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L’étau se resserre autour du secret bancaire

Le Luxembourg a cédé à la pression et adoptera l'échange automatique d'informations entre administrations fiscales. AFP

Pressions de l’UE, des Etats-Unis et du G20: les prochains mois seront décisifs pour le secret bancaire. Le gouvernement suisse cherche à gagner du temps, mais se retrouve de plus en plus isolé après la décision du Luxembourg de se ranger à l’idée d’un échange automatique d’informations.

«La Suisse poursuit sa stratégie de l’argent propre»: dans une tribune publiée le 10 avril dans Le Monde, la ministre suisse des Finances a détaillé les différentes mesures prises ces dernières années par la Confédération pour lutter contre l’évasion fiscale. Un exercice qui vise à atténuer la pression croissante sur le secret bancaire. «Lorsque nous entreprenons des réformes, nous attendons aussi de la part de la communauté internationale qu’elle reconnaisse les efforts accomplis sans attaquer la Suisse ou en la menaçant de mesures de rétorsion», écrit notamment Eveline Widmer-Schlumpf.

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Les espoirs de la conseillère fédérale ont cependant été douchés le jour même avec la décision du Luxembourg de se ranger à l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales, une pratique désormais de mise dans 25 des 27 pays de l’UE. Même l’Autriche, autre gardienne du secret bancaire à l’intérieur de l’UE, a manifesté ces derniers temps sa volonté d’engager des négociations dans ce domaine.

Ce changement de stratégie du Luxembourg et de l’Autriche pourrait exposer la Suisse à des attaques encore plus pressantes de la part de l’UE. Jusqu’ici, les trois pays se protégeaient mutuellement. Le Luxembourg et l’Autriche avaient ainsi à plusieurs reprises affirmé ne pas vouloir renoncer au secret bancaire tant que la Suisse n’en ferait pas de même. Berne rejetait de son côté les pressions de Bruxelles, affirmant que l’UE devait d’abord convaincre le Luxembourg et l’Autriche.

En 2005, l’UE a introduit une directive qui permet à chaque pays d’obtenir automatiquement les données concernant les avoirs et les revenus du capital de ses propres citoyens résidant dans les autres Etats-membres.

Cet échange automatique d’informations a jusqu’à présent été rejeté uniquement par l’Autriche et le Luxembourg, qui encaissent cependant un impôt à la source de 35% sur les revenus du capital des citoyens des Etats-membres.

Ces prélèvements sont ensuite reversés aux autres Etats, sans indication des noms des clients de ces banques. La Suisse a également adopté ce modèle dans ses relations avec l’UE.

Compte tenu des lacunes du système actuel, l’UE a décidé d’étendre dès 2015 l’échange automatique d’informations à cinq catégories de revenus et de capitaux: les revenus du travail, les jetons de présence, les produits d’assurance-vie, les pensions, les propriétés et les rentes immobilières.

L’UE exige également de l’Autriche, du Luxembourg et de la Suisse l’abandon du secret bancaire et l’adoption de l’échange automatique d’informations. Selon Bruxelles, l’évasion fiscale fait perdre chaque année 1000 milliards d’euros aux membres de l’UE.

Nouvelles règles américaines

Ces tactiques ont fonctionné pendant des années et les pressions de la Commission européenne n’ont pas eu les effets escomptés. Mais c’était avant que Bruxelles ne reçoive un coup de main, peut-être décisif, de la part des Etats-Unis. Dans les prochains mois, la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg seront en effet appelés à ratifier l’accord FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), au-travers duquel Washington exige la transmission systématique de toutes les informations bancaires concernant ses citoyens résidant en Europe.

Dans la pratique, le secret bancaire n’existe plus à l’égard de la puissance américaine. Sauf à vouloir s’exposer à de lourdes mesures de rétorsion. «En considérant les sanctions annoncées par Washington, il n’est pas réaliste d’imaginer le rejet de cet accord, affirme ainsi Maurice Pedergnana, économiste à l’université de Lucerne. Non seulement les banques suisses ne pourraient plus opérer aux Etats-Unis, mais elles ne pourraient plus détenir de titres américains. Il est tout simplement impensable de proposer une gestion patrimoniale à sa clientèle sans pouvoir accéder au plus grand marché financier du monde.»

