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Les prix de l’eau que nous avalons

L'eau de source est 500 à 1000 fois moins chère que l'eau minérale. Schweiz Tourismus

La remise du Prix «pour le transport le plus absurde» à Nestlé Waters relance le débat sur les modes de consommation de l’eau.

La Suisse, pays de sources par excellence, offre cet élixir de vie à tout un chacun et à moindre prix… au robinet.

En Suisse, on pourrait fort bien se passer d’eau minérale et encore plus des fontaines à eau qui fleurissent partout dans les entreprises et les lieux publics.

Ces dernières, à la mode depuis quelques années, ne contiennent rien d’autre que de l’eau de source. Autrement dit, l’eau du robinet qui coule dans la plupart des ménages (voir encdarés).

«Elle est de très bonne qualité à peu près partout, indique Philippe Collet, conseiller technique de la Société suisse de l’industrie du gaz et des eaux (SSIGE). Dans quelques villages agricoles, où on a abusé d’engrais, elle peut contenir trop de nitrates».

Il n’empêche que 40% de l’eau distribuée l’est sans aucun traitement, selon les données officielles. L’eau courante étant soumise aux mêmes conditions strictes de l’Ordonnance sur les denrées alimentaires que l’eau en bouteille.

Par ailleurs, les eaux contenues dans les bouteilles sont souvent traitées. Elles nécessitent de surcroît un transport, souvent long et écologiquement néfaste.

Risques de germes

A cela s’ajoutent les conditions d’entreposage qui ne sont pas toujours idéales. Si les bouteilles sont stockées à la lumière et à une température trop élevée, des germes peuvent se développer.

Et c’est valable autant pour les bouteilles d’eau minérale que pour les bonbonnes des fontaines à eau, où des germes ont aussi été découverts. Sans compter que dès qu’une bouteille est ouverte, elle est rapidement contaminée.

«Avec l’eau du robinet, il n’y a pas de tels problèmes, explique Philippe Collet. Les réseaux en Suisse sont conçus pour que l’eau ne stagne pas plus de 48 heures dans les canalisations».

Et il suffit, pour la rafraîchir, de la mettre quelques heures au réfrigérateur. Ou d’acheter un appareil à gazéifier pour ceux qui préfèrent les bulles.

L’argument santé (pureté, qualités nutritives) que les marchands d’eau en bouteille mettent en avant ne tient donc, le plus souvent, pas la route. C’est du moins l’avis de nombre d’ONG soucieuses de l’environnement.

L’eau bon marché

Et si l’on examine les coûts, là encore l’eau du robinet est absolument imbattable. En Suisse, elle coûte 1,5 franc les mille litres (en moyenne 2,5 francs avec les taxes d’épuration). Soit 500 à 1000 fois moins que l’eau conditionnée.

En effet, le prix de revient d’un litre d’eau en fontaine (Eden Dorénaz, leader sur le marché suisse) est de 80 centimes le litre. Alors que l’eau est la même que celle qui alimente le village de Dorénaz (VS).

Alors comment expliquer que les consommateurs boivent de plus en plus d’eau conditionnée? Par la force de persuasion des multinationales qui dominent le marché de l’eau comme Nestlé ou Danone, répondra Philippe Collet.

Un rapport de force totalement inégal face aux distributeurs d’eau, pour la plupart en main de collectivités publiques.

«D’ailleurs, les consommateurs – qui trouvent déjà l’eau trop chère – verraient d’un mauvais œil que l’on investisse dans la publicité, poursuit Philippe Collet. Mais, au restaurant, sous la pression de la publicité, ils vont prendre une San Pellegrino qui vient d’Italie, parce que cela a plus de classe qu’une Henniez, par exemple».

C’est du même ordre que les campagnes anti-tabac contre Philip Morris, conclut-il.

La fontaine à eau du robinet

Cela dit, certaines collectivités publiques, par souci d’écologie et d’économie, ont décidé de raccorder des fontaines à eau au réseau d’eau courante.

