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Les guérillas judiciaires d’Alain Werner

Keystone

L'avocat suisse Alain Werner a placé son goût de l'aventure au service de la justice internationale. Substitut du procureur contre l'ancien président Charles Taylor, il s'apprête à rejoindre le Cambodge pour défendre les victimes des Khmers rouges. Portrait.

Debout dans le prétoire, le substitut du procureur Alain Werner interroge de longues heures le témoin. Durant les onze années de guerre civile qui ont balayé la Sierra Léone, le jeune homme posté à la barre n’était qu’un gamin enrôlé dans les troupes chargées de mettre en marche «la révolution» de Charles Taylor.

Face à lui, dans le box des accusés, l’ancien président du Libéria répond de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Depuis janvier 2008, il a écouté avec une sérénité frappante les 84 témoins présentés par le procureur. Parmi eux figurent ses anciens comparses.

La mécanique de la machine de mort

Les «insiders» du procureur chargent le chef de guerre, leur ancien patron. Ils racontent de l’intérieur la mécanique de la machine de mort. Elle a laissé dans son sillage 150’000 morts, des milliers d’amputés, un pays exsangue.

«Les insiders, ce sont d’anciens ministres, d’anciens révolutionnaires, des types qui sont allés à Cuba pour se former à la révolution. Ce ne sont pas tous des tueurs, mais parfois, des figures étonnantes», explique l’avocat.

Alain Werner parle vite. Avec passion. Regard direct et franc, l’avocat genevois enchaîne les projets, jongle avec le droit international et se présente sur tous les fronts. En 1992, Barreau en poche, il commence par sillonner la planète, avant de rejoindre l’université de Columbia, aux Etats-Unis. Mais rapidement, l’avocat impatient change de cap et file vers Freetown, la capitale de la Sierra Léone.

Dans un pays marqué par la misère, où les gamins doivent réapprendre à vivre sans armes, Alain Werner rejoint l’équipe des conseillers du procureur américain David Crane, au sein du tribunal spécial érigé en 2002 par le gouvernement et les Nations Unies.

Charles Taylor en jugement

En 2006, après quatre années passées au parquet, il décide de prendre une autre direction et s’inscrit à l’université du Caire pour apprendre l’arabe. Mais l’arrestation de Charles Taylor au Nigéria vient contrecarrer ses projets. Il rejoint l’équipe du procureur qui conduira le procès.

Organisé à La Haye, aux Pays-Bas – à la demande du Libéria qui craint alors que l’affaire ne déstabilise de nouveau l’Afrique de l’Ouest – l’affaire Taylor a débutée en janvier 2008. Dans quelques semaines, le procureur aura bouclé sa présentation et laissera la place à la défense de Charles Taylor. Le jugement contre l’ex-chef d’Etat est attendu fin 2009.

Mais pour Alain Werner, l’essentiel de l’affaire est bouclé. Il faut partir vers d’autres horizons. «C’est l’histoire de ma vie et il va m’être difficile de partir. Mais désormais, nous avons pratiquement présenté tous nos éléments de preuve, et même si le procès n’est pas terminé, c’est différent. C’est un peu comme une histoire d’amour, quand ça vacille, il faut partir, pour que tout reste intact. Mais ce n’est pas facile», déclare-t-il.

A Phnom Penh au nom des victimes

A 36 ans, toujours avide d’apprendre, l’avocat prévoit de rejoindre le Cambodge. En janvier, il posera ses valises à Phnom Penh où les Nations Unies et le gouvernement ont mis sur pied un tribunal chargé de poursuivre les anciens chefs khmers rouges. Cette fois, ce sera sans les émoluments des Nations Unies.

Contrairement aux tribunaux pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda ou la Sierra Léone, les victimes peuvent, au Cambodge, se porter parties civiles. Toutefois, leurs avocats exercent pro bono. Mais en allant à Phnom Penh pour représenter les victimes de Duch – l’ancien responsable du camp de torture de Tuol Sleng, où ont été détenues 12’000 personnes – maître Werner veut régler «sa dette à l’égard des victimes.»

Devant le tribunal pour la Sierra Léone, «nous les appelions à la barre pour prouver les horreurs, les bras coupés, les opérations armées, les massacres de civils. Mais elles n’étaient pas défendues. Si je peux aller à Phnom Penh, prendre une victime par la main et aller avec elle à l’audience, je crois que je retrouverai ce qui au fond est la finalité de tout cela.»

En août 2008, entre deux audiences organisées dans le procès de Charles Taylor, Alain Werner décide de se rendre au Tchad pour apporter son expertise dans le dossier ouvert contre Hissène Habré.

Une affaire de flibustiers

Exilé au Sénégal, l’ancien président tchadien fait l’objet de plusieurs plaintes pour crimes contre l’humanité. «Cette affaire, c’est une affaire de flibustiers», lance, enthousiaste, Alain Werner, qui se réjouit de «pouvoir mettre la pression sur un Etat souverain, face à un type qui a corrompu tous les marabouts possibles et imaginables».

L’avocat nourrit aussi de plus grandes ambitions et veut «viser ceux qui sont encore plus hauts. Ceux qui agissent derrière, ceux qui financent les guerres, les marchands d’armes!».

Alain Werner a encore des combats à mener avant de rejoindre la Suisse. «Ce que je recherche, c’est la poursuite d’un idéal, et l’aventure. Certes, j’aurais pu plaider à Genève, mais aujourd’hui, je préfère conduire des guérillas judiciaires».

swissinfo, Stéphanie Maupas, La Haye

Alain Werner est né le 19 novembre 1972, à Genève.

En 1996, il termine ses études de droit à Genève, passe le Barreau et décide de voyager, pendant un an.
En 2002, il reprend des études en droit international à l’Université de Columbia, aux Etats-Unis.

Le ministère suisse des Affaires étrangères lui propose de travailler au sein du Tribunal spécial pour la Sierra Léone. Mis en place par le gouvernement sierra léonais et les Nations Unies, le TSSL est la troisième juridiction, après l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, à poursuivre les responsables de crimes de guerre.

D’abord conseiller spécial du procureur, il rejoint, en 2006, l’équipe chargée de poursuivre l’ancien président du Libéria, Charles Taylor, accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. L’accusé doit répondre des crimes commis en Sierra Léone, état voisin du Libéria. Il lui est notamment reproché d’avoir voulu s’emparer du pays pour piller ses richesses diamantifères.

En août 2008, Alain Werner fait une courte escale au Tchad, pour apporter son expertise juridique dans l’affaire intentée contre l’ex-chef d’Etat tchadien, Hissène Habré, qui devrait être jugé au Sénégal, où il est exilé.

En janvier 2009, Alain Werner devrait rejoindre une équipe d’avocats chargée de défendre les parties civiles dans les procès organisés contre les khmers rouges au Cambodge.

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