Le Luxembourg et l’Autriche, et probablement la Suisse aussi, ne pourront refuser encore longtemps à l’UE ce qu’ils accordent aux Etats-Unis. Le 14 avril dernier, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne ont ainsi relancé l’offensive contre le secret bancaire, en inscrivant l’échange automatique d’informations en plat de résistance du prochain sommet de l’UE, agendé au mois de mai. L’objectif est de faire de l’échange automatique la règle pour les Vingt-Sept et la Suisse dès 2015.

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Des mois décisifs

De nouvelles pressions ont également émergé ce week-end de la réunion des ministres des finances du G20, qui ont exhorté la communauté internationale  à adopter l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales. Dans ce contexte, Eveline Widmer-Schlumpf a affirmé que la Suisse était prête à en discuter, mais à condition que les nouvelles normes soient valables pour tout le monde, y compris les oasis fiscales offshore. Cette position, soutenue également pour la première fois par le président de l’Association suisse des banquiers Patrick Odier, n’est toutefois pas partagée par la majorité du gouvernement et du parlement, qui rejettent pour l’heure toute discussion sur l’échange automatique d’informations ou qui cherchent du moins à la retarder au maximum.

Un attentisme incompréhensible aux yeux de Maurice Pedergnana: «Ce sont des positions qui correspondent à une vieille mentalité et à un modèle d’affaires désormais dépassé. La Suisse ne pourra pas échapper à des négociations sur cette question avec l’UE, son plus important partenaire économique. Nous sommes un petit pays trop intégré dans l’économie mondiale pour nous comporter comme une île».

Et d’ajouter: «Mais si nous attendons d’être mis sous pression, nous réduirons les marges de manœuvre en terme de négociations. La Suisse devrait au contraire présenter d’ici le mois de mai une stratégie claire et des propositions concrètes afin d’obtenir à son tour des concessions de l’UE. Et en premier lieu le libre accès de ses banques au marché financier européen».

En 2010, le Congrès américain a adopté la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) pour combattre l’évasion fiscale offshore de ses propres citoyens.

Au-travers d’accords bilatéraux, l’administration américaine tente actuellement d’imposer cette réglementation à tous les pays partenaires. Ces derniers sont appelés à fournir à Washington les noms et les données bancaires de tous les clients de nationalité américaine ou soumis au fisc américain.

Le gouvernement suisse a également signé cet accord, qui doit être ratifié par le Parlement lors de la session d’été des Chambres fédérales.

Sur la base du modèle de l’accord signé entre Berne et Washington, il appartiendra aux banques de transmettre directement les données requises.

Les clients des banques pourront s’opposer à la transmission de leurs données. Dans un tel cas, les autorités fiscales américaines seront autorisées à demander l’entraide administrative de la Suisse. Elles pourront également présenter des demandes pour des groupes entiers de personnes. 

Rhétorique européenne

Une vision partagée par la gauche parlementaire. «Deux choix se présentent à nous, estime le député socialiste Carlo Sommaruga. Soit nous pouvons attendre de finir sur une liste noire ou grise, comme cela s’est déjà produit en 2009, en étant ensuite contraints d’agir dans la précipitation. Ou alors nous pouvons prendre note de ce qui se passe dans le monde et nous allier à l’Autriche et au Luxembourg, en exigeant des conditions dans les négociations avec l’UE. Par exemple que les nouveaux standards soient également étendus aux régimes fiscaux spéciaux accordés dans certaines circonscriptions des pays anglo-saxons».

Les partis du centre  – à l’exception du Parti bourgeois démocrate – préfèrent jouer la montre. «Tant que Bruxelles exigera une reddition sans contrepartie, la Suisse ne doit pas bouger, estime le député libéral-radical Christian Lüscher. L’UE exerce de fortes pressions pour des raisons soi-disant morales, mais elle cherche en réalité à protéger son marché intérieur, en refusant à nos banques d’y accéder.»

La droite campe quant à elle sur ses positions, fermes, en rejetant toute concession sur le secret bancaire. «Nous sommes confrontés à la rhétorique européenne habituelle que nous avons, à tort, prise au sérieux par le passé, affirme le député de l’Union démocratique du centre Yves Nidegger. L’UE n’est actuellement pas en mesure d’imposer grand-chose, car elle dépend à son tour dans de nombreux domaines de la Suisse. Pensons seulement au transport. Selon moi, le prix d’une guerre serait dans tous les cas inférieur à celui d’une capitulation, qui conduirait à un affaiblissement de notre place financière».

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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