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Les tyrans ont encore de beaux jours devant eux

Reuters

Il y a 10 ans, la montée en puissance de la justice internationale ébranlait l'impunité des dictateurs de la planète. Un élan aujourd'hui brisé par le retour en force des Etats, selon le Genevois Pierre Hazan, spécialiste de la justice internationale.

En 1998, quand 120 Etats adoptent à Rome les statuts de la Cour pénale internationale (CPI), les jours des dictatures semblent comptés.

Au même moment en effet, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie inculpe le leader serbe Slobodan Milosevic, la Grande-Bretagne arrête l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet sur demande du juge espagnol Garzon et la Belgique adopte une loi de compétence universelle à même d’inquiéter les oppresseurs et leurs complices en action ou à la retraite.

Dix ans plus tard, les temps ont changé, constate Pierre Hazan, auteur de «Juger la guerre, juger l’Histoire» (PUF, 2007) un livre consacré à la justice internationale. Interview.

swissinfo: Avec la procédure engagée contre le président soudanais Omar el Béchir, la Cour pénale internationale connaît-elle son heure de vérité ?

Pierre Hazan: C’est en tous cas la première fois que le procureur de la CPI affirme sa volonté d’inculper un président en exercice. Une procédure qui a déclenché un tir de barrage diplomatique.

Il faut en effet savoir que le Soudan n’a pas adhéré au traité de l’ONU qui fonde la Cour pénale internationale. C’est à la demande de la France et de la Grande Bretagne que le Conseil de sécurité de l’ONU a transmis le dossier du Darfour (province du Soudan où furent commises d’effroyables exactions à l’encontre de la population civile, NDLR) à la CPI.

Par la suite, les membres de la Ligue arabe et de l’Union africaine ont manifesté leur réticence.

Mais il y a plus surprenant: initiatrice de la procédure, la France envisage maintenant de recourir à une possibilité inscrite dans les statuts de la CPI pour suspendre l’action de la Cour dans cette affaire. Et ce au nom de la recherche de la paix au Soudan.

swissinfo: Cette situation est-elle emblématique des difficultés que rencontre la CPI ?

P.H.: A la fin des années 90, il pouvait sembler que le droit allait jouer un rôle déterminant dans les relations internationales. Une vision d’un droit tout puissant qui s’est matérialisée avec la CPI.

Mais aujourd’hui, nous sommes dans un contexte très différent. Nous assistons à un retour en force des Etats dans la politique étrangère, au détriment des institutions multilatérales. Le droit international est largement contesté, y compris les Conventions de Genève.

Bien plus qu’hier, les Etats considèrent le droit international comme une arme juridique utilisable en fonction de leur intérêt du moment. C’est particulièrement vrai avec le cas soudanais.

swissinfo: La CPI manque-t-elle de légitimité ?

P.H.: Il n’a fallu que quelques années pour que les statuts de la CPI soient adoptés par plus de 60 Etats (seuil nécessaire pour qu’ils entrent en vigueur). Ce succès que personne n’avait cru possible si rapidement s’est nourri d’une forte mobilisation de la société civile au Nord comme au Sud

Mais dans le même temps, les attentats du 11 septembre ont provoqué une cassure et une nouvelle configuration internationale, peu propice au développement d’une justice internationale indépendante.

swissinfo: La CPI est-elle tout de même le meilleur instrument pour mettre fin à l’impunité des dictateurs ?

P.H.: La CPI n’a pas un tel pouvoir. Car elle ne peut pas intervenir dans tous les pays, alors que le nombre des dictateurs reste important. Les moyens de la Cour, eux, sont limités.

Son efficacité est également entravée par l’absence d’une police internationale à son service. La CPI dépend donc de l’action des Etats, ne serait-ce que pour appréhender des inculpés, surtout s’ils sont des chefs d’Etat ou des leaders politiques ou militaires.

Cet état de fait renvoie à l’utopie qui a entouré la création de cette Cour: la toute puissance du droit. Cette attente des opinions publiques, de la société civile et des victimes semble actuellement totalement disproportionnée.

swissinfo: Sur le plan juridique, la CPI peut-elle inculper n’importe quel dictateur ou seulement ceux qui ont commis des tueries de masse ?

P.H.: La compétence de la Cour s’exerce à l’égard d’auteurs présumés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide. La qualification de dictateur n’est pas en soi une condition suffisante pour que la CPI puisse intervenir.

swissinfo: La CPI pourra-t-elle à terme s’affranchir de la tutelle des Etats ?

P.H.: Il faudrait déjà que la Cour arrive à démontrer le bien-fondé de son action auprès des populations concernées. La CPI, qui est basée à La Haye, doit créer un lien et faire preuve de pédagogie à l’égard de populations plongées dans la guerre et la misère et qui se trouvent à des milliers de kilomètres des Pays-Bas.

Et ce lien est extrêmement compliqué à établir pour cette bureaucratie juridique installée dans un pays du Nord.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

La CPI a pour base légale le Statut de Rome entré en vigueur le 1er juillet 2002.

La communauté internationale dispose ainsi d’un organe juridictionnel permanent à vocation universelle.

La CPI est compétente pour juger les auteurs des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale et heurtent profondément la conscience humaine, soit le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre.

La CPI intervient uniquement lorsque les autorités nationales compétentes sont dans l’incapacité ou n’ont pas la volonté de poursuivre ces crimes.

Aucune immunité officielle, même pas celle des chefs d’Etat ou de gouvernement, ne peut être invoquée pour échapper aux poursuites devant cette Cour.

La Suisse soutient pleinement la CPI et considère qu’elle représente une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité et pour la promotion et le respect du droit humanitaire et des droits de l’homme.
(Source: Département fédéral des Affaires étrangères)

– Le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie (1993)
– Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (1994)
– Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (2000)
– Les Chambres extraordinaires chargées de la poursuite des crimes commis par les Khmers rouges au Cambodge (2004)

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