Des perspectives suisses en 10 langues

Otages des FARC: la blessure des médiateurs

5 juin 2007: Raúl Reyes, Noël Saez et Jean Pierre Gontard (de gauche à droite) réfléchissent sur les modalités de libération des otages. Collection de l'auteur

Après la libération d'Ingrid Bétancourt et de 14 autres otages des FARC, Bogota a mis fin à la médiation des envoyés suisses et français, discrédité leur travail et ouvert une enquête contre le Suisse Jean Pierre Gontard. Le médiateur français témoigne.

«Nous n’avons pas mérité ce traitement», nous a déclaré l’émissaire français Noël Saez.

Noël Saez fait référence à ce jour du 28 juin 2008, lorsque le président colombien Alvaro Uribe leur a lancé: «Vous avez trahi la confiance que j’avais placée en vous. Si je vous confirme dans votre rôle de négociateur, c’est par considération pour vos pays et gouvernements. Mais je sais que vous êtes complices des FARC.»

L’épisode – rapporté par Noël Saez dans son livre L’émissaire – se déroule au palais présidentiel. «Ils n’avaient pas le droit de nous traiter de cette manière. Et leur attitude actuelle à l’égard de Jean-Pierre Gontard est tout à fait injuste», déclare l’envoyé de l’Elysée, à propos de son alter ego, le négociateur de paix, envoyé, lui, par Berne.

«Ce harcèlement permanent contre Jean-Pierre Gontard est incompréhensible. Il est injuste et fait preuve d’un manque total de gratitude et d’élégance», ajoute l’ex-diplomate français interviewé à l’occasion de la récente publication de son livre.

Biographie et géopolitique

Le texte, autobiographique, n’est pas seulement une plongée dans la vie de Noël Saez – près de six décennies passées à parcourir le monde – c’est aussi un coup de projecteur sur l’histoire contemporaine des pays où a vécu celui qui a aussi été pilote de l’Armée de l’air française, depuis sa naissance en Algérie jusqu’à sa dernière mission en Colombie.

Une vie intense, où abondent les images de guerre: l’indépendance de l’Algérie, le coup d’Etat au Chili, la guerre civile au Salvador. Une vie peuplée de souvenirs d’horreur extrême: ces restes humains qu’il lui a fallu rassembler de ses propres mains dans la forêt mozambicaine. Une vie faite d’expériences terribles: le bombardement de sa maison à San Salvador alors que sa fille, sa femme et lui-même se trouvent à l’intérieur.

Une vie, enfin, qui ne connaît pas la banalité. «En quarante ans de carrière, j’ai arraché quelque deux cents personnes aux griffes des guérillas colombienne et salvadorienne et aux prisons de la junte chilienne», écrit Noël Saez.

Colombie, la blessure

Mais son parcours diplomatique se termine sur une note amère. «La dernière mission – effectuée en Colombie pendant six ans, quatre mois et dix jours – et la manière dont nous avons été renvoyés est une blessure. Je parle pour moi, mais je sais que Jean-Pierre Gontard pense la même chose», avoue-t-il.

L’un pour le compte de la Suisse, l’autre pour celui de la France, Jean-Pierre Gontard et Noël Saez ont fait office de médiateurs entre Bogota et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), premier groupe insurgé du pays, pour la libération des personnes détenues par la guérilla, parmi lesquelles se trouvait la citoyenne franco-colombienne Ingrid Bétancourt.

Une tâche qui a exigé des envoyés européens qu’ils se rendent à plusieurs reprises dans la jungle où ils ont risqué leur vie. Leurs efforts n’ont pourtant pas été vains puisque grâce à leur intervention de nombreux otages ont regagné leur foyer. Le passage suivant est extrait de L’émissaire:

«Luis Carlos Restrepo (Haut commissaire pour la paix en Colombie) a la mémoire courte lorsqu’il prétend que «indépendamment de leur bonne volonté, le travail réalisé par les négociateurs durant toutes ces années n’a abouti à aucun résultat». C’est oublier, entre autres, les 317 militaires colombiens de l’armée régulière libérés en 2001 grâce à l’intervention directe de Jean-Pierre Gontard et à sa médiation avec les FARC».

«On a voulu salir notre réputation»

Pourtant, après la libération, le 2 juillet 2008, de quinze otages des FARC, parmi lesquels Ingrid Bétancourt, le gouvernement du président Alvaro Uribe a mis un terme à la médiation de la Suisse et à celle de la France. Qui plus est, il a ouvert une enquête sur la supposée remise aux FARC de l’argent d’une rançon par Jean-Pierre Gontard.

