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Un Pacte mondial pour les migrations, ça va servir à quoi?

A Honduran child cries while her mother is searched in McAllen, Texas
Un enfant hondurien de deux ans pleure tandis que sa mère est fouillée et détenue à McAllen, Texas, près de la frontière avec le Mexique le 12 juin 2018. ils faisaient partie d'un groupe de migrants ayant passé le Rio Grande. John Moore/Getty Images/AFP

Les Etats membres des Nations unies se retrouvent ce lundi au Maroc pour adopter officiellement un accord international qui promet une approche meilleure et mieux coordonnée de la migration. Pourquoi un tel pacte est-il nécessaire? Pourquoi est-il si controversé, et pourquoi la Suisse, qui a contribué à l’élaborer, n’est-elle pas présente?

Les 10 et 11 décembre à Marrakech, les chefs d’Etat et de gouvernement doivent confirmer publiquement leur engagement pour le Pacte mondialLien externe pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, un accordLien externe multilatéral conclu cette année sous les auspices des Nations unies.

Le document final de 31 pages, la conférence intergouvernementaleLien externe et la cérémonie d’adoption marqueront le point d’orgue de presque deux ans de négociations intensives entre Etats, société civile et secteur privé, facilitées par les ambassadeurs mexicain Juan José Gomez Comacho et suisse Jürg Lauber.

Pourquoi avons-nous besoin d’un Pacte mondial pour les migrations?

Selon les Nations unies, il y a aujourd’hui plus de 258 millions de migrantsLien externe dans le monde. Un chiffre qu’on s’attend à voir augmenter avec la globalisation, les communications, les transports et le commerce rendus plus faciles, ainsi que l’accroissement des inégalités, les déséquilibres démographiques et le changement climatique. La migration, estime l’ONU, offre des chances et des avantages immenses aux migrants, aux communautés qui les accueillent et à leurs communautés d’origine. Mais quand elle est mal organisée, elle peut créer des problèmes importants. Il faut donc la rendre plus sûre, plus ordonnée et mieux régulée.

La crise migratoire de 2015 en Europe, qui a vu le plus gros afflux de réfugiés et de migrants depuis la Seconde Guerre mondiale, a donné un élan au Pacte, issu de traités et d’initiatives plus anciennes sur les droits de l’homme et le développement, comme le Forum global sur la Migration et le Développement (GFMDLien externe), et qui découle d’un engagement politique connu sous le nom de Déclaration de New YorkLien externe pour les Réfugiés et les Migrants, adopté en 2016 à l’unanimité des 193 pays membres de l’Assemblée générale des Nations unies.

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Quel est son objectif?

La Suisse et la migration

Près d’un quart des 8,4 millions de personnes vivant en Suisse a un passeport étranger, la majorité venant d’Europe. Le pourcentage de Suisses ayant des racines étrangères a légèrement augmenté l’année dernière, à 37,2%. On entend par là toute personne – étrangers, naturalisés ou Suisses de naissance – dont les deux parents sont nés dans un autre pays.

L’année dernière, le solde migratoire net de l’Union européenne en Suisse a été de quelque 34’000 personnes, en-dessous des années record comme 2013, où il y avait eu 66’000 personnes de plus à venir de l’UE qu’à partir vers elle. Pour 2018, ce solde avec l’UE est de 26’809 jusqu’en octobre. En outre, plus de 750’000 citoyens suisses vivent à l’étranger, principalement en Europe.

Les Etats ne vont pas ratifier un traité mondial de force obligatoire. Le Pacte est un instrument multilatéral non contraignant de coopération qui vise à fixer des principes et des lignes directrices communes pour une migration ordonnée, en réduisant les flots clandestins. Le document a été établi au terme d’un examen approfondi de données sur la migration et un processus de consultation détaillé.

Il contient 10 principes directeurs et 23 objectifsLien externe. Chacun d’eux s’accompagne d’une longue liste d’actions volontaires possibles, dans laquelle les Etats peuvent choisir. Il s’agit notamment d’appliquer des mesures de prévention pour s’attaquer aux causes de la migration, de combattre le trafic d’êtres humains, de gérer les frontières et de faciliter les retours. Le Pacte se concentre aussi sur des solutions et des meilleures pratiques pour faciliter la migration régulière.

«La force de ce pacte, c’est qu’il s’agit d’un document très complet et équilibré, qui prend en compte à la fois les soucis sérieux et légitimes de ceux qui veulent contrôler les frontières et les droits des migrants», explique à swissinfo.ch Walter Kälin, professeur de droit international à l’Université de Berne.

Pour Vincent Chetail, directeur du Global Migration CentreLien externe au Graduate Institute de Genève, le Pacte ne crée pas de nouvelles règles, mais reformule celles qui existent. Et même s’il est volontaire, il croit qu’il peut faire une différence.

