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La Suisse peut-elle s’inspirer du Rwanda, pionnier en matière de parité?

Quatre femmes marchent au Rwanda avec des ombrelles roses
De nombreuses réformes introduites au Rwanda après le génocide ont changé la vie des femmes, leur donnant des droits de succession et de propriété, et maintenant une forte représentation au parlement. Keystone

Le Rwanda pointe au 6e rang de l’Indice mondial de l’écart entre les genres établi par le WEF, tandis que la Suisse occupe la 20e place. Ce classement fait sourire Rose Rwabuhihi, la cheffe de l’Observatoire du genre au Rwanda. Selon elle, la performance rwandaise s’explique par la série de lois favorisant la parité, adoptées après le génocide de 1994. Celles-ci ont un fort impact sur la vie des femmes.

Le Rwanda et la Suisse possèdent de nombreux points communs. Disposant de peu de ressources naturelles, ces deux petits pays montagneux développent le secteur tertiaire et le tourisme pour générer de la croissance. Vaches, patriotisme et amour de l’ordre y sont, par ailleurs, importants.

Au-delà de ces aspects, les deux Etats se révèlent très différents. En termes de croissance économique, de droits humains ou de libertés démocratiques, la Suisse devance le Rwanda. Elle se caractérise par sa stabilité et sa paix de longue date, tandis que le pays des mille collines reste profondément marqué par le génocide de 1994. Démocratie directe et séparations des pouvoirs constituent des spécificités du système politique helvétique. Le président rwandais Paul Kagame, militaire réélu en 2017 avec 98,8% des suffrages, est au pouvoir depuis près de dix-neuf ans. En 2015, il a fait voter une modification constitutionnelle, lui permettant de se présenter à l’élection présidentielle deux ans plus tard. Théoriquement, il pourrait rempiler pour deux mandats supplémentaires de cinq ans chacun. Le chef de l’Etat est régulièrement critiqué par des ONG internationales telles que Human Rights WatchLien externe pour ses violations des droits humains et la répression de l’opposition.

Reste qu’en matière de parité des sexes le Rwanda fait mieux que la Suisse, comptant plus de 60% de femmes au ParlementLien externe. A Berne, celles-ci occupent quelque 30% des sièges au Conseil national et 15% seulement au Conseil des Etats.

Le Rwanda se hisse au 6e rang de l’Indice mondial de l’écart entre les genresLien externe établi par le Forum économique mondial (WEF), alors que la Suisse occupe la 20e place. Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommesLien externe, souligne que les indicateurs du WEF sont étroitement ciblés et attachent plus d’importance à certains facteurs qu’à d’autres. Il est «regrettable», en tous les cas, que la Suisse ne soit pas mieux classée. Elle peut apprendre d’autres Etats, y compris de pays en développement tels que le Rwanda, selon Sylvie Durrer.

Quotas féminins

«Le Rwanda a instauré un système de quotas favorisant la représentation des femmes en politique. Celle-ci a ainsi nettement progressé», relève Sylvie Durrer. «Si cette mesure est souvent adoptée au niveau international, elle suscite une certaine méfiance en Suisse. Lors d’une votation populaire il y a presque vingt ans, la population helvétique s’est clairement prononcée contre les quotas féminins en politique.»

Dans les années 1990, les femmes n’occupaient que 18% des sièges du Parlement rwandais. Puis, la Constitution de 2003 a fixé un quota minimum de 30%. «Ce dernier était nécessaire. Où commencer lorsque la représentation s’avère très faible?, questionne Rose Rwabuhihi, responsable de l’Observatoire du Genre au RwandaLien externe: «Un effort était crucial pour augmenter significativement la représentation féminine au Parlement. Il porte ses fruits: la mesure fonctionne bien, la place nécessaire aux femmes est garantie.»

Selon Rose Rwabuhihi, le gouvernement rwandais affiche également une représentation équilibrée des sexes et le pouvoir judiciaire compte près de 50% de femmes. «Il est important que les jeunes filles du pays voient des femmes au pouvoir. Cela envoie un message très fort: la gent féminine peut aussi participer aux prises de décision de l’Etat.»

Pays nordiques en tête du peloton

Ce sont les pays nordiques (Islande, Norvège, Suède, Finlande) qui occupent la tête du classement sur l’écart entre les genres du Forum économique mondial. Dans le top 10, figurent aussi plusieurs pays en développement: outre le Rwanda (6e), on y trouve le Nicaragua (5e), les Philippines (8e) et la Namibie (10e).

Selon Roberto Crotti, l’un des auteurs du rapport, une femme n’est pas mieux lotie au Rwanda ou au Nicaragua qu’en Suisse. L’indice compare la situation des femmes par rapport à celle des hommes dans un pays donné, créant ainsi une sorte d’égalité de traitement entre les Etats. «La situation générale peut être pire, mais celle en matière d’égalité des genres est meilleure», explique-t-il.

