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Les Suisses restent sans voix

L'Hôtel de Ville de Paris, siège d'un maire que les Suisses ne pourront pas élire. swissinfo.ch

Fin juin, le Parlement français a refusé d'accorder le droit de vote aux étrangers «hors Union Européenne» pour les élections locales. Parmi les personnes concernées, se trouvent évidemment les citoyens suisses habitant en France.

Les Suisses aiment beaucoup voter, c’est connu. Non contents de voter tous les trois mois dans leur propre pays, de nombreux Helvètes basés en France aimeraient bien se rendre aux urnes dans leur pays d’accueil. « La politique, ça ne m’intéresse pas beaucoup mais j’aimerais bien élire le maire, les conseillers… et puis le président ! Depuis 13 ans qu’on vit à Serley, on fait partie de la commune quand même !», s’exclame Mary-Claude, une retraitée vaudoise.

Dans son petit village de Saône et Loire, parmi 600 habitants, on compte une trentaine de ménages suisses : des Romands et des Alémaniques. Et pour l’instant, ils continueront à être privés de bulletins…

Une tradition de droit du sang

Après l’Assemblée Nationale, le Sénat a refusé d’accorder le droit de vote aux étrangers extracommunautaires pour les élections locales. Depuis 25 ans, cette demande est récurrente dans la vie politique française, mais c’était la première fois que la chambre haute du Parlement français s’exprimait sur la question.

Ainsi, même si le président Nicolas Sarkozy se dit favorable à l’élargissement du droit de vote, rien n’a changé: seuls les citoyens d’origine européenne pourront participer aux scrutins locaux, comme le déterminait deja le traité de Maastricht.

Voici le raisonnement des sénateurs français: d’abord, il est impossible d’accorder un droit de vote aux immigrés sans réciprocité. Deuxièmement, il est plus simple pour un résident immigré de demander sa naturalisation afin d’obtenir ses droits civiques.

Avec la Suisse, la réciprocité pourrait fonctionner: une dizaine de cantons accordent le droit de vote aux étrangers (selon des modalités très variables, il est vrai).

Mais le président de la commission des lois au Sénat, Jean-Jacques Hyest ne se laisse pas convaincre: «La Suisse a une tradition de droit du sang, très différente de notre pays dans lequel on peut obtenir la nationalité française après cinq ans de présence sur le territoire. C’est donc normal qu’ils réfléchissent à d’autres solutions d’intégration comme le droit de vote des étrangers…»

Comme l’Afrique noire ou les Etats-Unis!

Surtout, quand on évoque la question de la Suisse, les Français parlent «Union Européenne». «Ils ne sont pas dans l’Europe – pourquoi voteraient-ils ? l’UE n’est pas quelque chose dont on ne prend que ce qu’on veut… on est dedans ou on n’est pas dedans !», répond ce maire d’une commune rurale de Saône-et-Loire.

Réponse logique, estiment les représentants des Suisses de France: «nous n’avons pas voulu entrer dans l’Union Européenne, c’est donc normal de ne pas avoir les mêmes droits», clarifie Serge Lemeslif, le président de l’Union des Associations Suisses de France, «la décision du Sénat ne me perturbe pas plus que ça: vu notre comportement, l’UE nous a toujours considérés comme des étrangers au même titre que l’Afrique noire, le Maghreb ou les Etats-Unis…»

On compte sur les bilatérales

Il faut dire aussi que le moment serait mal choisi pour exiger de la France des droits supplémentaires. Dans quelques mois, la Suisse se prononcera sur la reconduction des accords de libre circulation et leur extension à la Roumanie et à la Bulgarie: «Si l’extension des bilatérales est refusée, la Suisse retrouve un statut de pays totalement étranger au sein de l’UE. La communauté helvétique de France est dans l’attente de ce vote-clé…», précise Serge Lemeslif.

La votation est prévue fin mai 2009. Si le ‘oui’ l’emporte, la voie bilatérale en sortira renforcée. Il sera toujours temps, alors, de discuter du droit de vote aux élections locales. Comment ? En intégrant la question dans de nouveaux accords bilatéraux avec Bruxelles, estiment les Suisses.

Une loi française qui accorderait le droit de vote de manière générale à tous les étrangers sur le sol hexagonal est de toute façon peu probable.

Car derrière ce débat, il y a la peur grandissante du poids de la population musulmane. «Il y a une dizaine d’années, peut-être que la France aurait pu accepter de laisser les étrangers voter. Mais dans la situation actuelle, où l’on revient peu à peu sur tous les acquis des communautés, je ne le crois pas», analyse Jean-Paul Aeschlimann, le consul honoraire de Suisse à Montpellier.

Acquérir la nationalité française

Sur Internet, les commentaires sur la décision du Sénat sont explicites: «que se passerait-il dans certaines villes majoritairement musulmanes ou en passe de le devenir ? L’islamisation est déjà assez affirmée comme cela, inutile de l’accélérer», «les étrangers ne doivent pas voter chez nous, sinon c’est l’explosion de notre système et nous sombrerons illico dans tous les dangers»…

Il reste une solution pour les Suisses installés en France et qui aimeraient voter prochainement: acquérir la nationalité française avant les prochaines municipales, en 2014. Déjà près de 80 % d’entre eux sont binationaux.

swissinfo, Miyuki Droz Aramaki, Paris

La question du droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections locales apparaît dans le paysage politique français au début des années 80.

Elle figure parmi les 110 propositions du candidat à la présidence François Mitterrand en 1981: n°80 «droit de vote aux élections municipales après cinq ans de présence sur le territoire français».

La «marche pour l’égalité et contre le racisme», qui réunit 60’000 personnes en décembre 1983, reprend la revendication.

Pourtant, ni la gauche ni la droite ne font aboutir la demande. En 2000, l’Assemblée Nationale a accepté une proposition de loi en première lecture mais elle ne passera jamais devant le Sénat.

En juin 2008
, le droit de vote des étrangers est proposé dans le cadre de la réforme des institutions voulue par Nicolas Sarkozy. Mais les sénateurs, tout comme les députés, le rejettent.

Depuis 2002, le collectif «Votation citoyenne», qui regroupe plus d’une centaine d’organisations, de partis et de syndicats, organise des votes officieux sur le droit de vote des étrangers. Cette année, plus de 65’000 personnes y ont participé: 91,2 % des votants ont accepté le droit de vote et d’éligibilité des étrangers.

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