«Un processus de suivi et d’examen sera mis en place pour évaluer l’application du Pacte», rappelle Vincent Chetail. «Même s’il n’est pas légalement contraignant, l’Assemblée générale des Nations unies se réunira tous les quatre ans pour évaluer son application. Sur le papier en tout cas, il y a une forte présomption que ces engagements seront pris au sérieux par les Etats et qu’ils les appliqueront».

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Qui est pour et qui est contre?

Le document a été approuvé en juillet par 192 Etats membres de l’Assemblée GénéraleLien externe de l’ONU, y compris la Suisse, mais pas les Etats Unis, qui ont fait marche arrière l’an dernier, estimant que le Pacte était «simplement incompatible» avec leur souveraineté.

Depuis lors, plusieurs pays ont rejeté le Pacte avant la conférence, et d’autres hésitent. Ceux qui se sont retirés sont Israël, l’Australie, l’Autriche, la Pologne, la Bulgarie, la République tchèque, la Hongrie et la République dominicaine. Le gouvernement autrichien, par exemple, craint que le fait de signer puisse aider finalement à la reconnaissance d’un «droit humain à la migration». L’Italie, dont le nouveau gouvernement a fait les gros titres pour sa politique anti-migration, décidera si elle soutient le Pacte après que son parlement en aura débattu.

La Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les migrations Louise ArbourLien externe, comme d’autres soutiens du Pacte, reste confiante malgré ces retraits. Elle attend «une très large participation» à Marrakech et a qualifié les tentatives de rejeter l’accord de «regrettables» et «erronées». Elle rappelle que le Pacte n’affecte pas le droit des Etats à gérer leurs frontières, mais cherche simplement à mettre de l’ordre dans les mouvements transfrontaliers.

«Il ne s’agit en aucun cas d’une atteinte à la souveraineté des États – le Pacte n’est pas juridiquement contraignant, c’est un cadre de coopération» a dit Louise Arbour, en le comparant aux 17 Objectifs de développement durable des Nations unies pour 2030.

Peter Maurer, ancien secrétaire d’Etat Suisse et actuel président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), y voit un bon compromis. Il estime à 160 ou 180 le nombre d’Etats qui vont le signer.


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Quelle est la position officielle de la Suisse?

Ironiquement, ce document que des diplomates suisses ont aidé à élaborer est devenu une patate chaude dans la politique nationale.

A l’Assemblée générale de l’ONU en septembre, le président de la Confédération Alain Berset a donné sa bénédiction personnelle au Pacte. Le 10 octobre, le Conseil fédéral l’a suivi, en donnant son feu vert au document, dont «les principes directeurs et les objectifs correspondent pleinement à la politique suisse des migrations».

Mais face à la résistance montante des politiciens des partis de droite, le parlement a exigé d’être consulté. Le Conseil fédéral a alors annoncé que la Suisse ne participerait pas à la conférence de Marrakech et a décidé de différer l’adoption du Pacte jusqu’à ce que le parlement ait pu débattre de la question.

Le 29 novembre, le Conseil des Etats (Chambre haute) a décidé que le parlement aurait le dernier mot. Le 6 décembre, la Chambre basse n’a pas réussi à terminer son débat, qui doit reprendre demain mardi.


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Quelles sont les positions politiques en Suisse?

Les partis de la droite et du centre droit craignent que le Pacte ne rende floue la frontière entre migration légale et illégale et ne porte atteinte à la souveraineté du pays. L’UDC (droite conservatrice) a mené la charge en septembre, arguant que le Pacte serait «incompatible avec une gestion indépendante de l’immigration». Pour le parti, le Pacte pourrait à terme primer sur le droit suisse. Il a donc pressé le gouvernement de le rejeter. En novembre, l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) a déposé une pétition contre le Pacte, munie de 15’000 signatures.

Pour le Parti libéral-radical (droite), il s’agit certes d’une loi non contraignante, mais qui a «des implications politiques qui exigent une extrême prudence». Le Parti démocrate-chrétien et le Parti bourgeois-démocratique (centre droit) ont des doutes et veulent que le parlement se prononce.

Christian Levrat, président du Parti socialiste, estime que le retard de la Suisse à signer le Pacte est une «erreur politique», tant en termes de politique étrangère, en s’alignant sur des pays comme la Hongrie et les Etats-Unis, qu’en termes de politique intérieure, en «pliant devant l’UDC et les pressions qu’elle exerce».

Pour sa part, la Commission fédérale des migrationsLien externe, organe extra-parlementaire de 30 membres chargé de conseiller le gouvernement sur les questions de migration, dit que l’adoption du Pacte par la Suisse est non seulement souhaitable, mais «nécessaire».

A ce stade, le Conseil fédéral continue à insister sur le fait que le Pacte est dans l’intérêt de la Suisse et que, ne s’agissant pas d’un traité, il revient au gouvernement d’avoir le dernier mot, et pas au parlement. Pour l’heure, il n’exclut pas une adoption, qui pourrait intervenir plus tard, selon le ministre des Affaires étrangères.

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(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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