Des points à améliorer en Suisse

Lors de la récente session de printemps du Parlement suisse, la présidente des Verts, Regula Rytz, a appelé les partis à prendre leurs responsabilités pour réduire l’écart entre les sexes en politique. «Il est absolument nécessaire d’avoir une loi, comme dans certaines régions d’Allemagne, qui oblige les partis à présenter des listes électorales avec un nombre égal d’hommes et de femmes», indique-t-elle à swissinfo.ch.

Si certains le font déjà, la pratique n’est toutefois pas obligatoire. Les Verts prévoient de présenter plus de candidates aux élections fédérales cet automne, mais le centre et la droite doivent davantage promouvoir les femmes en politique, selon Regula Rytz: «Cela passera seulement par des obligations prévues par la loi, à mon avis.»  

«Il est vrai qu’il y a plus de femmes à gauche qu’à droite de l’échiquier politique», admet le conseiller national Jean-Pierre Grin. Comme son parti, l’UDC, le Vaudois s’oppose à tout quota ou obligation légale dans ce domaine. Il faut, d’après lui, «travailler avec les jeunes et donner le goût de la politique aux jeunes filles», à travers l’école notamment.

De son côté, le Parti socialiste affirme, sur son site InternetLien externe, avoir déjà «une majorité de femmes dans sa délégation au Conseil national et plus de femmes au Conseil des Etats que tous les autres partis réunis». Pour obtenir une meilleure représentation des femmes au Parlement, «ce qu’il faut, ce sont des ajustements structurels dans l’arène politique, y compris en ce qui concerne la culture politique et la conciliation de la famille, de la carrière et d’une activité politique», explique Roger Nordmann, président du groupe socialiste aux Chambres fédérales.

Egalité salariale

Quels autres points doivent être améliorés? Selon Robert Crotti, coauteur du rapport mondial sur l’écart entre les genres du WEF, la Suisse doit faire des progrès en matière de représentation féminine dans les sphères dirigeantes et d’égalité salariale. Dans ce domaine-ci, des avancées ont été enregistrées, mais des efforts restent à faire, relève l’économiste.

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La Suisse pourrait, de plus, renforcer les infrastructures pour la garde et la scolarisation des enfants en bas âge: une mesure qui «peut véritablement augmenter les chances des femmes», souligne Robert Crotti. Sylvie Durrer acquiesce: «En Suisse, nous manquons de places dans les crèches et celles-ci sont trop chères pour un grand nombre de familles. La plupart du temps, les mères quittent donc leur emploi ou travaillent à temps partiel.» Même si celui-ci peut favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, il fait aussi partie d’un problème plus vaste, estime la directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes: ce type d’emploi a des incidences négatives à long terme sur les assurances sociales et les rentes à la retraite.

Au Rwanda, les services de garde d’enfants n’étaient pas nécessaires, mais la situation est en train de changer. Les femmes peuvent emmener leurs enfants au travail ou d’autres membres de la famille s’occupent d’eux.

Ce sont la volonté politique aux niveaux les plus élevés et l’accent sur la promotion de l’égalité qui permettent de combler l’écart entre les sexes au Rwanda, selon Rose Rwabuhihi. «La dimension du genre fait partie intégrante des stratégies de développement», déclare-t-elle à swissinfo.ch. Plus de dix secteurs tiennent compte de cet aspect et les agences publiques doivent soumettre un «budget genre». «Les ressources sont importantes»: telle est l’une des leçons qu’elle a apprises. 

Volonté de changement

La Suisse compte deux nouvelles femmes au Conseil fédéral depuis la fin de l’an passé, rappelle Sylvie Durrer: «Nous avons aujourd’hui un gouvernement respectant l’équilibre entre les sexes, avec trois femmes et quatre hommes». La population s’attend généralement à ce que deux femmes soient élues au gouvernement, note-t-elle.

«Peu de discussions ont eu lieu au Parlement. Ces deux femmes ont toutes deux été brillamment élues.» L’opinion publique a changé en matière d’égalité des sexes, selon Sylvie Durrer qui fait allusion à une enquêteLien externe ayant recueilli l’avis de plus de 1000 personnes sur la question. «Si les femmes se montrent plus sévères que les hommes, tant les femmes que les hommes affirment que l’égalité des sexes n’est pas atteinte dans la vie familiale, sur le marché du travail, en politique, etc. Il y a donc une certaine prise de conscience au sein de la population, une aspiration à plus d’égalité des genres.»

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Traduction de l’anglais: Zélie Schaller

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