A propos de cette accusation – que le ministère suisse des Affaires étrangères a toujours rejeté – notre interlocuteur affirme: «On a voulu salir notre réputation. Au lieu de nous dire: ‘Merci, vous pouvez rentrer chez vous, nous allons régler cette affaire entre nous’, ils ont inventé toutes sortes de choses sur notre compte».

Noël Saez l’explique en détail dans son livre: c’est cette attitude qui l’a le plus blessé, davantage que le fait d’avoir été instrumentalisé et mis en danger dans le but de créer une diversion par rapport à la guérilla. «Au bout du compte, être instrumentalisé par une partie ou une autre est normal pour un médiateur. Ce qui ne l’est pas, c’est d’avoir été congédiés dans ces conditions.»

La libération à portée de main

Sorti début mars, le livre consacre deux de ses trois chapitres à la Colombie, dont la plus grande partie à Ingrid Bétancourt. «C’est à la fois le dernier cas de ma carrière et le plus long que j’ai eu à traiter. De plus, je connaissais bien Ingrid Bétancourt et sa famille. Mais j’ai exigé sa libération au même titre que celle de tous les autres otages», fait remarquer Noël Saez.

Il évoque aussi les deux situations où Jean-Pierre Gontard et lui-même ont été très près d’obtenir sa libération. L’une peu avant l’offensive militaire en Equateur au cours de laquelle est tombé Raul Reyes, le 1er mars 2008. L’autre lors du lancement de «l’Opération Jaque» par les autorités colombiennes, le 2 juillet de la même année.

A propos de l’opération revendiquée par Bogota comme 100% colombienne, Noël Saez se dit convaincu qu’elle n’a été possible que grâce à la participation des Etats-Unis et à la trahison du chef guérillero chargé de la surveillance de l’ex-candidate à la présidence colombienne. A quoi s’ajoute l’utilisation de l’emblème de la Croix-Rouge.

Le livre commence avec l’arrivée d’Ingrid Bétancourt et des autres otages à l’aéroport militaire de Bogota. Il se termine en Colombie après un passage en revue des différents protagonistes de ce pays en proie à la violence depuis un demi-siècle.

Une violence à laquelle seules la négociation et des réformes structurelles permettant une répartition équitable des richesses pourront mettre un terme. La misère étant le terreau le plus fertile pour les groupes armés, affirme Noël Saez.

«Maintenant que les délations, les désertions et les attaques de l’armée ont affaibli les FARC, le moment est venu de négocier. Mais le président Uribe n’a aucune intention de le faire», déplore-t-il.

swissinfo, Marcela Águila Rubín
(Traduction de l’espagnol: Elisabeth Gilles)

Toujours actives. Bien qu’affaiblies, les FARC n’ont pas capitulé. Dans un message diffusé sur internet, le 21 mars dernier, elles ont confirmé leur décision de poursuivre la lutte armée. Ce même jour, elles faisaient exploser un tronçon de l’autoroute Panaméricaine.

Une longue histoire. Unifiées en 1964 par Pedro Marin alias «Manuel Marulanda», alias «Tirofijo», les FARC constituent la guérilla la plus ancienne et la plus puissante d’Amérique latine.

Discréditées. Nées de revendications sociales, les FARC se sont discréditées par le recours à des pratiques illicites, en particulier le trafic de drogues et l’enlèvement.

Décapitées. En 2008, les FARC ont perdu Marulanda (décédé à 80 ans de mort naturelle) et leur dirigeant, Raul Reyes, tombé au cours de l’offensive militaire menée par Bogota en territoire équatorien.

En perte de vitesse. En outre, leurs forces sont décimées: on estime les pertes à 7000 membres sur un effectif de 10’000 et à 10’000 miliciens (opérant dans les villes) sur un total de 20’000.

L’émissaire de Noël Saez a été publié en mars 2009 aux éditions Robert Laffont.

Noël Saez est né en Algérie en 1940. Il a passé son enfance au Maroc avant de s’installer en France.

Ses grands-parents étaient des Espagnols naturalisés Français.

Il a servi dans les Forces aériennes françaises et occupé un poste au ministère des Affaires étrangères.

Ses missions l’ont conduit dans différents pays parmi lesquels Madagascar, le Mozambique, le Chili, le Salvador, l’Argentine, l’Espagne, le Venezuela et la Colombie.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision