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Les leçons du printemps arabe au service de la paix

Dans le nord du Mali, l'armée régulière est en lutte contre Al-Qaïda. En juillet, les troupes gouvernementales ont détruit une des bases de l'organisation jihadiste. AFP

Le risque de voir la crise libyenne déborder au sud est grand. La Suisse s’engage pour prévenir les conflits dans les pays sahéliens avant qu’ils n’explosent. Entretien avec l’ambassadeur Claude Wild, en visite au Mali.

La Suisse est active dans la promotion de la paix au Mali depuis 2007. Cet engagement est actuellement réévalué pour prendre en compte les risques de débordement de la crise libyenne, qui entraîne une multiplication des armes légères et le retour en masse des migrants africains qui travaillaient en Libye. Sans compter les milliers de soldats touarègues du Mali et du Niger qui combattent dans les milices du colonel Mouammar Kadhafi.

Etats des lieux de l’engagement suisse avec l’ambassadeur Claude Wild, chef de la division politique IV (sécurité humaine) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), lors de sa visite de trois jours à Bamako, la capitale malienne.

swissinfo.ch: Quel est l’impact de la crise libyenne sur des pays comme le Mali ?

Claude Wild: Le risque de spin-over est évident. Il y a eu une stabilité indirecte en Libye pendant quarante ans parce que ça servait les intérêts occidentaux (pétrole, contrôle des migrants). La leçon des révolutions arabes est qu’il faut investir dans la société civile pour qu’elle soit respectée par ses gouvernements. Dans ce domaine, la Suisse joue un rôle de précurseur. Le savoir-faire suisse est construit sur le vivre ensemble des diverses communautés d’un même pays. Notre approche est axée sur la prévention des conflits.

swissinfo.ch: La présence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ne risque-t-elle pas de saper les initiatives de paix de la Suisse ?

C.W.: La présence d’Al-Qaïda, qui a fait du Mali une de ses bases arrière, est un facteur de déstabilisation. Aqmi est une structure bien organisée, qui a profité de la crise libyenne pour se fournir en armes. Nos informateurs nous confirment que les combattants d’Aqmi ne sont pas si nombreux, mais ils ont beaucoup de relais au nord du Mali et dans la zone sahélienne, désertique et pauvre. Aqmi fait beaucoup d’argent avec des trafics en tous genres (armes, drogues et otages). Le temps presse pour éviter que les jeunes désœuvrés ne soient attirés par l’argent facile. Nous voulons donner une perspective à ces populations.

La chance, au nord du Mali, est que les jeunes n’ont pas encore perdu leur culture d’honneur. Les autorités traditionnelles ont encore un certain poids, le contrôle social des clans et des familles est toujours très fort. Il faut revaloriser les élites traditionnelles. Notre soutien au développement de la société civile et à la prévention des conflits dans les pays sahéliens a donc un impact indirect sur la lutte contre Aqmi.

swissinfo.ch: Comment l’action suisse est-t-elle perçue sur le terrain ?

C.W.: L’action de la Suisse est innovatrice et elle est appréciée par les bénéficiaires. Notre engagement dans la promotion civile de la paix dans les pays sahéliens a débuté après la rébellion touarègue de mai 2006. Les tensions entre les communautés du nord du Mali et le gouvernement de Bamako perdurent et la protection des minorités nous tient à cœur.

swissinfo.ch: Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de l’engagement du DFAE ?

C.W.: Au Mali, la Suisse soutient des initiatives citoyennes comme le Réseau de plaidoyer pour la paix, la sécurité et le développement des régions nord-Mali, qui s’engage à promouvoir les revendications des communautés du nord par le dialogue, mais également à sensibiliser les jeunes pour éviter qu’ils s’enrôlent sous la bannière d’Al-Qaïda. 

Le programme de politique de paix de la Suisse soutient également un autre projet qui vient d’être lancé par la Présidence de la République, et qui se veut la réponse de l’Etat malien à la menace de l’implantation d’Aqmi: le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement au Nord-Mali. L’aide suisse de 80’000 euros par an, se concentre sur le volet communication, lequel doit s’assurer que le programme soit bien perçu par les communautés du nord. 

La Suisse est membre fondateur de l’Ecole de maintien de la paix (EMP) basée dans la capitale malienne. Le DFAE a introduit la composante civile dans le cursus de formation. Nous mettons à disposition de l’EMP un instructeur civil permanent et des experts ad hoc pour le renforcement des capacités civiles des acteurs de paix africains, en particulier francophones. Ils sont formés dans la protection des humanitaires en zone de conflits, les droits de l’homme et les questions relatives au genre. Lors de ma visite à Bamako, je me suis assuré que l’EMP réponde aux standards internationaux, ce qui est le cas.

La Suisse est active au Mali depuis 33 ans, à travers la Direction de développement et de coopération (DDC), qui y dispose d’un budget annuel de 15 millions de francs.

De plus, la division politique IV du DFAE s’engage au Mali depuis 2007. Le budget annuel du programme de consolidation de la paix en Afrique de l’Ouest du DFAE est de 1,5 million de francs pour les trois pays prioritaires (Mali, Niger et Tchad). Ces activités doivent encore être renforcées.

Le nord du Mali est une vaste zone désertique, dont la superficie équivaut à environ vingt fois la Suisse, et qui échappe largement au contrôle de l’Etat. Le fragile processus de paix entamé suite à la dernière rébellion touarègue de mai 2006 est menacé par le manque de perspectives des populations et par les tentations du trafic d’armes et de drogues et de l’engagement dans les rangs d’Aqmi.

Suisse. Né en 1964 à Lausanne, Claude Wild a fait des études de science politiques et de relations internationales à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève, puis des études postgrade en politique de sécurité.

ONU. Il a participé aux opérations de paix de l’ONU en tant que membre du contingent suisse en Namibie, de 1989 à 1990, et dans le Sahara occidental, de 1991 à 1992.

Diplomate. En 1992, il est entré au service diplomatique. Après avoir travaillé à la DDC, à l’ambassade de Suisse au Nigeria et au Ministère de la défense autrichien, il est devenu suppléant du chef de la section Politique de paix de la Division politique III à Berne. A partir de 1997, il a occupé la fonction de premier secrétaire, puis de conseiller d’ambassade à Moscou.

Europe et Canada. En 2000, il a pris la direction de la section Politique et institutions au Bureau de l’intégration à Berne. De 2004 à 2007 il a été suppléant du chef de Mission à l’ambassade de Suisse à Ottawa. En 2007, il est devenu chef suppléant à la mission suisse auprès de l’Union européenne à Bruxelles.

Ambassadeur. En août 2010, il a été nommé ambassadeur et a repris la direction de la Division politique IV du DFAE.

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