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Accord-cadre Suisse-UE: où en sommes-nous?

Jean-Claude Juncker
Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker s'est dit prêt à discuter, mais il ne veut pas accorder plus de temps à la Suisse pour la conclusion d'un accord-cadre. Keystone / Olivier Hoslet

Après des mois d'attente, les choses bougent dans le dossier complexe de l'accord-cadre entre Berne et Bruxelles. Le gouvernement suisse demande des éclaircissements supplémentaires, tandis que l'Union Européenne fait savoir qu'elle est prête à discuter dans un avenir proche, mais qu'elle ne veut pas rouvrir les négociations. Récapitulation de la situation et des enjeux de cet important accord.

Pourquoi un accord-cadre entre la Suisse et l’Union Européenne (UE)?

La Suisse est l’un des rares pays européens à ne pas avoir souhaité adhérer à l’UE. En 1992, le peuple helvétique a également rejeté la proposition d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE)Lien externe, qui aurait permis à la Suisse d’accéder au marché unique européen, tout en restant hors de l’UE. Ce grand marché, qui rassemble plus de 500 millions de personnes, garantit la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux entre les États membres. Afin d’éviter d’être exclue de ce marché et donc d’être désavantagée – par exemple par l’imposition des droits de douane – au cours des 20 dernières années, la Suisse a conclu une série de traités bilatéraux Lien externeavec l’UE dans un certain nombre de secteurs importants, dont le commerce, les marchés publics, les transports, la recherche et la formation. 

Le marché intérieur de l’UE étant en constante évolution, Bruxelles fait déjà depuis de nombreuses années pression sur Berne pour parvenir à un accord-cadreLien externe – ou accord institutionnel – qui impliquerait une actualisation «dynamique» de certains accords bilatéraux. Dans la pratique, l’adaptation de la législation suisse à l’évolution du droit communautaire – dans les domaines couverts par l’accord-cadre – ne nécessiterait pas de nouvelles négociations et devrait se faire plus rapidement. La Suisse reprend déjà régulièrement de nombreux développements du droit européen, mais aux yeux de Bruxelles, elle le fait trop lentement.

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Que couvre l’accord-cadre?

L’accord institutionnel couvre cinq accords bilatéraux existants régissant l’accès au marché de l’UE (libre circulation des personnes, transports terrestres, transports aériens, obstacles techniques au commerce et agriculture). Il devrait également s’étendre à tout nouvel accord bilatéral concernant l’ouverture mutuelle d’un marché (par exemple, l’accord prévu dans le secteur de l’électricité). Les relations entre la Suisse et l’UE sont régies par quelque 120 accords.

L’accord-cadre porte-t-il atteinte à la souveraineté suisse?

Selon le gouvernement suisse, l’accord n’implique pas une reprise automatique du droit européen. Tout d’abord, la Suisse sera consultée sur l’évolution du droit européen dans les domaines couverts par l’accord-cadre. Elle pourra donc émettre des réserves à un stade précoce. En outre, la Confédération reste libre de refuser de s’adapter à la législation européenne et de soumettre au peuple les modifications de sa législation. Le droit de référendum garanti par la Constitution fédérale est ainsi respecté. La marge de manœuvre de la Suisse est toutefois limitée dans un certain nombre de secteurs. En cas de refus d’un ajustement, l’UE pourrait adopter des «mesures de compensation proportionnelles» qui devraient toutefois être décidées par un tribunal arbitral.

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Comment les différends seront-ils réglés? 

Il est prévu de créer un «comité mixte horizontale» (composé de représentants des deux parties) chargé de veiller au bon fonctionnement de l’accord et d’un «comité parlementaire mixte» (membres du Parlement européen et de l’Assemblée fédérale suisse), pouvant prendre position sur une question controversée par le biais de rapports et de résolutions. Si aucune solution ne peut être trouvée, la Suisse et l’UE peuvent demander la création d’un «tribunal arbitral commun», composé d’un représentant désigné par la Suisse, d’un représentant désigné par l’UE et du troisième choisi conjointement (ou cinq: deux suisses, deux européens et un en commun). En dernière instance, tout litige sera soumis à la Cour de justice de l’UE, et son verdict sera contraignant pour les parties contractantes. 

Pourquoi l’accord est-il important pour la Suisse? 

L’UE est le premier partenaire économique de la Suisse: en 2018, elle absorbait 52% des exportations suisses, alors que 70% des produits importés en Suisse provenaient des 28. Sans accord-cadre, l’UE n’entend pas conclure d’autres accords sur des dossiers importants comme l’électricité, la santé publique, la sécurité alimentaire ou l’accès des banques suisses au marché européen. En outre, les membres de l’UE pourraient prendre des mesures discriminatoires à l’encontre de la Suisse. Afin de faire pression sur Berne, Bruxelles a déjà menacé de ne plus reconnaître l’équivalence de la réglementation boursière suisse. Les opérateurs de l’UE n’auraient donc pas le droit de négocier sur le marché boursier helvétique. À la fin de l’année dernière, l’UE n’a accordé qu’une prolongation temporaire de cette reconnaissance, valable jusqu’au 30 juin. Une insécurité juridique qui pénaliserait l’économie suisse est également à craindre. 

