Des perspectives suisses en 10 langues

«Le monde a changé»

Israël a mis en place tout un système de défense aérienne mobile baptisé «Dôme de fer» pour se protéger des tirs ennemis. Reuters

La diplomatie peine à calmer l’escalade meurtrière entre Israël et le Hamas. Pour une bonne partie de la presse suisse, l’offensive «Pilier de défense» contre les groupes armés de Gaza exprime cette prise de conscience: le Printemps arabe a bouleversé le cadre régional.

L’opération israélienne a été déclenchée mercredi dernier, avec l’assassinat à Gaza du chef des opérations militaires du Hamas, Ahmad Jaabari. Depuis, 83 personnes ont été tuées: 80 Palestiniens, dont la moitié de civils, et 3 civils israéliens.

Par rapport à 2008, époque de l’opération «Plomb durci», la donne diplomatique et le cadre régional sont devenus plus complexes, relève La Liberté: «Certes, le Hamas a perdu le soutien de la Syrie, mais il a gagné celui des nouveaux gouvernements issus des révolutions arabes, (…) d’autant que l’Etat hébreu s’est posé en ennemi des révolutions dont ils sont issus. De son côté, Israël a perdu ses deux principaux interlocuteurs dans la région: l’Egypte et la Turquie».

De même, le spécialiste du monde arabe Hasni Abidi estime qu’Israël ne bluffe pas en envoyant ses chars vers Gaza. «Géostratégiquement, l’Egypte de Morsi, un frère musulman, n’est plus celle de Moubarak, explique-t-il dans le Matin Dimanche. Israël envoie ainsi un signal aux nouveaux acteurs issus du Printemps arabe. Militairement, des missiles lancés depuis Gaza peuvent maintenant atteindre Tel-Aviv, capitale économique. Là aussi, Israël veut se défendre. Politiquement, on est en période électorale et une opération militaire rapporte des voix.»

L’Egypte, ce «maillon faible»

Pour Hasni Abidi, les événements de Gaza vont «affaiblir la transition démocratique dans les pays issus du Printemps arabe et disqualifier les voix modérées». Il prédit que «les gouvernements arabes vont être mis sous pression et que le maillon faible, c’est l’Egypte».

Le Walliser Bote estime au contraire que «les frères musulmans (les pères idéologiques du Hamas) élus à la tête de l’Egypte, n’ont pas intérêt à une escalade avec Israël, mais le conflit les arrange puisqu’il détourne l’attention de ceux qui les critiquent». Mais comme la totalité des commentateurs, le journal valaisan conclut que ce sont encore «les civils qui paieront le prix fort au bout du compte».

Le Tages-Anzeiger relève que «le printemps arabe est arrivé en Palestine. Non pas par une insurrection populaire contre le népotisme d’une OLP corrompue sous le président Mahmoud Abbas, ni contre le Hamas qui n’a apporté à la population de Gaza que guerre, mort et destruction, mais le Printemps arabe est arrivé en limousine», allusion à la visite vendredi du premier ministre égyptien Hicham Kandil.

Et c’est bien cette situation qui inquiète Michael Lüders dans les colonnes de l’Argauer Zeitung. «Si les conditions générales ont changé pour Israël, la diplomatie égyptienne se retrouve dans une situation difficile, relève ce spécialiste du monde arabe. Le gouvernement des frères musulmans doit tenir compte des intérêts des Palestiniens et se montrer solidaire. D’autre part, Le Caire ne peut pas rompre le traité de paix avec Israël.»

«Folie complète»

Michael Lüders met en garde contre «le danger de cette guerre, qui est de déboucher sur une situation incontrôlable que nous ne pouvons absolument pas imaginer aujourd’hui».

Dans l’immédiat, «les tirs de missiles contre les grandes villes israéliennes mettent (le premier ministre israélien Benjamin) Netanyahou en situation de chercher un succès militaire, relève encore La Liberté. L’hypothèse d’une offensive terrestre rapide et meurtrière se précise.»

Dans Le Matin Dimanche encore, Riccardo Bocco rappelle qu’Israël est engagé sur quatre fronts: Gaza, la Syrie, le Hezbollah et l’Iran. «C’est de la folie complète. Netanyahou envisage une opération dans un contexte des plus délicats dans toute la région. La meilleure option serait pourtant pour lui de reculer et de lever l’occupation. Mais il n’a pas une stratégie de paix. Il a une stratégie de guerre sans vision à long terme!», lance ce professeur à l’Institut des hautes études internationales à Genève.

Pour Le Temps, il ne restera bientôt plus ni Autorité palestinienne en Cisjordanie ni Hamas à Gaza, car les ‘parrains’ prévenants (Al-Qaïda, Iran…) ont commencé à séduire ceux que le réalisme obligé du Hamas décevait. «Débordé par plus radicaux que lui, le Hamas s’est retrouvé pratiquement l’allié le plus commode possible d’Israël en écrasant d’une main de fer les groupes de jeunes radicaux. Alors qu’en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne risque de se retrouver déplumée après sa tentative de reconnaissance à l’ONU.»

C’est ainsi, conclut le quotidien francophone, que «le gouvernement israélien qui sortira des urnes le 22 janvier pourra clamer, sûr de son bon droit, qu’il n’a face à lui aucun ‘interlocuteur pour la paix’. Personne, à ce moment-là, ne sera en mesure de le contredire.»

Le 27 décembre 2008, Israël lance une offensive aérienne contre la bande de Gaza, suivie d’une offensive terrestre.

Objectif: mettre fin aux tirs de roquettes du Hamas lancés de la bande de Gaza.

En vingt-deux jours, l’opération a couté la vie à quelque 1400 Palestiniens de source palestinienne et 1200 de source israélienne.

Cette opération a suscité de nombreuses critiques internationales, en raison du caractère jugé disproportionné de la riposte, du nombre de victimes civiles parmi les Palestiniens, et de l’utilisation par Israël d’armes dont l’usage est limité par le droit international humanitaire.

De son côté, l’ancien diplomate et président du Comité international de la Croix Rouge Jakob Kellenberger s’est exprimé dans la SonntagsZeitung dimanche.

«Etat doté d’une force militaire très supérieure, Israël réagit énergiquement aux (nouveaux) missiles palestiniens. Il n’est pas enclin à laisser des considérations sur le principe de la relativité limiter son droit à l’autodéfense. Cette réaction pourrait, comme lors de l’opération de 2008, viser à semer suffisamment de terreur pour calmer la donne pendant un certain temps. Je peux comprendre que le souci sécuritaire soit particulièrement important dans un pays comme Israël. Cependant, les règles du droit international humanitaire et des droits de l’homme sont valables y compris en cas de soi-disant autodéfense», déclare notamment M. Kellenberger.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision