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En Afrique, les braconniers reprennent du terrain

L'an dernier, 619 rhinocéros ont été abattus illégalement en Afrique du Sud. AFP

Face à des braconniers de mieux en mieux organisés et à un boom de la demande, le constat du WWF est sans appel: la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages est un cuisant échec.

«Si nous continuons à ce rythme, l’extinction de certains mammifères sera inévitable», s’inquiète Pierrette Rey, porte-parole du WWF Suisse. En 2010, poursuit-elle, plus de 10’000 éléphants ont été abattus dans les savanes et les forêts africaines. Rien qu’en Afrique du Sud, deux rhinocéros ont été tués chaque jour durant cette période. Jusqu’en 2007, on ne dénombrait en moyenne qu’un rhinocéros par mois victime de braconnage.

La campagne de braconnage actuelle est la pire menée depuis des décennies sur le continent africain, souligne un rapport du WWF publié le 12 décembre dernier. Pour l’organisation de défense de l’environnement, qui a son siège dans le canton de Vaud, il ne fait aucun doute que l’approche globale en matière de lutte contre le trafic illégal des espèces sauvages «est un échec».

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Une corne vaut une Ferrari

Les raisons de ce fiasco sont nombreuses. L’attitude des gouvernements des pays les plus touchés, parmi lesquels la République centrafricaine, le Cameroun, la République démocratique du Congo ou le Kenya, est en cause. «Ils n’ont pas accordé suffisamment d’importance au phénomène du braconnage. La collaboration et la concertations entre Etats est inexistante. C’est une question de volonté, mais aussi de ressources financières», explique Pierrette Rey.

Selon le WWF, les mesures dissuasives et coercitives, les procédures pénales et les sanctions, «manquent de crédibilité». En Afrique du Sud par exemple, dans la province du Nord-Ouest, les braconniers risquent une amende maximale de 14’000 dollars. Le trafic de cinq grammes de cocaïne est quant à lui puni d’au minimum cinq ans de prison.

Le WWF pointe aussi du doigt les pays importateurs. Le Vietnam, la Chine et la Thaïlande «sont clairement responsables de l’accroissement de la demande d’ivoire et de corne de rhinocéros», relève Pierrette Rey. Au Vietnam, ce sont en particulier les classes aisées qui favorisent le commerce illégal. Les «nouveaux riches» sont non seulement attirés par les soi-disant propriétés aphrodisiaques ou anti-tumorales des cornes de rhinocéros, mais également par le statut social que confère ce produit.

«C’est un symbole de richesse: avoir une corne de rhinocéros équivaut à posséder une Ferrari», affirmait récemment dans les colonnes du Temps le journaliste d’investigation Julian Rademeyer, auteur du livre Killing for profit. En Chine, premier pays de destination de l’ivoire africain, il existe «une étroite corrélation entre l’augmentation du braconnage d’éléphants et l’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs», note le rapport du WWF.

La Suisse joue «un rôle négligeable dans le transit de l’ivoire», affirme l’Office vétérinaire fédéral (OVF).

«Nous procédons à une douzaine de prises par an. La majeure partie de l’ivoire est destinée à un marché privé, sous forme de souvenirs et de cadeaux», explique Nathalie Rochat, porte-parole de l’OFV.

«Des trafiquants transitent par la Suisse, mais on ne peut pas parler d’un carrefour international», confirme Pierrette Rey, porte-parole du WWF.

Braconniers en hélicoptère

Pour répondre à la demande mondiale, le crime organisé utilise les technologies les plus performantes, souligne l’organisation non gouvernementale TRAFFIC. «Pour la première fois, en Afrique du Sud, nous avons vu des braconniers utiliser des hélicoptères, des appareils de vision nocturne et des armes lourdes», indique Tom Milliken, de TRAFFIC. Il ne faut ensuite que 24 heures à un passeur recruté en Asie pour récupérer la marchandise en Afrique du Sud et rentrer au Vietnam avec la corne de rhinocéros dans son bagage à main.