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Comment l’accord est-il perçu en Suisse? 

Malgré diverses réserves, la conclusion d’un accord-cadre est soutenue par les principaux partis du centre et de gauche, ainsi que par les principales organisations économiques. A leurs yeux, compte tenu de la position de l’UE, il n’y a pas d’alternative pour poursuivre sur la voie des accords bilatéraux, dont la Suisse a bénéficié économiquement. Toutefois, les partis de gauche et les syndicats rejettent tout affaiblissement des mesures de protection salariale contre le risque de dumping. Sans garanties à ce propos, ils n’ont pas l’intention d’accepter un accord-cadre. Les partis de droite opposés à tout rapprochement avec l’UE, rejettent catégoriquement ce projet. Selon l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), l’accord-cadre correspond à «une condamnation à mort pour la démocratie directe et l’indépendance suisse».

Quels sont les points en suspens? 

A l’issue de la procédure de consultation des partis, des organisations économiques, des syndicats et des gouvernements cantonaux, trois aspects particulièrement problématiques ont été mis en évidence.  

Protection des salaires. Dans le domaine de la libre circulation des personnes, la Suisse et l’UE s’accordent sur le principe de «travail égal, salaire égal». Toutefois, l’accord affecterait certaines des «mesures d’accompagnement» introduites par le Parlement suisse pour empêcher le dumping salarial. Pour les différentes parties consultées, à commencer par les syndicats, il est essentiel de maintenir la possibilité actuelle pour la Suisse d’adopter ses propres mesures dans le domaine de la protection salariale et de définir les secteurs à risque. 

Aides d’État. La Suisse et l’UE sont d’accord sur le fait que les mêmes conditions doivent s’appliquer à tous les acteurs du marché et que les aides étatiques ne peuvent donc pas fausser la concurrence. Pour les gouvernements cantonaux en particulier, il n’est toutefois pas acceptable que les règles relatives aux aides d’Etat aient des retombées dans des domaines où la Suisse n’a pas accès au marché intérieur de l’UE. Les cantons craignent que Bruxelles n’accepte pas les garanties accordées aux banques cantonales ou les contributions aux compagnies d’électricité ou autres entreprises au service de la collectivité. 

Directive sur la citoyenneté. Avec la signature de l’accord-cadre, la Suisse devrait également adopter les futures modifications de la directive européenne sur le droit des citoyens de l’UE. Dans ce contexte, Bruxelles envisage d’étendre les droits à l’assistance sociale aux personnes sans emploi et de limiter les conditions d’expulsion des criminels ou de révocation du permis de séjour pour ceux qui menacent la sécurité publique. Divers partis et organisations demandent que cette directive soit explicitement exclue du champ d’application de l’accord institutionnel. 

Que veut le gouvernement suisse? 

Le Conseil fédéral se trouve entre le marteau et l’enclume: d’un côté, les pressions de l’UE et, de l’autre, le risque d’un rejet de l’accord-cadre par le Parlement ou le peuple, dans le cas où le texte définitif ne parviendrait pas à obtenir le soutien d’une majorité entre les forces du centre et de gauche. Le gouvernement essaie donc de gagner du temps depuis quelques années, en expliquant l’importance de l’accord et en tentant d’atténuer les résistances. Le 7 juin, il a finalement adressé une lettre Lien externeau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans laquelle il a clairement reconnu qu’il ne serait pas possible de «réunir une majorité» en Suisse en faveur de l’accord sans clarifier ou réviser les trois points mentionnés ci-dessus. 

Mardi, le Conseil des Etats (Chambre haute du Parlement) a soutenu la position du gouvernement en approuvant à une large majorité une motion demandant le maintien du niveau actuel de protection des salaires et des aides d’Etat, ainsi que l’exclusion de la directive sur la citoyenneté européenne de l’accord. La motion demande également que les citoyens suisses continuent d’avoir le dernier mot, en cas de reprise dynamique du droit européen par la Suisse également. 

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Comment répond Bruxelles? 

Le 11 juin, Jean-Claude Juncker a fait savoir qu’il était disposé à discuter avec la Suisse des «clarifications» demandées sur l’accord-cadre. Toutefois, le président de la Commission européenne a déclaré que le projet d’accord conclu en novembre dernier ne sera pas renégocié et que ces clarifications devront avoir lieu «dans les prochains jours».

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(traduction de l’italien: Katy Romy)

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