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Le webdocumentaire, l’avenir du photojournalisme?

Marcus Bleasdale observe la République démocratique du Congo depuis 8 ans. Marcus Bleasdale/VII

Durement touché par la crise des médias, le photojournalisme cherche son salut sur la Toile. De nouvelles formes de récits en images apparaissent. Les grandes figures du métier, comme Alain Genestar et Reza, parlent déjà d’une renaissance.

Les images sont partout et pourtant le métier de photojournaliste n’a jamais été aussi mal en point. Minée par la crise profonde des médias, la gratuité des photos ou encore les images d’amateurs, la profession survivra-t-elle? Des éléments de réponses se profilent à travers Anthropographia.

Ce nouveau prix de photoreportage, également webmagazine, met en lumière les travaux de longue haleine consacrés aux Droits humains. La sélection et lauréats 2010 sont exposés pour la première fois dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), à Genève.

Et parmi la trentaine d’oeuvres, on observe de nouvelles formes de récits, comme le webdocumentaire. Une voie à suivre, selon Reza et Alain Genestar, deux des prestigieux membres du jury d’Anthropographia.

Besoin de nouveaux espaces

La recherche de reconnaissance et de canaux de diffusion s’intensifie. L’incroyable engouement pour le prix Anthropographia en témoigne. Trois cents professionnels du monde entier ont participé cette année au concours, créé il y a seulement deux ans, de surcroît par un inconnu dans ce milieu, le Vaudois Matthieu Rytz, 29 ans.

L’anthropologue de formation et photographe passionné ne s’attendait pas à cet élan. Il l’explique par «un besoin de nouveaux espaces pour le photoreportage», à savoir le reportage de longue haleine, construit sur des années.

Un exemple: le lauréat, Marcus Bleasdale, de l’agence VII Photo, couvre depuis huit ans le conflit en République démocratique du Congo. Une trentaine de webdocumentaires présentés à Anthropographia témoigne aussi de nouvelles pistes de travail. Et Matthieu Rytz se montre convaincu du renouveau du photoreportage grâce au développement des technologies. «Il faudra du contenu pour ces supports et du contenu de qualité».

Car les photos ne suffisent plus pour raconter une histoire. Le photoreporter est amené à utiliser davantage de vidéos, de sons, de textes et parfois d’infographies. Même si la profession peine elle-même à définir et à nommer cette forme d’écriture (webdocumentaire, récit multimédia, audiorama, etc.), aujourd’hui, tout le monde en veut!

Comme l’explique Matthieu Alexandre, photographe spécialisé dans le reportage social et humanitaire et sélectionné cette année par Anthropographia: «Le photographe est obligé de faire de la vidéo, parce qu’il y a une demande. C’est la mode.» Celle-ci vient de la presse, comme des ONG d’ailleurs, avec qui le Français travaille de plus en plus.

Matthieu Alexandre n’y est pas réfractaire. «Le son et les séquences permettent de passer des informations supplémentaires. Mais cela représente un investissement important en termes de matériel, de formation et de temps supplémentaire consacré au reportage. La vidéo, c’est un autre métier.»

Conséquence: «Un photographe devrait passer 90% du temps sur le terrain et 10% en précommande et en post-production. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse. Alors si l’on ajoute la vidéo…»

Mariella Furrer, photographe libano-suisse, qui figure aussi à la sélection, trouve pourtant un intérêt majeur à internet. «Dans les magazines grand public, publiés sur papier, il n’y a plus de place que pour quatre ou cinq photos au maximum. Cette contrainte n’existe pas avec le web, où l’on peut vraiment développer une problématique.»

Engagée notamment dans la question des enfants abusés sexuellement en Afrique, elle se lance depuis quelques mois dans le photoreportage adapté à internet. «La demande existe, venant de grandes publications comme le New York Times, Los Angeles Times, Washington Post, etc.» Le problème reste le même: le financement. «Je ne gagne rien avec ça. Mais au moins, beaucoup de monde peut y avoir accès.»

Une révolution?

