

Combien de temps l’auteur vaudois gardera-t-il le crâne? Le temps d’un roman, pornographique au début, blasphématoire, nauséabond, avec la description détaillée des ébats de Sade enfermé à l’Hospice de Charenton (près de Paris) où il reçoit dans sa cellule une très jeune fille, Madeleine. Il lui reste 6 mois à vivre. Il a 74 ans. Presque le même âge que Chessex, parti à 75 ans, en octobre dernier. A son «Dernier crâne…», le romancier a mis, dit-on, un point final juste avant sa mort.

Prémonition

Etonnement prémonitoire est d’ailleurs le dernier tiers de son roman qualitativement supérieur à un début anecdotique. Chessex y entrevoit son grand départ. L’intuition est ici effrayante, surtout si l’on songe qu’aucune grave maladie, qu’aucun accident ne venaient annoncer son proche décès.

«… je demeurais habité par la présence de ce crâne qui ne cessait de réapparaître au cours de mes journées et de mes nuits, écrit Jacques Chessex. (…) J’ose affirmer qu’il me parlait avec une vraie sympathie, comme s’il m’approuvait et m’encourageait à me tenir à distance des bruits du monde, et plus gravement m’avertissait d’avoir bientôt à mourir».

Ressasser les fantômes. L’auteur du «Vampire de Ropraz» n’a jamais cessé de convoquer «le diable et le Bon Dieu», pour reprendre une formule sartrienne. Ses démons, il les exorcise à coups de griffes cruellement sarcastiques. Et le Très-Haut, il l’interpelle à coups de réflexions métaphysiques, à la fois iconoclastes et admiratives.

Car d’un même coup de plume, Chessex vénère et détrône les images par lui dressées. Pour preuve, son roman «Le simple préserve l’énigme» (Gallimard 2008) dans lequel il érige en icônes quelques grands auteurs et dignitaires suisses, faisant d’eux un portrait mi-tragique mi-comique.

Pour lui, Sade aussi est une icône et son crâne une relique qu’il s’approprie pour projeter sur elle ses propres fantasmes. Sentant sa mort venir, le poète de Ropraz, qui s’identifie ici à la figure littéraire et scandaleuse du marquis, voyait-il déjà ses propres fans rôder autour de sa tombe? Il n’est pas impossible. Ecoutez-le s’interroger sur les restes de Sade: «Ce crâne était-il le mien, qui m’attendait pour me rappeler ma propre fin?».

A noter qu’en Suisse, «pays violent et fou de ses icônes» selon Chessex, «Le dernier crâne de M. de Sade» se vend emballé de cellophane, avec une mention spéciale, posée en rouge sur la couverture: «Réservé aux adultes».

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Né à Payerne en 1934, il suit sa scolarité obligatoire à Fribourg, puis des études de lettres à Lausanne.

Lauréat du Prix Goncourt en 1973 pour «L’Ogre», il domine la littérature romande.

Auteur prolifique, son œuvre compte de nombreux romans, brillants, avec des thèmes qui reviennent inlassablement: Dieu et le sexe.

Parmi ses dernières parutions : «Et l’Eternel sentit une odeur agréable», «Le Vampire de Ropraz», «Pardon mère», «Le simple préserve l’énigme»…

Il était membre du jury du Prix Médicis depuis 1996.

Sa carrière d’écrivain est honorée par plusieurs récompenses, dont le Grand Prix du rayonnement français, décerné par l’Académie française.

Il est décédé le 9 octobre 2009 à Yverdon-Les- Bains.
«Le dernier crâne de M. de Sade» est son roman posthume.

«Le dernier crâne de M. de Sade» de Jacques Chessex.

Editions Grasset, 170 pages.

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