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Moins d’armes pour une Suisse plus sûre?

La bataille autour des armes est lancée Keystone

La Suisse est l’un des pays où la population est la plus armée au monde. Mais, suite à des drames, cette foison d’armes est de plus en plus remise en question. Le 13 février 2011, le peuple se prononce sur une initiative demandant une restriction des armes.

Les armes ne sont pas une denrée rare en Suisse. Selon des estimations – il n’y a pas de chiffres précis sur la question – il y en aurait entre 1,2 et 2 millions dans les foyers helvétiques.

Opinion ébranlée

Comme à l’étranger, ces armes sont notamment aux mains de chasseurs, de collectionneurs ou encore de tireurs sportifs. Mais une spécificité suisse fait exploser le nombre d’armes en circulation: entre leurs périodes de service actifs, les soldats conservent leur arme d’ordonnance à la maison et, une fois leurs obligations militaires achevées, ils ont la possibilité de la conserver sous certaines conditions.

Avec un tel système et au fil des générations, on imagine aisément le nombre de mousquetons, pistolets et même fusils d’assaut en circulation dans le pays.

Pour autant, la Suisse ne ressemble pas au Chicago des années 30, et de loin s’en faut. Cependant, cette profusion d’armes pose quelques problèmes. Tout d’abord, elles sont relativement souvent utilisées dans le cadre de suicides ou de drame familiaux. Dans une étude, le criminologue Martin Killias a estimé que les armes militaires tuaient environ 300 fois par an.

D’autre part, l’opinion publique a été ces dernières années ébranlée par quelques tragédies très médiatisée: en 2001, un tireur fou s’introduit dans le parlement du canton de Zoug, faisant 14 victimes; en 2006, l’ancienne championne de ski Corinne Rey-Bellet et son frère sont abattus par son mari; en 2009, un soldat tue une adolescente qui attend le bus à Zurich avec son fusil d’assaut.

Vaste coalition

Tout ceci a poussé des organisations à déposer une initiative populaire intitulée «Pour la protection face à la violence des armes». Le comité d’initiative regroupe une vaste coalition de quelque 70 organisations. On y trouve notamment les Eglises, des organisations pour la paix et la défense des droits de l’homme (dont Amnesty International), des ligues féminines, des syndicats ou encore des associations de lutte contre le suicide.

Au niveau politique, les auteurs du texte ont obtenu le soutien des partis de gauche. En revanche, le gouvernement et la majorité de droite du Parlement ont refusé l’initiative. Ils considèrent en effet que la législation actuelle apporte déjà une protection suffisante contre l’usage abusif des armes.

Un registre national

La première mesure préconisée est l’établissement d’un registre centralisé des armes à l’échelon national. Pour l’heure, les armes ne sont enregistrées – quand elles le sont… – qu’au niveau des cantons, ce qui ne favorise pas un contrôle efficace.

«Dans un pays où chaque vache, chaque chien, chaque perroquet a son numéro d’enregistrement, il est incompréhensible que ce ne soit pas aussi le cas pour des engins qui peuvent tuer, remarque Jean-Pierre Monti, président du Comité du personnel de la Police Judiciaire Fédéral et membre du comité d’initiative. Ce serait un moyen de lutte moderne contre la criminalité.»

Mais cette idée de registre national a déjà été refusée par le gouvernement et le Parlement, notamment en raison de son coût. A cela s’ajoute aussi la crainte de voir utiliser ce registre à d’autres fins que le seul contrôle.

«J’imagine que du moment que ce registre existe, la tentation sera grande pour les opposants aux armes de l’utiliser pour aller récupérer des armes qu’ils souhaiteraient prohiber; c’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Angleterre», déclare Yvan Perrin, député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) et membre du Comité d’intérêt du tir suisse, qui s’oppose à l’initiative.

Le fusil à l’arsenal

Concernant plus spécifiquement les armes militaires, l’initiative demande qu’elles ne soient plus conservées à la maison, mais dans des locaux sécurisés par l’armée. Par ailleurs, aucune arme ne serait plus remise aux soldats qui quittent l’armée, sauf aux tireurs sportifs titulaires d’une licence.

Cette mesure aurait pour effet de diminuer le nombre de suicides. «On donne des armes à feu à la population la plus à risque, puisque les jeunes hommes (19-34 ans) représentent le groupe de population où le suicide est la plus haute cause de mortalité et où l’arme militaire représente la méthode presque exclusive», explique Florian Irminger, membre de l’association Stop Suicide et du Comité d’initiative.

«Pour les médecins, c’est la prévention des suicides qui est au premier plan, notamment celle des suicides dits impulsifs, ajoute Jacques de Haller, président de la Fédération des médecins suisses et lui aussi membre du comité d’initiative. S’ils n’avaient pas d’arme sous la main et qu’ils devaient réfléchir deux minutes de plus, on sait qu’un bon tiers d’entre eux ne commettrait pas de suicide. Nous pourrions sauver 100 vie par année.»

Le gouvernement et la majorité de droite du Parlement estiment toutefois que les mesures prises récemment sont suffisantes: les soldats ne conservent plus de munition de guerre à domicile et ceux qui représentent un risque psychologique, même minime, rentrent chez eux sans armes. Par ailleurs, les soldats qui ne souhaitent pas conserver d’arme sous leur toit peuvent désormais l’entreposer à l’arsenal.

«Nous sommes farouchement opposés au désarmement des soldats, ajoute Yvan Perrin. Il est évident que la pratique du tir obligatoire et du tir en campagne serait fortement compromise. C’est aussi une marque de confiance de l’Etat vis-à-vis du citoyen.»

Clause du besoin

Les auteurs de l’initiative insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas totalement interdire les armes en Suisse. «L’objectif est simplement de retirer de la circulation des armes à feu trop facilement accessibles», ont-ils expliqué à la presse à l’occasion du lancement de la campagne politique.

Les armes resteraient donc disponibles pour les personnes qui en font un usage professionnel, celles qui en font commerce, les chasseurs, les collectionneurs et les tireurs sportifs. Mais ces usagers devront à l’avenir «justifier d’un besoin et disposer des capacités nécessaires», spécifie le texte.

Cependant ces assurances ne rassurent guère les opposants à l’initiative. «Je me méfie toujours des déclarations avant l’acceptation d’une initiative, déclare Yvan Perrin. Il y a bien dans l’initiative une clause du besoin. Or si vous avez affaire à une application un peu tatillonne de cette initiative, presque plus personne ne pourra avoir d’arme, parce que la clause du besoin n’aura pas été prouvée.»

L’initiative a été remise à la Chancellerie fédérale le 22 février 2009, munie de 106’037 signatures valables.

Elle émane d’une coalition regroupant quelque 70 organisations: défense des droits de l’homme, syndicats, prévention du suicide, Eglises, associations de lutte contre la violence faite aux femmes, mouvements pacifistes, etc.

Principales exigences: établissement d’un registre national des armes, justification d’un besoin et de compétences pour posséder une arme, stockage des armes militaires dans des lieux sécurisés, interdiction de posséder des armes particulièrement dangereuses (armes automatiques, fusil à pompe) à titre privé.

Au niveau politique, l’initiative a reçu le soutien de la gauche. Le gouvernement et la majorité de droite du Parlement recommandent en revanche au peuple de la rejeter.

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