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Levée de boucliers contre «Big Brother»

La lutte antiterroriste marquera-t-elle le retour de l'"Etat fouineur"? swissinfo.ch

Le Préposé fédéral à la protection des données redoute les effets de l'après 11 septembre sur l'Etat de droit. Il veut plus de moyens et de compétences.

Les libertés individuelles sont menacées par les nouvelles exigences de la lutte antiterroriste internationale, le développement des nouvelles technologies de communication et donc de surveillance.

En Suisse, le projet gouvernemental de créer un seul numéro d’identification personnelle pour chaque citoyen risque en outre de porter atteinte insidieusement aux libertés individuelles. Si l’on n’y prend garde.

Tels sont les grands soucis du Préposé fédéral à la protection des données, qui a présenté son rapport d’activités 2001-2002 lundi à Berne.

Entre Etat de droit et Etat totalitaire

«La sécurité totale n’existe pas, à moins de vouloir un Etat totalitaire.» Hanspeter Thür sait de quoi il parle. Le nouveau Préposé est entré en fonction en septembre dernier. En première ligne, il a pu constater que les attentats ont provoqué une vague sécuritaire inquiétante.

Jusqu’ici, les atteintes aux libertés individuelles émanaient surtout d’organismes privés. Or, depuis le 11 septembre, le Préposé fédéral s’étonne de voir des Etats céder à la tentation d’empiéter de manière disproportionnée sur la sphère privée des citoyens.

Cette inquiétude est partagée par les milieux de défense des libertés individuelles. Aux Archives de l’Etat Fouineur Suisse (AEFS), Catherine Weber est catégorique: «Le 11 septembre, les droits fondamentaux ont perdu un lobby. Les partis bourgeois se sont servis du choc pour durcir certaines lois.»

Les atteintes ne sont pas aussi marquées ici qu’aux Etats-Unis ou dans certains pays européens.

Mais la Suisse subit des pressions internationales croissantes, notamment en matière d’écoutes téléphoniques ou d’interception des e-mails. Les Etats-Unis exigent en outre que les passeports contiennent des données biométriques de leurs détenteurs.

NIP en cause

Un autre projet préoccupe le Préposé fédéral: le numéro d’identification personnelle (NIP) pour tous les citoyens que la Confédération aimerait introduire à des fins administratives. Or, le fait d’utiliser un NIP permettant de relier des données concernant les assurances sociales, la carte d’identité électronique et des informations statistiques n’est pas sans danger.

Hanspeter Thür attend de pied ferme le projet promis pour mars 2003 par l’Office fédéral de la statistique. Pour lui, la meilleure solution consisterait à avoir des numéros spécifiques pour chaque application, ou numéros «sectoriels».

Vigilance tous azimuts

«Nous devons accroître notre vigilance à propos de divers projets en préparation», commente pour sa part Jean-Philippe Walter, adjoint du Préposé.

«On tend vers une limitation des libertés fondamentales parfois insidieuse, car ce sont des mesures séquentielles qui s’additionnent.»

La semaine dernière, la Police fédérale a demandé de nouvelles possibilités d’écoutes téléphoniques en dehors des procédures judiciaires. Ou encore de faire de la surveillance non seulement des lieux publics mais aussi les hôpitaux ou les cabinets médicaux.

Quelles que soient les mesures décidées par le gouvernement, il faudra les assortir de garanties de la protection des données et des droits fondamentaux.

Mais le citoyen doit aussi se protéger lui-même. Pour Jean-Philippe Walter, «on ne peut se reposer uniquement sur les autorités pour assurer ses droits fondamentaux».

Eviter un nouveau scandale des fiches

«Orwell a depuis longtemps été dépassé par les possibilités réelles.» C’est en ces termes que Hanspeter Thür commente les progrès technologiques. Et de dire tout haut ce qu’on se demande tout bas: «Il s’agit d’éviter un nouveau scandale des fiches».

Catherine Weber abonde dans ce sens: «Alors que la répression s’accroît et que la technologie avance à pas de géant, les service de protection des données fonctionnent avec les mêmes effectifs.»

Donc, si l’on accroît la surveillance de la population, il faut en augmenter le contrôle. Pour faire bonne mesure à la hausse des effectifs de police, le Préposé demande une augmentation de ses troupes de 5 postes supplémentaires sur les 16,5 dont il dispose.

Mais Hanspeter Thür revendique surtout un renforcement de ses compétences et donc de ses moyens d’intervention. Il ne suffit pas de dénoncer les abus, encore faut-il pouvoir les sanctionner.

C’est avec intérêt que l’on attend la révision de la loi sur la protection des données qui est en cours. On pourra alors constater si les vœux du Préposé auront été entendus ou s’ils seront restés lettre morte.

swissinfo/Isabelle Eichenberger

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