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Minarets: Menaces sur la Suisse des bons offices

La Suisse a joué un rôle actif dans le dialogue entre l'Arménie et la Turquie. L'interdiction des minarets va-t-elle changer la donne? Reuters

Après le vote sur l’interdiction des minarets, la Suisse a perdu une partie de sa crédibilité internationale. Ses offres de médiation aux pays en guerre risquent de rester lettre morte, tout comme ses propositions en faveur des droits humains, affirment plusieurs experts. Regards croisés.

«Il est désormais difficile d’expliquer que la Suisse est neutre en matière de politique extérieure, alors que son système démocratique a pu déboucher sur un vote comme celui sur les minarets», relève Jacques-Simon Eggly, ancien parlementaire genevois et actuel président de l’Organisation des Suisses de l’étranger.

Un impact qu’a reconnu à demi-mot la ministre des affaires étrangères elle-même. Selon Micheline Calmy-Rey, aucune des réactions à l’interdiction des minarets n’a abouti pour l’heure à une remise en cause des mandats et les médiations de la Suisse sur la scène internationale. Mais la ministre estime néanmoins que les résultats de cette votation ne vont «certainement pas créer des conditions plus favorables pour ce genre de mission.»

Le consultant François Nordmann abonde dans ce sens. «Il faut d’abord rappeler que l’on part de haut. La réputation de la Suisse était très bonne, relève l’ancien ambassadeur suisse. Avec cette mesure discriminatoire, nous apparaissons tout d’un coup comme un pays inamical à l’égard des pays musulmans, comme en témoignent les premières réactions venues de Turquie et d’Iran notamment.»

L’ancien ambassadeur suisse ajoute: «Certains voient dans cette mesure un symbole de l’islamophobie, un concept que les pays occidentaux ont justement de la peine à admettre comme un phénomène général.»

Depuis le début de la décennie, la question de l’islamophobie et de la diffamation des religions fait en effet l’objet d’âpres débats au sein de divers instances onusiennes comme, à Genève, le Conseil des droits de l’homme.

Perte de crédibilité

Mais pour Adrien-Claude Zoller, le mal est déjà fait, en particulier dans le domaine des droits de l’homme. Le directeur de l’ONG Genève pour les droits humains tient d’abord à rappeler un point qui a quelque peine à être entendu en Suisse. «Si nous tenons toujours à être gouvernés par un Etat de droit, il faudra bien accepter que les droits de l’homme sont le fondement même de l’Etat de droit.»

En acceptant qu’un projet de modification constitutionnelle ouvertement discriminatoire soit soumis au peuple, le gouvernement et le parlement suisse ont pris le risque de bafouer rien moins que le 1er article de la Déclaration universelle des droits de l’homme. «Le concept de non-discrimination se trouve au cœur des droits de l’homme », a d’ailleurs rappelé Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, à l’occasion de la Journée des droits de l’homme, célébrée le 10 décembre.

Adrien-Claude Zoller craint dès lors que la crédibilité de la Suisse dans ce domaine soit proche de zéro. Et ce grand connaisseur des arcanes onusiens de pronostiquer: «La Suisse a désormais bien peu de chances de se faire réélire au Conseil des droits de l’homme, un Conseil qui ne manquera pas de revenir sur ce vote lors de sa session principale du mois de mars.»

Rappelons que la diplomatie suisse s’était fortement engagée pour la création en 2006 à Genève du Conseil des droits de l’homme. Or, cet organe fortement critiqué vient d’entrer dans un délicat processus de révision de son fonctionnement. Ce qui pourrait conduire les pays membres des Nations Unies à déplacer son siège à New York.

Une prime aux extrémistes

Un enjeu qu’a bien compris Hillel Neuer, une personnalité peu suspecte de complaisance à l’égard de l’islamisme.

«Montrer du doigt les musulmans par un traitement différentiel et discriminatoire, c’est de la bigoterie claire et simple qui peut nuire irrémédiablement à la réputation historique de la Suisse comme paradis de la liberté religieuse et de la tolérance», a déclaré peu après le vote le directeur exécutif de UN Watch, une ONG basée à Genève et affiliée à l’ American Jewish Committee.

Et Hillel Neuer d’avertir: «L’interdiction suisse va presque certainement saper les efforts déployés au sein des Nations Unies par les États-Unis, l’UE et d’autres démocraties pour contrer la campagne de pays comme le Pakistan, l’Algérie et l’Egypte visant à interdire toute critique de l’islam, des critiques considérées comme une forme de diffamation et de racisme.»

Sous couvert d’anonymat, une source diplomatique à Genève confirme : «Après ce vote, la Suisse sera mal placée pour dire que le problème de l’islamophobie n’existe pas.»

Pour Yves Besson cependant, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact réel de ce vote sur les missions de la diplomatie suisse. «Tout est actuellement en l’air. Il faut attendre de voir comment sera élaborée la loi d’application pour mesurer les effets de ce vote sur les minarets», souligne cet ancien diplomate suisse.

Un avis que confirme à sa manière l’Organisation de la conférence islamique. Ce jeudi, l’association qui regroupe 56 Etats a en effet demandé aux autorités suisses d’ invalider le vote anti-minarets.

«Il y a un danger d’escalade avec des interdictions similaires de minarets dans d’autres pays européens ou s’étendant à d’autres symboles de la religion musulmane », a justifié l’ambassadeur du Pakistan auprès de l’ONU Zamir Akram.

Aligné, couvert

François Nordmann estime en tous cas que la Suisse risque de perdre son autonomie en matière de défense des droits humains. «Les pays européens où la Suisse passait pour le bon élève de la classe en matière de droits de l’homme laissent échapper quelques ricanements. La Suisse est désormais mal placée pour lancer des initiatives dans ce domaine qui sortiraient de la ligne défendue par l’Union européenne, comme elle a pu le faire dans le passé.»

Et l’ancien ambassadeur de souligner: «Je ne sais pas jusqu’à quel point nos interlocuteurs prenaient au sérieux nos grandes déclarations sur les droits de l’homme. Mais maintenant la Suisse se retrouve dans un piège d’hypocrisie. Au nom de qui parlons-nous quand nous nous proclamons la patrie (d’adoption) des droits de l’homme?»

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch



«La votation suisse a révélé les contradictions du débat français sur l’identité nationale et toutes sortes de fantasmes enfouis dans l’inconscient national.

Dès le départ, ce débat était parti sur de mauvais rails et ne pouvait qu’aller droit dans le mur. Le vote suisse a accéléré ce déraillement et cette collision.

La réponse au vote suisse et à ses retombées en France apportée ce mardi par Nicolas Sarkozy ne lève aucunement les ambigüités du débat, puisqu’il y pose des principes tout-à-fait honorables, tout en pointant du doigt l’islam.

Cela dit, les propos du président de la république marquent peut-être la fin du débat sur l’identité nationale. Lancé 3 mois avant les élections régionales, il était censé couper l’herbe sous les pieds du Front national en donnant des gages à ses électeurs. Mais aujourd’hui, ce débat devient embarrassant pour une partie de la majorité présidentielle (UMP) puisqu’il est en train de lui échapper.

Quoi qu’il en soit, l’extrême-droite va se précipiter dans cette brèche ouverte par l’UMP et le vote suisse en continuant d’exploiter un malaise lié non pas à la religion mais à l’absence de projets de société, une réalité qui concerne toute l’Europe. »

Pierre Haski, co-fondateur du site d’informations Rue89, pour swissinfo.ch

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