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Les politiciens et le culte de leur image

JFK, l'un des premiers présidents démocrates à user à ce point de son image pour séduire l'électeur. Anonym/Plakatsammlung/ZHdK

Avec l'exposition «Kopf an Kopf » (Face à face), qui regroupe une centaine d'images, de films et de peintures, le musée des Arts appliqués de Zurich explore les méthodes des leaders politiques pour se mettre en scène, séduire l'électorat et manipuler les foules.

Ils sont monarques, révolutionnaires, despotes ou démocrates; leur vocation et leurs visions divergent mais ils ont en commun un point: tous cultivent leur image avec une attention méticuleuse, presque obsessive.

De Staline à Hitler, de Mussolini à Kadhafi, en passant par Kennedy, Mitterrand, Berlusconi, Timochenko et même Obama… depuis un siècle au moins, les hommes et les femmes politiques utilisent leur effigie pour véhiculer leurs messages de propagande, influencer l’opinion publique ou conquérir l’électorat.

Outil de prédilection des dictateurs pour promouvoir le culte de leur personnalité, dans les démocraties aussi, l’art de mettre en scène sa propre image a pris de l’importance, notamment par la médiatisation de la société et de la politique. C’est ce que démontrent les centaines de photographies, de peintures et de films de l’exposition « Kopf an Kopf » (Face à face), proposée par le musée des Arts appliqués de Zurich.

Modèles gagnants

«La tête du personnage gagne de plus en plus d’importance par rapport aux arguments politiques. Il fut un temps où les affiches électorales étaient assorties de nombreux slogans expliquant les raisons de voter en faveur de tel ou tel politicien. Aujourd’hui, la stratégie visuelle se focalise davantage sur le visage, comme on peut le voir sur une récente affiche illustrant Barack Obama, et sur laquelle est simplement inscrit le mot ‘Hope’ (espoir)», explique Christian Brändle, directeur du musée des Arts appliqués.

Malgré des adaptations, formelles pour la plupart, les affiches de propagande reproduisent presque toujours les mêmes modèles – particulièrement efficaces – de représentation du personnage politique. Parmi les grands classiques de la série ont trouve: «l’ami du peuple», «l’héritier d’une tradition», «le garant du progrès», «le guide visionnaire», ou plus simplement, «l’homme de la rue».

Autant de formules auxquelles recourent des politiciens d’horizons divers, démocrates ou dictateurs, défenseurs de systèmes de valeurs opposés, dans des pays et des contextes les plus variés. Ainsi, l’image de l’ami du peuple, du leader politique prenant un bain de foule pour témoigner de son amour des citoyens, a été tour à tour utilisée par Staline et Mussolini, mais aussi par Nixon et Clinton.

Stratégies de propagande

Quant à la thématique du progrès – qui doit témoigner des compétences politiques et économiques – elle a été utilisée de manière ininterrompue au cours de l’Après-guerre, tant par les figures de proue du communisme comme Mao ou Brejnev, que par des représentants des courants démocratiques. Leur portrait avait généralement pour toile de fond des paysages industriels ou le profil de centrales électriques, de machines agricoles, d’immeubles modernes et autres grues.

Autre symbole largement exploité dans cette iconographie: celui de la tradition, dont l’homme politique s’inspire et même dont il se targue d’être l’héritier légitime. En témoignent notamment les portraits d’un Lénine qui se superpose à l’image de Staline ou d’un Jean-Marie Le Pen en filigrane duquel on découvre les traits de Jeanne d’Arc.

La représentation du politicien visionnaire, guidant les foules vers de nouveaux défis, figure aussi en bonne place dans ce répertoire des classiques. Un exemple est illustré par François Mitterrand, scrutant l’horizon tel un sphinx.

Et enfin, le fascicule intitulé «Una storia italiana» (une histoire italienne), distribué gratuitement par Silvio Berlusconi dans la Péninsule en 2001, à 12 millions de ménages, constitue une sorte de bréviaire des divers registres de la séduction et de la manipulation des électeurs, que peut exploiter un homme politique.

Un concentré de stratégies dans lequel on peut voir le Premier ministre italien posant de mille et une manières: Berlusconi entrepreneur, Silvio et sa famille, Berlusconi l’homme d’Etat, Silvio et ses amis, Berlusconi président du club de football de Milan, Silvio au milieu d’un champ de fleurs, et ainsi de suite.

La Suisse à contre-courant

Dans le panorama politique helvétique, de telles représentations spectaculaires, narcissiques, voire monarchiques de l’image du leader politique ne sont généralement pas très appréciées et restent rarissimes.

«En Suisse, le politicien trop glorieux et visionnaire, qui nourrit de grandes ambitions à la tête du peuple, est considéré comme étant plutôt arrogant et perçu comme une menace pour le système de concordance et de stabilité politique. Généralement, ce genre de personnage est tenu à l’écart du sommet du pouvoir, comme on l’a vu, notamment avec l’éviction de Christoph Blocher du gouvernement», relève encore Christian Brändle.

«Le modèle choisi par les politiciens suisses pour incarner leur image est presque toujours celui de l’homme ordinaire, le ‘common man’. Un personnage qui laisse transparaître ses défauts physiques et avec lequel on boirait volontiers une bière. Le principe même de l’anti-Berlusconi», ajoute encore l’expert.

Respect de l’adversaire

Autre grande absente de l’échiquier politique en Suisse: la dérision. La représentation caricaturale de l’effigie des ténors politiques est utilisée dans de nombreux pays pour nuire à l’image de l’adversaire, comme en témoigne l’exposition de Zurich.

«En comparaison d’autres nations, comme l’Allemagne ou la France, chez nous nous ne connaissons pas la tradition de la satire politique. En Suisse, la volonté de préserver les bonnes manières et le respect à l’égard de l’adversaire politique prévaut», observe encore Brändle.

swissinfo, Armando Mombelli
(Traduction et adaptation de l’italien: Nicole della Pietra)

Le Museum für Gestaltung (musée des Arts appliqués) à ouvert ses portes en 1875 pour répertorier et recueillir les témoignages d’une époque marquée par de grands changements, au cours de laquelle, l’expression visuelle et le design prenaient une importance grandissante.

Aujourd’hui, l’institution – qui collabore activement avec sa voisine, l’Ecole d’arts et métiers – est gérée et financée par le canton de Zurich.

L’exposition « Kopf an Kopf », est à voir jusqu’au 22 février 2009 et propose près d’un millier d’images, de peintures, de films et d’objets consacrés à la représentation de femmes et d’hommes politiques du siècle dernier à nos jours.

Pour rassembler le matériel nécessaire à la réalisation de cet événement, la direction du musée des Arts appliqués s’est adressée à 190 pays qui entretiennent des relations diplomatiques avec la Suisse, en leur demandant des portraits de leur chef d’Etat. Plus d’une quarantaine de gouvernements ont répondu à l’appel.

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