L’activité des braconniers est extrêmement rentable. La corne de rhinocéros se monnaie à près de 60’000 dollars le kilo, un prix supérieur à celui de l’or. L’ivoire est considérée comme une valeur refuge et son prix croit de 30% par an, relève TRAFFIC. Avec des ventes annuelles estimées à 19 milliards de dollars, le trafic des animaux sauvages représente le quatrième commerce international le plus rentable après la drogue, la traite des êtres humains et la contrefaçon.

Un marché qui met à mal la biodiversité et qui facilite la diffusion de maladies infectieuses. Mais pas seulement. «Ces groupes criminels peuvent mettre en danger la stabilité et la souveraineté des pays africains et freiner leur croissance», avertit Pierrette Rey. Les profits sont souvent utilisés pour financer des rébellions ou des activités liées au terrorisme. Des liens mis en évidence dans le cas des milices islamistes shebabs en Somalie, qui se financent en partie grâce à la vente de produits illégaux dérivés d’animaux sauvages.

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«Le commerce peut aider à sauver plantes et animaux»

Ce contenu a été publié sur Mathias Lörtscher est responsable de la conservation des espèces à l’Office vétérinaire fédéral. Il est également membre depuis 2004 d’un groupe d’experts sur les animaux dans le cadre de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES). swissinfo.ch: Quel a été l’événement le plus regrettable auquel vous avez dû faire face depuis…

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Changer les croyances

Pour inverser la tendance, une véritable prise de conscience est nécessaire, insiste la représentante du WWF. Le problème doit être abordé de façon plus systématique et avec une plus grande détermination, en prenant en compte tous les maillons de la chaîne. Cela passe par l’adoption de stratégies transnationales et par l’accès des pays les plus pauvres à des instruments d’investigation modernes, tels que la cartographie génétique, qui permet de retracer l’origine des produits.

«Les responsables doivent être punis de façon exemplaire», dit Pierrette Rey. Au début du mois de novembre 2012, un tribunal de Johannesburg a condamné un Thaïlandais à 40 ans de prison pour trafic illégal de corne de rhinocéros. C’est la peine la plus sévère prononcée à ce jour contre un trafiquant. «Un premier pas dans la bonne direction», insiste Pierrette Rey.

En Suisse aussi, un tour de vis est à l’agenda, complète Mathias Lörtscher, de l’Office vétérinaire fédéral. «Jusqu’à présent, les amendes maximales atteignaient 40’000 francs. Dès le mois de mai, une nouvelle loi entrera en vigueur, qui prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à un million de francs».

Les campagnes de sensibilisation seront également passées au peigne fin. Jusqu’ici, elles n’ont en effet pas eu les résultats escomptés, reconnaît le WWF. «Elles ont été menées à une échelle trop petite et sur une période trop courte», observe Pierrette Rey.

«Il est difficile de dissuader les consommateurs qui croient aux vertus médicinales d’un produit. Nous devons leur montrer que la corne de rhinocéros n’a aucun impact sur leur santé. Mais cela prendra du temps».

En 2012, 619 rhinocéros ont été abattus illégalement en Afrique du Sud (état au 10 décembre) sur une population totale de 25’000 individus. En 2011, on en dénombrait 448 (13 en 2007).

5260 défenses d’éléphants ont été saisies sur le continent africain en 2011, soit près de 23 tonnes. Le nombre d’éléphants africains est passé de 5 millions en 1940 à près de 600’000 aujourd’hui.

100 millions de tonnes de poissons, 440’000 tonnes de plantes médicinales et 1,4 million d’oiseaux vivants sont victimes chaque année du commerce illégal.

La valeur du trafic des espèces sauvage est estimée à 19 milliards de dollars par année.

La Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (CITES), adoptée en 1973, est le principal accord réglementant le trafic des plantes et animaux, ainsi que leurs dérivés. Elle a été signée par 176 pays, dont la Suisse

Source: WWF, ministère de l’Environnement sud-africain

(Traduction de l’italien: Samuel Jaberg)

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