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Une défaite «historique» pour l’armée et son ministre

Le Gripen n'a pas convaincu le peuple suisse, qui l'a rejeté dimanche à 53,4%. AFP

En rejetant l’achat de 22 nouveaux avions de combat Gripen, le peuple suisse a infligé dimanche une claque à l’armée qui restera dans les annales de l’histoire politique et militaire suisse. Un homme incarne aux yeux de la presse cette débâcle: le ministre de la Défense Ueli Maurer.

«Bérézina», «Waterloo» ou encore «Marignan»: la presse suisse de ce lundi ne manque pas de références historiques pour qualifier le refus des citoyens suisses d’acheter 22 nouveaux avions de combat Gripen pour 3,1 milliards de francs. Historique, la défaite l’est en effet, comme le rappellent la plupart des quotidiens du pays: c’est en effet la première fois depuis la création de l’Etat suisse moderne en 1848 que l’armée suisse subit un tel échec en votation populaire.

Un homme en particulier est au cœur de la cible médiatique: Ueli Maurer, ministre UDC (droite conservatrice) en charge de la Défense, dont la mine défaite s’affiche sur pratiquement toutes les Unes du pays. «La débâcle d’Ueli Maurer», titre ainsi le Tages-Anzeiger. «Ce dimanche, il a perdu la mère de ses batailles, le seul vrai projet de son règne, devenu dès lors presque insignifiant», poursuit Le Matin de Lausanne. L’échec du Gripen est d’abord celui d’Ueli Maurer, qui «a multiplié les couacs» durant la campagne, renchérissent L’Express et L’Impartial de Neuchâtel ainsi que le Journal du Jura.

«Cuisante, la défaite de l’armée dans les urnes est d’abord celle d’Ueli Maurer. Inconséquent durant toute la campagne, il a changé de stratégie comme de paires de chaussettes, traitant un sujet sérieux avec la désinvolture d’un clown triste, et n’a fait qu’accroître le déficit d’arguments des partisans d’un nouvel avion de combat», poursuit 24heures de Lausanne.

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Un climat défavorable

«Le conseiller fédéral s’est donné beaucoup de peine pour clouer au sol le nouvel avion de combat», relève pour sa part La Liberté de Fribourg, qui concède toutefois que le contexte n’a pas aidé Ueli Maurer: «Les cantons qui ont refusé l’initiative de l’UDC ‘contre l’immigration de masse’ le 9 février (réd : acceptée au plan national) ont rejeté hier le financement de l’avion. Coïncidence? Pas seulement. Des citoyens, a priori plutôt favorables à l’armée, n’ont pas résisté au petit plaisir jouissif de jeter un obus dans le jardin de l’UDC».

Un autre événement a peut-être influencé de manière décisive le vote de dimanche, estime laTribune de Genève: le détournement d’un avion éthiopien sur Genève à la mi-février. «Ce jour-là, l’armée suisse s’est ridiculisée. Le grand public a en effet découvert que la défense aérienne n’était opérationnelle que pendant les heures de bureau. A l’étranger ou en Suisse, que l’on soit de gauche ou de droite, la nouvelle a sidéré et provoqué l’hilarité générale. Elle a miné la crédibilité du discours officiel sur la nécessité d’acheter 22 Gripen», écrit le quotidien genevois.

«Il n’est pas certain que les maladresses de campagne d’Ueli Maurer expliquent à elles seules ce vote populaire», retient toutefois L’Agefi. Bien des adeptes d’une défense nationale forte et dissuasive ont toujours plus de doutes sur l’affectation des investissements à consentir, poursuit le quotidien économique.

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Les Suisses ont cloué le Gripen au sol

Ce contenu a été publié sur Pas question d’annoncer tout de suite quelles mesures prendre après le refus du Gripen. Ueli Maurer souhaite d’abord mener une analyse approfondie des résultats. Il faudra encore du temps avant de trouver une solution, selon lui. Ce non populaire est une défaite pour le Gouvernement et le Parlement. «Pour moi aussi», a reconnu le ministre…

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L’armée suisse affaiblie?

«Ceux qui ont suivi l’appel du non, sans douter de la nécessité d’avoir une petite armée suisse, ont probablement retenu que ces avions étaient un gadget trop coûteux en ces temps d’instabilité économique et d’alarmes continuelles sur les budgets publics», analyse le Giornale del popolo. «La majorité des Suisses préfèrent avoir un toit avec des trous sur la tête, plutôt que de payer le prix de tuiles qu’ils n’aiment pas», illustre joliment le Corriere del Ticino.

La question se pose désormais: ce vote marque-t-il un tournant pour l’armée suisse? C’est ce que semble penser Le Temps de Genève: «Rien ne sera plus comme avant (…). Plus urbaine, moins monolithique, la Suisse se montre désormais plus critique envers ses militaires. Le réflexe qui consistait à leur dire toujours oui, sous peine d’être taxé de ‘dangereux gauchiste’, a définitivement vécu».

«La chute des Gripen n’affaiblit pas seulement l’armée de l’air. C’est l’armée suisse dans son ensemble qui n’est désormais plus ancrée fermement au sein de la population», estime la Neue Zürcher Zeitung. «Le non de dimanche pourrait avoir la conséquence suivante: les achats futurs d’armement coûteux seront mis par principe dans la balance. Le budget de l’armée sera plus disputé que jamais», prédit le quotidien zurichois.

Toujours les mêmes questions

Le Bund est d’un tout autre avis: «Aussi spectaculaire que soit le résultat, la Suisse ne se découvre pas moins favorable à l’armée qu’auparavant. L’armée reste solidement ancrée au sein de la population, comme l’a démontré il y a une année le soutien massif du peuple au système de conscription». Pour le quotidien bernois, il est à présent nécessaire que l’armée détermine mieux «quelles menaces sont possibles pour la Suisse et lesquelles relèvent de l’imagination». Ce qui pourrait conduire à une nouvelle orientation dans la réforme de l’armée et peut-être à un rapprochement avec le thème de la cyberguerre.

Même son de cloche dans le Tages-Anzeiger, pour qui le non au Gripen ne signifie «ni un non à l’armée ni la disparition de l’armée de l’air». Ce résultat représente au contraire une chance pour insérer davantage de pragmatisme dans le débat sur la politique de sécurité du pays, estime le quotidien zurichois.

Le Matin se montre plus désabusé: «On est reparti pour se poser les mêmes questions fondamentales qu’il y a dix ans et entendre à peu de chose près les mêmes débats stériles et, faut-il le craindre, dogmatiques. Quelle armée voulons-nous? Quels moyens sommes-nous prêts à lui accorder? Pour faire quoi, mais surtout avec qui?»

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