Pionnière en la matière, la Municipalité de Lausanne a lancé en 2002, un projet pilote.

«On a commencé dans huit services, explique Jean-Marc Pache, chef de la section clients d’eauservice à Lausanne. Mais le succès a été tel que la plupart des services ont adopté nos fontaines à eau du robinet.»

Ces systèmes produisent aussi bien de l’eau plate que gazéifiée, réfrigérée ou à température ambiante, pour un prix imbattable: en moyenne 0,19 centime le litre, soit 3 à 5 fois moins cher que les fontaines à bonbonnes.

«Et si la consommation est élevée, le système, qui coûte à la base entre 2’500 et 3’500 francs (la fontaine plus la plomberie pour raccorder au réseau d’eau), peut être amorti en un an», se réjouit Jean-Marc Pache.

N’impliquant ni transport, ni stockage, cette alternative intéresse de plus en plus d’hôpitaux, écoles ou entreprises. D’ailleurs, peu après Lausanne, d’autres collectivités publiques suisses ont rapidement suivi. Et une demi-douzaine d’entreprises développent désormais ces systèmes.

La privatisation des sources

«La consommation d’eau du robinet est beaucoup plus judicieuse à tous points de vue, qu’il s’agisse de rentabilité, d’environnement ou de justice sociale», déclare Georges Darbellay, coordinateur romand de l’Initiative des Alpes.

Les consommateurs devraient donc plutôt se mobiliser pour que les communes continuent à fournir de l’eau du robinet de bonne qualité et à un prix abordable pour tout le monde, selon lui.

Et pourtant, dans le cadre des négociations sur les services de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Suisse a été priée par l’Union européenne, d’ouvrir son marché de distribution d’eau. Le Secrétariat d’Etat à l’économie, qui mène les négociations, y a opposé un non clair.

«Pour l’instant, comme dans toute négociation, un aspect pourra être sacrifié pour en sauver un autre», commente Pepo Hofstetter, porte-parole de la Communauté de travail des œuvres d’entraide suisse.

Et la tendance à la privatisation de cette ressource vitale a déjà commencé. Hautement lucratif, le secteur de l’eau en bouteille est aussi l’un des moins réglementés au monde.

Le cas de Bevaix

Plusieurs ONG accusent notamment Nestlé de vouloir s’accaparer de l’eau de source dans le monde entier et d’en acquérir les droits, comme ce fût le cas en 2001 à Bevaix, dans le canton de Neuchâtel.

Les autorités communales et cantonales avaient donné un préavis positif. Mais suite à la mobilisation d’ONG (ATTAC et Pro Natura), un projet d’exploitation commerciale de la source de Treytel – qui alimente en eau potable deux communes – avait provoqué une vague d’oppositions des habitants.

En janvier 2002, Nestlé, qui avait tenté d’acquérir les droits de cette source sous le couvert d’une société locale (Pause Relax de la Chaux-de-Fonds), a discrètement retiré sa demande de concession.

Mais il est évident que l’eau suisse attise les convoitises. Christian Furrer, directeur de l’Office fédéral de l’eau et de la géologie, a indiqué à nos confrères du magazine de consommation suisse alémanique «Ktipp» que des géants de la distribution d’eau français s’intéressaient de fort près à la Suisse romande.

swissinfo, Anne Rubin

En Suisse, en 2001, les distributeurs d’eau ont livré 1,04 milliards de mètres cubes d’eau… l’équivalent du Lac de Bienne.
40% vient des sources, autant des nappes phréatiques et les 20% restant des lacs.
Seulement 60% de l’eau captée nécessite un traitement, alors que la moitié des eaux en bouteille ont subi un traitement.
1000 litres d’eau coûte 1,60 francs, soit 1000 fois moins que l’eau en bouteille.

– 70% de la surface de la terre sont recouverts d’eau

– L’eau douce ne représente que 2,5% du volume total de l’eau de la planète

– 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau

– 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à des installations sanitaires et à des services d’eau adéquats

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