Ces nouvelles tentatives ne semblent pas répondre à une mode passagère. Alain Genestar, ex-directeur de la rédaction de Paris Match et membre du jury 2010 d’Anthropographia, n’a pas peur des mots: «Nous vivons une révolution. Et elle est sans restauration.»

Pour l’heure, «nous sommes encore dans une période de destruction d’un secteur sans savoir comment nous allons construire la suite». Les plus grands journaux et magazines vacillent, cherchant un nouveau modèle économique. «L’ère triomphante du papier est révolue, même si le numérique ne va pas tuer le papier.»

De toute évidence, internet est l’avenir du photojournalisme. «Il va se créer beaucoup de choses que l’on ne connaît même pas aujourd’hui. Le photojournalisme connaîtra une renaissance. Reste à savoir combien de temps cela prendra», s’interroge cet optimiste, qui a lui-même créé Polka magazine, un concept de magazine, webmagazine et lieu d’exposition, dédié au photoreportage. Un seul conseil pour les passionnés: «Il faut tenir le coup. On aura toujours besoin de photojournalistes pour ramener des histoires.»

Mais comment financer ces nouveaux récits, très exigeant en temps et en moyens? Une figure emblématique de la photographie, Reza (indissociable de son portrait de Massoud), également membre du conseil consultatif d’Anthropographia, parle d’un rééquilibrage à venir. «Nous sommes en train d’inventer le business plan pour cette utilisation (de la photo sur le web, ndlr). Et nous allons y venir assez vite», assure-t-il.

Le financement par la publicité, le sponsoring, des collectivités et même par le public, sont possibles. «Pour le moment, beaucoup utilisent des photos à l’œil, mais plus pour longtemps…» Dans son viseur: Google. «Il n’y a pas de raison que des sites comme Google gagnent de l’argent et que ces revenus ne soient pas reversés aux personnes qui fournissent du contenu.» Non seulement le métier n’est pas mort, mais «il est en train de renaître!», assure-t-il.

Son étonnante et tranquille certitude s’appuie sur les fondements de l’histoire: «Le photojournalisme est né dans la grotte de Lascaux, il y a 43.000 ans, quand l’homme et la femme dessinaient leur quotidien sur les murs. Depuis, nous avons changé d’outils, mais ce besoin reste.» Et Reza prend un ton prophétique: «L’image va devenir le vecteur principal de l’information et va retrouver une place importante dans la société.»

Sophie Roselli, swissinfo.ch

Le Festival du film et forum international sur les Droits humains, créé en 2003, donne la parole aux défenseurs des droits de l’homme, à travers le concept d’un film, un sujet, un débat.

L’édition 2010 se tient du 5 au 14 mars.

Cette année, Robert Badinter, André Glucksmann, Coline Serreau ou encore Tony Gatlif font partie des intervenants.

Et lors des précédentes éditions, Anna Politkovskaïa, Shirin Ebadi, Robert Ménard, Carla del Ponte, Rony Brauman, William Hurt, Florence Aubenas, comptaient parmi les personnalités invitées. Quelque 16 000 personnes ont assisté à la manifestation en 2009.

Ce nouveau concept, décliné en concours et en webmagazine, vise à encourager le travail des photoreporters du monde entier, engagés dans la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme.

Alors que le fameux World Press vise à récompenser le meilleur cliché de l’année, Anthropographia valorise les séries d’images représentant un travail étalé sur plusieurs années parfois.

Fondé il y a deux ans par le Vaudois Matthieu Rytz, Anthropographia a déjà trouvé des partenaires comme Reporters sans frontières, Polka magazine, Burn. magazine.

Le conseil consultatif 2010 rassemble des «maîtres» de l’édition et de la photo, comme Alain Genestar, ex-directeur de la rédaction de Paris Match, Stephen Mayes, directeur de l’agence VII Photo, le photographe Reza, ainsi que des représentants d’ONG.

Une exposition de 24 photographies et dix œuvres audiovisuelles se tient pour la première fois au Festival du film et forum international sur les Droits humains, avant de partir au Montreal Human Rights Film Festival, puis au New York Photo Festival.

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